Accueil / Portraits de compositeurs / Portrait de John Adams
Compositeur, chef d’orchestre et même écrivain, John Adams est une figure majeure de la musique américaine. Ses œuvres, séduisantes et accessibles, font de lui l’un des compositeurs vivants les plus joués de nos jours.
Né le 15 février 1947 à Worcester dans le Massachusetts, en Nouvelle-Angleterre, John Adams est initié à la musique par son père clarinettiste qui lui donne ses premiers cours. Il joue d’abord dans des fanfares locales et commence à étudier la composition dès l’âge de dix ans. Diplômé de Harvard (où il étudie la clarinette, la direction d’orchestre et la composition) en 1971, il quitte sa région natale. Plutôt que de partir en Europe où se concentre l’avant-garde de la musique contemporaine avec l’école de DarmstadtDès 1946, les Cours d'été de Darmstadt sont le lieu d'expression de la « nouvelle musique », un courant avant-gardiste de la musique contemporaine dans la lignée du sérialisme intégral, représenté par les compositeurs tels que Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Bruno Maderna, Luciano Berio..., mais pour laquelle il ne se sent aucune affinité, il déménage sur la côte ouest, en Californie, et aspire à développer un langage spécifiquement américain. Là, il enseigne au conservatoire de San Francisco pendant dix ans, avant d’être nommé conseiller musical (en 1978) puis compositeur en résidence (en 1982) du San Francisco Symphony (poste qu’il occupe jusqu’en 1985).
Des débuts « minimalistes »
Les premières œuvres d’Adams s’inscrivent dans le courant minimaliste, sans pour autant en suivre strictement les procédés d’écriture. Ainsi, Phrygian Gates et China Gates (pour piano, 1977), Shaker Loops pour septuor à cordes (1978), Common Tones in Simple Time pour orchestre (1979), Harmonium pour chœur et orchestre (1980) utilisent certains principes du minimalisme : une pulsation régulière, une structure faite de brefs motifs répétés évoluant lentement, un langage harmonique fondamentalement tonal. Adams revendique l’influence de Steve ReichÀ propos d’Adams, Steve Reich s’exprime d’ailleurs de la manière suivante : John Adams est un compositeur prodigieusement doué pour l’orchestre. Je pense que c’est cette virtuosité, souvent accompagnée d’une émotion profondément ressentie, qui touche vraiment les gens. Il a été capable d’associer le type de technique dont Riley, moi-même et Glass avons été à l’origine […] à la musique romantique de la fin du XIXe siècle, à laquelle les auditeurs de musique classique s’identifient véritablement
(Steve Reich, Writings on Music) dans ses compositions, mais on n’y retrouve pas par exemple le processus de déphasage, fréquent en revanche chez Reich.
Le style minimaliste ne concerne qu’une partie de la production de John Adams, même si le compositeur est souvent associé à ce courant. Il s’en éloigne avec Grand Pianola Music pour deux pianos, voix de femmes, bois, cuivres et percussions (1982) : l’œuvre, huée à sa création new-yorkaise, est jugée de mauvais goût, voire vulgaire et insolente. On reproche même au compositeur d’avoir attenté à la pureté du style minimaliste ! Adams prend définitivement ses distances avec Harmonielehre (1984) pour orchestre. Par la suite, même s’il continue d’intégrer des éléments minimalistes dans ses compositions, il se tourne résolument vers un style qui mêle les multiples influencesLe minimalisme rendait possibles certains éléments comme la pulsation, la tonalité et le sens de la répétition. Ma musique a pris le minimalisme comme point de départ, mais j’ai toujours cherché quelque chose de plus complexe. J’ai été inspiré par tous les genres musicaux : les vastes structures des post-romantiques, en particulier Sibelius, Mahler, Bruckner, mais aussi par le jazz, et même le rock. Au fil des années, j’ai trouvé le moyen d’intégrer toutes ces expériences musicales, que je considérais comme mon « code génétique », dans une musique qui sonne américaine, qui se sent américaine, et qui pourtant inclut des références à la grande tradition européenne.
(John Adams, propos recueillis par Pascal Huynh, interview parue dans Cité musique n° 62) venant nourrir la culture américaine : jazz, rock, musiques traditionnelles…, le tout intégré dans une harmonie post-romantique.
Une musique orchestrale variée
Adams explore des horizons variés dans le genre de la musique symphonique, avec Gnarly Buttons pour clarinette et orchestre de chambre (1996) évoquant le souvenir de son père, Naive and Sentimental Music (1998, nommé d’après un essai de Schiller) avec son solo de guitare électrique, l’étrange et inquiétante pièce Guide to Strange Place (2001), City Noir (2009), Absolute Jest pour quatuor à cordes et orchestre (2012), Scheherazade.2 pour violon et orchestre (2014)… Certaines œuvres font parfois explicitement référence à d’autres compositeurs : la Chamber Symphony évoque la Symphonie de chambre op. 9 de Schönberg mais l’atmosphère rappelle le Ragtime de Stravinski. Dans My Father Knew Charles Ives, Adams rend hommage au compositeur américain Charles Ives dont il se sent particulièrement proche. Il dira de lui qu’il a toujours mêlé le sublime avec le vulgaire et le sentimental, et [qu’]il l’a fait avec une insouciance qui ne pouvait être que celle d’un Américain
. Un chemin esthétique qu’Adams aspire lui-même à suivre.
L’ensemble de son œuvre montre par ailleurs une autre dualité, dès les années 1980 : une opposition entre des compositions énergiques, entraînantes et pleines d’humour, voire irrévérencieuses, et d'autres élégiaques et mélancoliques. L’exemple le plus frappant est peut-être celui des deux fanfares pour orchestre, Tromba Lontana (1985) et Short Ride in a Fast Machine (1986) : autant la première est caractéristique du stylé élégiaque du compositeur, autant la seconde est dynamique et débordante d’énergie. Adams se définit lui-même comme une sorte de Dr Jekyll et Mr Hyde
, que l’on ne peut pas cataloguer et qui ne peut s’empêcher d’effectuer des angles droits, des volte-face, des "choses défendues"
. Il rejette cette notion de style, « d’étiquette », que l’on a tendance à coller à tout compositeur : À un moment ou un autre, il y a toujours la question : "De quel style s’agit-il ?" J’ai fini par ne plus y répondre. Je crois que nous sommes aujourd’hui dans une période postérieure aux styles. On pourrait dire "post-style" comme on dit "post-minimaliste", "post-moderne"
(propos cités dans John Adams de Renaud Machart).
Les œuvres opératiques
Encouragé par le metteur en scène Peter Sellars, Adams aborde le genre de l’opéra : Nixon in China (1987), sur un livret d’Alice Goodman, rencontre un vif succès et fait date dans l’histoire de l’opéra américain. Les très célèbres Chairman Dances (1985), composées alors qu’Adams travaillait déjà sur son opéra, reprennent un matériau musical dérivé de l’acte III. Le trio Adams/Sellars/Goodman se réunit à nouveau pour The Death of Klinghoffer (1991) qui, malgré la polémiqueLes auteurs furent taxés d’antisémitisme. dont il fait l’objet depuis sa création américaine, ne se départit pas de son succès. La collaboration entre Adams et Peter Sellars se poursuit ensuite sur le « songplay » I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky (1995) d’inspiration pop, puis El Niño (2000), d’après l’histoire de la Nativité et sur le modèle d’un oratorio de Haendel, les opéras Doctor Atomic (2005) et A Flowering Tree (2006), l’oratorio The Gospel According to the Other Mary (2012), et l’opéra Girls of the Golden West (2017).
Les multiples facettes du compositeur
En marge de ses œuvres opératiques et symphoniques pour lesquelles il est renommé, John Adams aborde également la musique de chambre : Hallelujah Junction pour deux pianos (1996), Road Movies pour violon et piano (1995), String Quartet (2008) et Second Quartet (2014) pour quatuor à cordes… Sans oublier la musique électronique : Heavy Metal pour bande magnétique deux pistes (1970), Onyx pour bande magnétique quatre pistes (1976), Dharma at Big Sur pour violon électrique et orchestre (2003)… Sa musique a été plusieurs fois récompensée : son Concerto pour violon remporte le prix Grawemeyer (1993) et On the Transmigration of Souls (hommage aux victimes des attentats du 11 septembre) se voit attribuer le prix Pulitzer (2002), sans compter les nombreux titres honorifiques décernés au compositeur par les différentes universités telles que Harvard et Yale.
John Adams est également très actif en tant que chef d’orchestre : il a dirigé de nombreuses formations parmi les plus prestigieuses (le Los Angeles Philharmonic, les Berliner Philharmoniker, l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam, le London Symphony Orchestra…), une activité nécessaireJe pense qu’il est très important pour les compositeurs d’être interprètes, dans la mesure du possible. Car les compositeurs, s’ils n’interprètent pas, en arrivent à ne plus être en phase avec les réalités propres à l’interprétation. Quand vous êtes interprète, vous faites le lien : il y a le compositeur, l’interprète et le public ; ainsi, vous êtes aussi proche du public que vous l’êtes du compositeur. Si vous n’êtes pas interprète, il y a alors une distance beaucoup plus grande entre vous et le public : vous dépendez de quelqu’un pour interpréter votre musique.
(John Adams, propos recueillis par Pascal Huynh, interview parue dans Cité musique n° 62), selon lui, en marge de la composition.
Enfin, Adams endosse également la casquette d’écrivain, avec succès : son livre, Hallelujah Junction (2008), un voyage dans la vie musicale américaine à caractère autobiographique, remporte le Northern California Book Award.
Auteure : Floriane Goubault
(mise en ligne : juin 2018)