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Musiques du Niger Contexte culturel
Le Niger et sa population
Les frontières de la république du Niger, pas plus que celles des autres états africains, ne délimitent à proprement parler une aire culturelle.
La population nigérienne, qui s’élève à onze millions d’habitants, comprend en effet principalement huit groupes ethno-linguistiques : les Haoussa, majoritaires, peuplent la partie centre-sud du pays ; les Zarma-Songhay, seconds en nombre, sont à l’ouest, de part et d’autre du fleuve Niger, et les Gourmantché, peu nombreux, à l’extrême sud-ouest ; les Kanouri (ou Béri-Béri) vivent à l’extrême est du pays, près du lac Tchad ; les Peuls sont disséminés sur l’ensemble du territoire, tantôt sédentaires dans le sud, tantôt transhumants ou purs nomades, tels les WoDaaBe de la zone sahélienne ; enfin, entre Sahara et Sahel se trouvent les Touareg et les Arabes Kunta pour la partie occidentale, les Toubou (ou Téda) ainsi que les Arabes Shuwa et Uled Sliman pour la partie orientale.
Mais la totalité de ces populations est aussi présente dans les différents pays limitrophes : en Libye et en Algérie (Arabes et Touareg), au Mali (Songhay, Touareg et Peuls), au Burkina Faso (Songhay, Touareg, Peuls et Gourmantché), au Bénin (Peuls), au Nigeria (Haoussa, Peuls et Kanouri) et au Tchad (Kanouri, Toubou et Peuls).
Facteurs d’homogénéité culturelle
En dépit de cette diversité culturelle et linguistique, plusieurs facteurs ont pourtant joué en faveur d’un certain degré d’unité sur le plan musical.
Dès le XIVe siècle, la majeure partie de l’actuel Niger s’est peu à peu homogénéisée sous l’impact de l’islam, même si nombre des religions du terroir ont perduré jusqu’à nos jours de façon souvent syncrétique.
La région a par ailleurs connu de longue date plusieurs formes de pouvoirs centralisés : les cités-états haoussa émergent en effet à partir du Xe siècle, tombent au XVe siècle dans la mouvance de l’empire Songhay tout en payant tribut à l’empire kanouri du Bornou, à l’est (XV-XIXe siècle), pour être finalement annexées vers 1800 par l’empire théocratique peul de Sokoto ; autant de puissances politiques qui ont tour à tour imposé une certaine unité culturelle, facilité la circulation des instruments musicaux et des pratiques associées aux dynasties régnantes, telles la représentation et l’éloge du pouvoir par des musiciens spécialisés.
Enfin, le degré élevé de nomadisme dans un pays aux deux tiers peuplé d’éleveurs (Peuls, Touareg, Toubou et Arabes) et l’existence de routes commerciales très anciennes joignant la côte et le Maghreb ont également favorisé les échanges en matière de styles musicaux.
Caractéristiques musicales communes
Sur le plan stylistique dominent surtout les formes monophoniquesLa monophonie désigne, en opposition à la polyphonie, des musiques qui ne comportent qu’une seule ligne mélodique, exécutée en solo ou à l’unisson. avec effets hétérophoniquesL’hétérophonie est un procédé polyphonique au sein duquel deux ou plusieurs parties exécutent de façon variée – mélodiquement et/ou rythmiquement – une même référence musicale. ponctuels, un style vocal empreint de mélismes et des structures polyrythmiques simples, basées sur de petites formations.
Plusieurs instruments se révèlent communs aux populations du complexe haoussa/zerma-songhay/peul — calebasses frappées, tambours sur gourde, tambours sabliers à tension variable — et même touareg — luths, vièles monocordes, flûtes végétales à embouchure terminale et clarinettes. La présence dans tout le pays d’ensembles cérémoniels de cour composés de grands tambours cylindriques, de trompes en métal, de hautbois et de timbales, dénote l’influence de l’Afrique du Nord.
Enfin, la performance musicale accorde une place prépondérante à l’éloge des dignitaires, mais aussi à celle des autres catégories sociales qui possèdent souvent un genre musical propre où la devise, l’hymne ou la louange exaltent valeurs socio-professionnelles et identité collective.
Dans le domaine religieux, la pratique musulmane exclut toute forme de « musique » : récitations et hymnes coraniques ne sont en effet pas considérés comme tels. Les Haoussa, Zerma-Songhay, Touareg et certains Peuls ont cependant conservé des ensembles de musique rituelle associés aux cultes de possession par les génies (bori, hollay).
Particularismes régionaux
On peut distinguer au Niger quatre grandes aires géo-culturelles :
- l’aire nomade sahélo-saharienne où prédominent la musique vocale (celle des Peuls WoDaaBe par exemple), des instruments légers éphémères et l’art poétique, exaltant l’amour ou le nomadisme. Fait original, chez les Touareg, ce sont les femmes qui jouent des instruments.
- l’aire Kanem-Bornou qui fait la jonction avec l’Est : la harpe arquée des Kanouri Buduma, unique dans le pays, renvoie par exemple aux cultures sonores nilotiques. Luths et vièles seraient absents de cette région, en revanche très riche en ensembles de tambours.
- l’aire haoussaphone, qui prolonge le Nord-Nigeria, où prévaut un système hiérarchisé d’artisans castésDans le contexte ouest-africain, les castes sont des catégories sociales d'individus qui se caractérisent par une spécialisation professionnelle héréditaire et qui ne peuvent se marier qu'entre eux (règle d'endogamie). Les artisans du verbe et de la musique, dits « griots », en font partie. possédant chacun une spécialisation musicale ; du haut au bas de l’échelle sociale coexistent les musiciens de cour, les musiciens pour les agriculteurs, les bouchers, les commerçants, les jeunes filles, les adeptes du culte des boriLe culte des bori est un culte de possession pratiqué par la population haoussa et reposant sur un panthéon d’entités surnaturelles dites « bori ». Assez similaire, le culte des hollay est quant à lui pratiqué chez les Zarma-Songhay., enfin, les musiciens itinérants, considérés comme des mendiants qui vivent de satire sociale. L’art oratoire est donc ici au premier plan, accompagné de luths ou de tambours.
- l’aire du fleuve Niger, commune avec le Mali : quoique de familles linguistiques fort différentes, Songhay et Peuls partagent avec les Haoussa de nombreuses caractéristiques socio-musicales.
Développements modernes
C’est à partir de 1974 qu’émergent au Niger les premiers orchestres de musique urbaine intégrant instruments européens et arrangements modernes au sein de formations de style régional. Ces initiatives se verront ensuite soutenues par la création en 1989 du Centre de Formation et de Promotion Musicale (CFPM), qui forme nombre de musiciens aux structures du jazz, tout en valorisant les langues, les rythmes et les instruments locaux. Mais les années 1990 marquent un tournant, avec l’affirmation d’une nouvelle génération qui s’inspire principalement du reggae, du rap et du hip-hop pour exprimer des préoccupations d’ordre social ou politique, en français comme en langues locales. Parallèlement, la rébellion touareg a suscité un renouvellement créatif du répertoire traditionnel de luths, avec l’émergence de chants poétiques engagés désormais accompagnés à la guitare. Ce mouvement s'étend au-delà du Niger, avec des musiciens originaires du Mali par exemple.
En l’absence de véritables moyens de promotion, et peut-être en raison des obstacles sociaux à se dire musicien pour qui n’appartient pas à la caste des griots, le Niger peine encore à faire naître une musique populaire nationale au contraire de son voisin malien et demeure méconnu sur la scène internationale : citons cependant Mamar Kassey, groupe d’inspiration inter-ethnique.
Pour aller plus loin...
Bibliographie
- AMES, David W. & KING, Anthony V. : Glossary of Hausa Music ant its Social Contexts, Evanston, Northwestern University Press, 1971.
- BESMER, Fremont E. : « Hausa Performance », in Africa, The Garland Encyclopedia of World Music, Vol. 1, Garland Publishing Inc., 1998, pp. 515-529.
- BERNUS, Edmond ; DUROU, Jean-Marc & LONCKE, Sandrine : Nomades du désert, Paris, La Martinière, 2006.
- BOREL, François : « Rythmes de passage chez les Touaregs de l’Azawagh », Cahiers de musiques traditionnelles, n° 1, 1988 , pp. 28-38.
- BOREL, François : « Les Musiques du quotidien, Rôle de la musique chez les Hausa du Niger », in Mondes en musique, Laurent Aubert éd., Genève, Musée d’ethnographie, 1991, pp. 39-48.
- BORNAND, Sandra : Le Discours du griot généalogiste chez les Zarma du Niger, Paris, Karthala, 2005.
- CARD WENDT, Caroline : « Tuareg Music », in Africa, The Garland Encyclopedia of World Music, Vol. 1, Garland Publishing Inc., 1998, pp. 574-595.
- ERLMANN, Veit : « Trance and Music in the Hausa Borii Spirit Cult in Niger », Ethnomusicology, n° XXVI (1), 1982, pp. 49-58.
- ZANETTI, Vincent : « Le Griot et le pouvoir », Cahiers de musiques traditionnelles, n° 3, 1990, pp. 161-172.
Discographie
- Niger. Peuls Wodaabe : chants du worso, INEDIT, Maison des Cultures du Monde, W260081, 1998.
- Anthologie de la musique du Niger, OCORA, C559056.
- Niger. Epopées zarma et songhay, Jibo Baje, OCORA, C560127.
- Niger. Musique dendi, Harouna Goge, OCORA, C560135.
- Niger. Haoussa, Songhay, Zarma, Kora sons.
- Niger. Musique des Touaregs, Vol. 1 : Azawagh, VDE-Gallo, CD-1105.
- Niger. Musique des Touaregs, Vol. 2 : In Gall, VDE-Gallo, CD-1106.
- Mamar Kassey, Denké-denké : Daquí, 1999.
Filmographie
- La Danse des Wodaabe, de Sandrine Loncke
Auteure : Sandrine Loncke