Accueil / Portraits de compositeurs / Portrait d’Étienne-Nicolas Méhul
Étienne-Nicolas Méhul (1763-1817)
Les premières armes musicales
Étienne-Nicolas Méhul naît le 22 juin 1763 à Givet dans les Ardennes. Le jeune garçon montre vite des aptitudes pour la musique, mais ses parents, trop pauvres pour lui faire donner des leçons de musique, le confient au vieil organiste aveugle du couvent de la ville. Élève brillant, il a à peine dix ans lorsqu’il obtient la charge de l’orgue du couvent. Il prend ensuite des leçons dans l’école de musique de Laval-Dieuvillage voisin de Givet, où il suit l’enseignement de l’organiste Wilhelm Hanser dont il devient rapidement le suppléant. Remarqué pour ses dons exceptionnels, il est envoyé à seize ans à Paris pour parfaire son éducation musicale.
Un jeune compositeur à Paris
J’arrivai à Paris ne possédant rien que mes seize ans, ma vielle et l’espérance. J’avais une lettre de recommandation pour Gluck, c’était mon trésor : voir Gluck, l’entendre, lui parler, tel était mon unique désir.
C’est en ces termes que Méhul débute le récitCe récit de la première visite rendue à Gluck est attribué à Méhul par l’un de ses biographes, Eugène de Planard, dans Éphémérides universelles. de sa rencontre avec son aîné. Cependant, c’est auprès d’un ami de Gluck, le claveciniste Jean-Frédéric Edelmann, que le jeune musicien prend des cours. Dès 1782, ses premières œuvresOde sacrée interpétée par les musiciens du Concert Spirituel le 17 mars 1782 sont données en concert et en 1783, il publie un premier volume de Trois Sonates pour le clavecin ou piano-forte, très influencées par Mozart. Bien que ses pairs voient en lui le représentant d’une école française de piano-forte, Méhul abandonne le clavier, attiré par le théâtre et l’opéra. Après une tentative infructueuseavec l’œuvre Alonso et Cora auprès de l’Académie royale de Musique, il se tourne vers l’Opéra Comique. Il rencontre Benoît-François Hoffman, qui deviendra le librettiste d’un grand nombre de ses drames lyriques, notamment Euphrosine ou le Tyran corrigé. Cet opéra en quatre actes et en vers, créé le 4 septembre 1790 à la salle Favart, connaît un grand succès et lance la carrière de Méhul.
Un épisode révolutionnaire
Le 2 août 1793, la Convention présidée par Danton impose un décretSur les théâtres indiqués par le Ministre de l’Intérieur, seront représentées trois fois par semaine, les tragédies républicaines […] et autres pièces dramatiques propres à entretenir les principes d’égalité et de liberté. […] Tout théâtre qui représentera des pièces contraires à l’esprit de la révolution sera fermé.
(propos cités dans Étienne-Nicolas Méhul de Adélaïde de Place) exigeant que les théâtres ne représentent plus que des œuvres prônant l’idéologie républicaine. Tout comme de nombreux artistes, Méhul doit se plier à cette directive, et c’est dans ce contexte de bouleversements politiques qu’il compose plusieurs œuvres avec plus ou moins de succèsStratonice sur un livret de Hoffman (créé à l’Opéra Comique le 3 mai 1792), le ballet Le Jugement de Pâris (créé à l’Opéra le 6 mars 1793) et Le Jeune Sage et le vieux fou (toujours sur un livret de Hoffman, créé salle Favart le 28 mars 1793) reçoivent des critiques élogieuses. En revanche, Horatius Coclès (sur un livret de Antoine Vincent Arnault, créé à l’Opéra le 8 février 1794) puis Mélidore et Phrosine (à nouveau sur un livret d’Arnault, créé le 6 mai 1794 salle Favart) connaissent un accueil mitigé., dont certaines seront même censuréesEn mars 1792, Méhul soumet à l’Académie de Musique l’opéra Adrien empereur de Rome, sur un livret de Hoffman. Comportant une scène de triomphe à la gloire de l’empereur, il est censuré car jugé susceptible de troubler l’ordre public. En 1794, c’est au tour de Timoléon (sur un livret de Marie-Joseph Chénier) de connaître la censure, le parti de Robespierre se sentant menacé par un livret évoquant l’assassinat d’un tyran.. La Révolution est également une époque qui voit fleurir de nombreuses fêtes nationales nécessitant tout un répertoire d’hymnes et de chants patriotiques. Méhul ainsi que Gossec contribuent activement à leur composition. Le plus célèbre hymne de Méhul, Le Chant du départ (1794), est un hymne à la liberté qui dénonce le despotisme. Joué le 14 juillet 1794 pour célébrer l’anniversaire de la prise de la Bastille, il devient, avec La Marseillaise, un chant incontournable des fêtes républicaines. Nommé à l’Institut de France en 1795, Méhul contribue ensuite à la fondation du Conservatoire de Paris et reçoit la Légion d’honneur des mains de Napoléon (1804) en même temps que Gossec.
Des succès et des échecs
De 1795 à 1806, Méhul continue de composer pour la scène lyrique, mais ses œuvres ne connaissent pas le succès escompté. Il se tourne alors vers la musique symphonique et compose quatre symphonies. Dans la lignée de celles de Haydn, qui connaissent alors un vif succès en France, et de Beethoven, elles reçoivent des critiques élogieuses et ouvrent la voie aux compositeurs romantiques tels que Berlioz. Le succès éphémère de son drame Joseph, créé à l’Opéra Comique le 17 février 1807, ne suffira pas à le convaincre de poursuivre sa carrière de compositeur. Après les échecs successifs du ballet Persée et Andromède (créé à l’Opéra le 8 juin 1810) et de l’opéra Les Amazones ou la Fondation de Thèbes (17 décembre 1811), Méhul se retire de la vie musicale pour se consacrer à sa passion pour les fleurs. Rongé par la tuberculose, il s’éteint à 54 ans le 18 octobre 1817. Son corps repose au cimetière du Père Lachaise.
Le langage musical de Méhul
Pris dans la tourmente de la Révolution et des nombreux bouleversements politiques qui ont suivi, Méhul compose des œuvres en adéquation avec l’esprit de son époque, c’est-à-dire prônant l’idéologie révolutionnaire. Tantôt solennelle et martiale comme Le Chant du départ, hymne de guerre destiné à enhardir les troupes, tantôt grandiose tel Le Chant national du 14 juillet 1800 pour solistes, trois chœurs et trois orchestres, sa musique peut aussi être grave et noble, à l’instar de son Chant funèbre sur la mort de Ferraud, célébrant la mémoire d’un héros de la Révolution. Difficile de savoir si Méhul partage les convictions révolutionnaires de son temps. Quoiqu’il en soit, il se plie souvent aux exigences du gouvernement, quitte à composer parfois ce qu’il qualifie lui-même de la « musique de fer »C’est le librettiste Arnault qui rapporte, dans ses Souvenirs d’un sexagénaire, les propos qu’aurait tenus Méhul au sujet de son opéra Horatius Coclès., extrêmement sévère et solennelle. Toutefois, cela n’empêchera pas certaines de ses compositions dramatiques de se faire écarter par l’implacable censure.
Sans renier l’influence de ses contemporains (celle de Haydn dans ses symphonies ou celle de Gluck dans ses opéras), Méhul sait se montrer innovant et s’affirme comme un précurseur du romantisme. Ses harmonies audacieuses ne sont pas sans dérouter par moments son publicCherubini dira, à propos des audaces harmoniques dans Mélidore et Phrosine : ces brusques transitions étant trop étrangères au ton principal du morceau, devenaient parfois incohérentes et dures
.. Mais son orchestration originale fait l’admiration de tous et est plusieurs fois citée en exemple par Berlioz dans son Grand Traité d’instrumentation et d’orchestration : utilisation des cors ouverts dans le duo de l’acte II d’Euphrosine, des cors à sons bouchés dans Mélidore et Phrosine, remplacement des violons par des altos dans Uthal… Ses dons de symphoniste sont remarquables comme le montre la richesse orchestrale de ses quatre symphonies, et celles-ci ne sont pas sans rappeler les symphonies de Beethoven. Aussi, lorsque Mendelssohn dirige la Symphonie n° 1 de Méhul en 1837, Schumann ne manquera pas de noter la ressemblance avec la Symphonie n° 5, contemporaine, de Beethoven.
Auteure : Sylvia Avrand-Margot