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Antonio Vivaldi (1678-1741)
Le prêtre compositeur
Ce jeune homme fragile, fils de barbier (mais aussi violoniste à Saint-Marc) qui grandit à Venise en cette fin de XVIIe siècle, fera une belle carrière, cela ne fait aucun doute, car il sera prêtre. Il gravit tous les échelons de ce parcours fréquent pour l’époque : tonsure à 15 ans, diaconat à 22 ans, entrée dans les ordres à 25 ans. Sa santé ne s’étant pas arrangée durant toutes ces années, et parvenu au terme de ses études, celui que l’on surnomme Il Prete rosso (le prêtre roux), constate qu’il est incapable de dire la messe correctement. Trop de toux, trop de va-et-vient avec la sacristie durant les offices pour cracher et tousser en raison de cette stretezzaasthme ? : c’en est trop pour ses supérieurs, il est mis à l’écartMais il garde l’habit religieux et lit son bréviaire à tout moment..
Peut-être Antonio est-il soulagé à ce moment ? Car il a par ailleurs développé un don pour la musiqueIl vit d’ailleurs avec son père violoniste jusqu’à son décès lorsqu’Antonio a 58 ans., ce qui n’est pas extraordinaire quand on grandit à Venise à une époque où la musique tient une place très importante. Ses dons sont tels qu’il attire l’attention et qu’un poste très enviable s’offre à lui pour ses 25 ans, celui de maître de violon de la PietàPio Ospedale della Pietà, fondé en 1346. Cet hospice religieux pour orphelines est le plus prestigieux des quatre que compte Venise. Son enseignement comporte beaucoup de musique ; il possède d’ailleurs un chœur et un orchestre qui donnent des concerts publics très appréciés.. Un attachement fort se noue entre le musicien et l’institution. Vivaldi, d’une part, y trouve un chœur de jeunes filles et un orchestre de grande qualitéUn observateur de l’époque explique que la meilleure musique à Venise est celle des hospices et que celui des quatre hospices où je vais le plus souvent et où je m’amuse le mieux, c’est l’hôpital de la Piété ; c’est aussi le premier pour la perfection des symphonies.
; l’institution, d’autre part, ne peut rêver meilleur collaborateur… en dehors de ses absences très gênantes. Ne sachant plus comment faire pour s’assurer sa présenceMais Vivaldi a beaucoup à faire : il fait répéter notamment ses opéras dans diverses villes d’Italie, il fait divers voyages., la Pietà lui fait signer à 45 ans, un contrat l’obligeant à composer et à faire répéter deux concertos par mois. Mesure peu efficace puisque douze ans plus tard Vivaldi doit encore promettre de ne plus s’en aller comme il l’avait fait dans le passé.
Le maître du concerto
Les talents exceptionnelsSon père et lui-même sont désignés dans un guide « meilleurs violonistes de la ville », alors que Vivaldi a 28 ans. de violoniste de Vivaldi captivent son public. Que rêver de mieux, lorsqu’on est un tel virtuose, que de se trouver seul devant la scène à dialoguer avec l’orchestre ? Il n’y a plus qu’à inventer le concerto !
Non que le concerto n’existe pas, mais Vivaldi lui donne sa forme définitiveen trois mouvements contrastés : vif – lent – vif, pour au moins trois siècles, plaçant un seul instrument soliste devant les autres, prêt à éblouir le public de mille acrobaties. Comme le feront 150 ans plus tard les Strauss avec la valse, il transforme une forme musicale assez modeste en un objet de prestige. N’est-ce pas un signe si Bach lui-même transcritarrange dix concertos de Vivaldi pour d’autres instruments ? Il montre par ailleurs dans ses propres concertos une connaissance profonde des œuvres du maître vénitienIl est vrai que Vivaldi se donne les moyens de faire connaître ses œuvres. Les 12 concertos du recueil L’Estro armonico de 1711 - il a 23 ans - sont imprimés à Amsterdam chez un célèbre éditeur - Estienne Roger - dont le rayonnement est tellement important qu’il atteint l’Allemagne..
Les compositeurs européens, du plus petit au plus grand, adoptent presque tous la nouvelle forme du concerto. Nous sommes dans les années 1710-1730, Antonio Vivaldi connaît sa période de gloire.
Une sacrée réputation
Beaucoup de bruits courent sur Vivaldi à son époque. Le fait, alors qu’il est prêtre, d’être très souvent en compagnie féminineles orphelines de la Pietà, les chanteuses qu’il fait travailler dans de multiples théâtres lyriques en Italie, des proches qui l’accompagnent dans ses voyages et qui « connaissent » et « comprennent » sa maladie et sauraient y remédier en cas d’incident ne peut qu’alimenter la rumeur.
Il aime beaucoup, en outre, être considéré comme un être d’exceptionLe fait de jouer en soliste dans ses concertos lui donne une aura particulière… il invente en réalité le concerto pour lui-même !. Il apprécie d’être cité en référence pour l’étendue de ses connaissances, sa rapidité de composition, le nombre de rois, reines et empereurs dont il est l’intime (neuf selon lui)… Ses chiffres s’avèrent extrêmement exagérés parfois : de la centaine d’opéras qu’il prétendait avoir composée par exemple, seulement la moitié a été identifiée depuis.
Il est vrai qu’au sommet de sa carrière, Vivaldi connaît des postes brillantsmaître de chapelle à Mantoue à 40 ans, maître de chapelle du duc de Lorraine à près de 60 ans et la gloire. L’empereur d’Autriche lui-même lui prouve sa grande admiration et son estime à plusieurs reprises : il le convie (Vivaldi a 30 ans) à venir se mesurer à l’un de ses protégés lors d’une joute instrumentaleDeux instrumentistes se mesurent l’un à l’autre : ce genre de jeu était courant à l’époque. On cite souvent – mais peut-être n’est-ce qu’une légende - celle qui aurait dû opposer J.-S. Bach à Louis Marchand, éminent organiste français. Le Français aurait fui pour ne pas subir d’humiliation., le couvre, vingt ans plus tard, de décorations et d’argent. Peut-être même lui fait-il une proposition d’engagement à cette occasion ?
Comme Telemann le prouve à la même époque, le fait d’être son propre éditeur constitue un énorme avantage pour la diffusion de sa musique. Vivaldi n’édite pas lui-même sa musique, mais il sait quitter son éditeur vénitien lorsqu’il le juge insuffisant… c’est-à-dire dès la troisième publicationL’Opus 3, L’Estro Armonico, est édité par le célèbre Estienne Roger d’Amsterdam. Les deux précédents opus, initialement édités à Venise, seront d’ailleurs réédités chez lui.. La réputation qu’il acquiert ainsi à Amsterdam le fait choisir, alors qu’il a 60 ans, pour organiser de fastueuses célébrations musicalespour le centenaire du théâtre Schouwburg.
Une image trop brillante a toujours sa contrepartie, et les avis négatifs sur cette gloire de l’Italie ne se comptent plus. Entre ceux qui estiment qu’il aurait composé 500 fois le même concerto (dont Stravinski), ceux qui le jugent médiocre compositeur (quoique bon violoniste, mais ses effets au violon ne seraient-ils pas trop artificiels ?), ceux enfin qui ne voient dans son œuvre que routine et ficelles.
Oubli… et re-découverte
La ville qui avait applaudi et admiré Vivaldi se détourne de lui alors qu’il a 60 ans. Ses opéras plaisent beaucoup moins : la nouvelle mode est désormais napolitaineNaples, qualifiée de « capitale européenne de la musique » par Stendhal, est désormais la référence absolue. Les écoles de chant ne s’y comptent plus, son opéra est le plus grand du monde – 2500 places – et on y cultive une ligne mélodique particulièrement belle, mise en valeur par de célébrissimes castrats.. Vivaldi se retrouve seul, déjà enfoui dans le passé.
Dans des conditions troubles, il vend toutes ses affaires et quitte Venise pour Vienne, peut-être avec l’assurance d’un engagement à la cour de l’empereur ? Celui-ci meurt malheureusement peu après son arrivée, le privant de sa protection et d’un emploi doré. Vivaldi disparaît quelques mois plus tard, enterré sans célébration et seul au cimetière de l’hôpital. L’annonce de son décès deux mois plus tard ne semble pas susciter de regret particulier à Venise.
Ce profond oubli dure un siècle et demi (on ne connaît sa date de naissance avec assurance qu’en 1963 !). Vivaldi est encore un inconnu en 1913 lorsqu’un important travail de recherchede Marc Pincherle lui est consacré. Sa redécouverte se fait en plusieurs étapes, et passe d’abord par celle de l’immense œuvre de son contemporain Johann Sebastian Bach (dont les concertos s’inspirent de Vivaldi). L’édition complète (sous réserve de nouvelles découvertes) de son œuvre ne tarde pas à suivre, et les concerts d’œuvres de Vivaldi se multiplient ensuite dans le grand mouvement de redécouverte de la musique baroqueOn commence à partir des années 1950 à chercher systématiquement à jouer les œuvres des XVIIe et XVIIIe siècles de façon authentique. Cela signifie qu’on reconstruit des instruments anciens et qu’on retrouve la façon dont on les jouait.. Il faut attendre les années 1970 pour que ses opéras commencent à être rejouésUne opération délicate car la plupart du temps seuls les textes des opéras sont conservés à l’époque..
L’essentiel
- Le prêtre roux (Il Prete Rosso) est exempté de l’obligation de dire la messe en raison d’une maladie persistante. Il se consacre dès lors à la composition, attaché presque toute sa vie à l’hospice religieux de jeunes filles de la Pietà à Venise.
- Il fixe la forme du concerto : trois mouvements contrastés (vif/lent/vif) mettant le plus souvent en valeur un seul soliste (et non plus un groupe comme dans l’ancien concerto grosso). Parmi ses concertos les plus célèbres figurent Les Quatres Saisons.
- Il compose 23 opéras (certainement pas 94 comme il le prétend), et les monte tous lui-même dans de nombreuses villes italiennes… cela suppose de nombreuses absences de la Pietà…
- Il privilégie les couleurs et les effets que sa technique époustouflante de violoniste lui permettait de réaliser.
- Comportement surprenant : il s’expatrie à la fin de sa vie et meurt seul, oublié de Venise après y avoir connu la gloire.
Auteur : Jean-Marie Lamour