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Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Formation et premières compositions
Dmitri Chostakovitch naît le 25 septembre 1906 à Saint-Pétersbourg. Sa mère, pianiste, donne au petit Mitiadiminutif de Dmitri ses premières leçons de musique dès l’âge de neuf ans. Le garçon montre très vite de grandes prédispositions : il a l’oreille absolue, dispose d’une très bonne mémoire, et commence même à composer. La Révolution de 1917 et la période difficile qui s’ensuit ne l’empêchent pas de poursuivre ses études musicales puisqu’en 1919, alors qu’il a treize ans, il est admis au conservatoire de PetrogradC’est le nom de Saint-Pétersbourg entre 1914 et 1924. Petrograd, signifiant « la ville de Pierre » (d’après saint Pierre), est préféré à Saint-Pétersbourg jugé trop allemand. où il étudie le piano et la composition. Le compositeur Alexandre Glazounov, directeur du conservatoire, reconnaît le talent pianistique précoce du jeune garçonC’est l’un des plus grands espoirs de notre art [...]. Un talent exceptionnellement brillant et précocement développé, qui mérite considération et admiration. Une technique pianistique excellente, employée de manière intéressante et originale.
(Meyer p. 35) et le soutient, même s’il reste sceptique face à ses essais de composition qu’il juge épouvantablesC’est la première fois de ma vie que je n’entends pas la musique en lisant la partition.
(Meyer p. 39).
Chostakovitch commence à donner des concerts de piano, remarqués dans la presse par des critiques enthousiastes, et écrit ses premières pièces, déjà prometteuses : Scherzo pour orchestre op. 1, Thème et variations op. 3, Deux Fables de Krylov op. 4, Trio op. 8…
Premiers succès, premiers échecs
En 1922, le père de Chostakovitch meurt, laissant sa famille dans une situation financière délicate. L’année suivante, après avoir obtenu son diplôme de piano, Chostakovitch est radié de la liste des élèves du conservatoire (pour des raisons inexpliquées) et ne peut poursuivre en cycle supérieur ni continuer ses études de compositions. Il décide alors d’entrer dans le monde du travail afin de subvenir aux besoins de sa famille : il devient pianiste au cinéma pour accompagner les films muets, mais abandonne au bout de deux ans, jugeant cet emploi comme un frein à sa créativitéMon emploi au cinéma paralysa mon travail de création. Je n’arrivais plus du tout à composer et ce ne fut que lorsque j’eus décidé d’abandonner le cinéma que je pus me remettre au travail.
(Meyer p. 43).
En 1926, à l’âge de 20 ans, il est finalement accepté dans le cycle d’études supérieures du conservatoire. Entre-temps, il a déjà composé sa Symphonie n° 1, qui a été créée avec succès le 12 mai de la même année. C’est à cette époque qu’il choisit la composition plutôt qu’une carrière de pianiste (même s’il n’arrêtera jamais les concerts), écrivant avec une grande facilité : sa Sonate pour piano n° 1 (première rupture avec la tonalité et les formes traditionnelles), Aphorismes (un cycle de dix miniatures pour piano), sa Symphonie n° 2 (première commande officielle pour le 10e anniversaire de la Révolution d’Octobre), son opéra Le Nez (d’après Gogol, dans lequel se révèlent le grotesque et l’ironie qui seront caractéristiques de la musique de Chostakovitch), sa Symphonie n° 3 ou encore le ballet L’Âge d’or. Il compose également sa première musique de film avec La Nouvelle Babylone. Ses compositions, originales et audacieuses, suscitent le débat dans le milieu de la critique et lui valent le surnom d’« enfant terrible » de la musique soviétique.
Mais les premiers échecs viennent tempérer l’enthousiasme du jeune compositeur. La Nouvelle Babylone est un fiasco (aussi bien le film que la musique), sa Symphonie n° 3 ne rencontre que peu d’adhésion, et ses deux ballets, L’Âge d’or et Le Boulon, reçoivent de sévères critiquesreprochant notamment à Chostakovitch de ne pas savoir composer de musique adaptée à la scène. Son opéra Le Nez est lui aussi retiré de l’affiche après seize représentations. Chostakovitch commence à être décrié et ses œuvres disparaissent progressivement des salles de concerts. L’influence du Parti, dirigé par Staline, sur la vie culturelle, de plus en plus intrusive à travers la RAPMEn 1923, constitution de l’APM (Association des musiciens prolétariens), qui devient la RAPM (Association russe des musiciens prolétariens). Elle aspire à créer une musique destinée aux masses et répondant aux exigences de l’idéologie révolutionnaire
., inquiète aussi le compositeur : alors que beaucoup d’artistes, craignant la censure, ont déjà émigré à l’Ouest (Rachmaninov, Prokofiev…), il comprend qu’il faut collaborer s’il veut conserver une certaine liberté artistique. C’est le début d’une longue relation ambiguë avec le pouvoir politique, qui durera toute sa vie.
L’affaire Lady Macbeth
En 1932, le mariage de Chostakovitch avec Nina Varzar apporte un peu de joie dans la vie du compositeur et lui donne l’élan pour se lancer dans l’écriture d’un nouvel opéra, Lady Macbeth. De plus, la dissolution de la RAPMsuite à un décret sur la réorganisation des associations littéraires et artistiques en avril 1932. Ce n’est malheureusement qu’un court répit. De nouvelles organisations aussi intrusives verront bientôt le jour comme l’Union des compositeurs soviétiques. soulage un temps le milieu culturel russe. C’est le moment idéal pour Chostakovitch de présenter son opéra : Lady Macbeth est créé le 22 janvier 1934 à LeningradC’est le nom de Saint-Pétersbourg entre 1924 et 1991. Nommée Petrograd depuis 1914, elle est rebaptisée Leningrad en l’honneur de Lénine, mort en 1924.. C’est un véritable succès qui lui vaudra une renommée internationale. Dès lors, sa musique est redécouverte et retrouve le chemin des concerts. Fort de son triomphe, et malgré la Grande TerreurLa Grande Terreur – ou Grandes Purges -, dans la seconde moitié des années 1930, vise à éliminer tous les opposants politiques du Parti. qui commence à s’instaurer, Chostakovitch tente de prendre ses distancesIl multiplie les déclarations publiques, notamment en faveur des compositeurs occidentaux très souvent exclus des concerts : Nous, les compositeurs soviétiques, nous ne connaissons pas assez bien les compositeurs occidentaux… Nous devrions organiser à l’Union des compositeurs un séminaire d’initiation à la culture musicale de l’Occident, car on y trouve beaucoup de choses intéressantes et instructives.
(Meyer p. 184) avec le Parti et compose selon ses envies : les Vingt-quatre Préludes pour piano, un Concerto pour piano (qu’il crée lui-même), une Sonate pour violoncelle et piano, le ballet Le Clair Ruisseau.
Hélas, le 26 janvier 1936, tout bascule : Staline assiste à une représentation de Lady Macbeth à Moscou, et l’œuvre n’a malheureusement pas l’heur de lui plaire. Le chanteur Sergueï Radamski, présent ce soir-là, nous relate l’atmosphère durant la représentation (cité dans Meyer, p. 201-202) :
Staline, Jdanov et Mikoïan étaient assis dans la loge gouvernementale, à droite au-dessus de la fosse d’orchestre, juste au-dessus des cuivres et des percussions. [...] Chaque fois que les percussions ou les vents jouaient fortissimo, nous pouvions voir Jdanov et Mikoïan sursauter puis se tourner, hilares, vers Staline. [...] Chostakovitch voyait les trois occupants de la loge officielle rire et s’amuser, il se tapit au fond de notre loge et dissimula son visage dans ses mains. [...] Le dernier rideau tomba ; Chostakovitch ne fut pas appelé sur scène pour saluer ; quant à Staline et à ses deux compagnons, ils quittèrent le théâtre sans avoir exprimé le vœu de rencontrer le compositeur.
Le critique des Izvestia nous raconta plus tard qu’il avait demandé à Staline ce qu’il pensait de l’opéra et que celui-ci lui avait répondu : “Ce sont des inepties, pas de la musique”.
Le 28 janvier, on peut lire dans la Pravda un article intitulé Le chaos remplace la musique, dans lequel l’auteur critiqueOn peut lire qu’il s’agit d’un flot de sons intentionnellement discordants et confus
, où le chant est supplanté par les cris. [...] Tout cela est grossier, primitif, vulgaire.
(Meyer p. 203-204) sévèrement l’opéra et met implicitement en garde le compositeur en déclarant qu’il joue un jeu qui peut fort mal finir
. Bien que l’article ne soit pas signé, il est évident pour tous qu’il représente l’opinion du Parti sur l’opéra de Chostakovitch. Sa musique est dès lors condamnée et retirée de toutes les salles de concert, ses amis lui tournent le dos et le désavouent publiquement lors des réunions de la section de Leningrad de l’Union des compositeurs. Devenu un « ennemi du peuple », Chostakovitch s’attend à tout moment à être arrêtéIl se couchait tout habillé, une valise prête au cas où le NKVD (police politique de l’Union soviétique) viendrait l’arrêter au milieu de la nuit. et, même si l’arrestation tant redoutée n’aura pas lieu, la peur constanteLe violoniste David Oïstrakh, grand ami du compositeur, évoque cette période sombre de l’Union soviétique où le Parti traquait tous les opposants au régime : Chaque nuit, je m’attendais au pire, et j’avais mis de côté des sous-vêtements chauds et quelques provisions, dans l’attente du moment inévitable. Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que nous avons enduré, à guetter ainsi les coups fatidiques frappés à la porte ou le bruit d’une voiture venant s’arrêter en bas, dans la rue.
(Meyer p. 212) dans laquelle Chostakovitch aura vécu ces derniers mois laissera des séquelles jusqu’à la fin de sa vie.
Malgré l’angoisse dans laquelle il vit, Chostakovitch se lance à corps perdu dans le travail. Il compose sa Symphonie n° 4 (qui ne sera créée qu’en 1961) et accepte un poste de professeur au conservatoire de Leningrad. Après avoir été soumise à l’Union des compositeurs de Leningrad, la Symphonie n° 5 est créée le 21 novembre 1937 sous la baguette d’Evgueni Mravinski, signant le début d’une grande amitié entre le compositeur et le chef d’orchestre. Heureusement, le succès est cette fois au rendez-vous. Ceux qui, hier, condamnaient Lady Macbeth, sont les premiers à faire l’éloge de la symphonie. Le compositeur poursuit sur sa lancée avec son Quatuor à cordes n° 1, puis sa Symphonie n° 6, et le Quintette pour piano qui lui vaut de recevoir en 1941 le prix Staline récompensant les meilleures œuvres musicales de l’année.
La guerre et nouvelle mise au ban
Juin 1941, la guerre éclate en URSS. Alors que les artistes sont préservés pour participer à la propagation de l’idéologie du Parti, Chostakovitch cherche à tout prix à se faire incorporer dans l’armée. Le compositeur ne parviendra qu’à intégrer le piquet d’incendie du groupe de défense anti-aérienne, chargé de défendre Leningrad contre les feux. Dans la ville assiégée, il compose sa Symphonie n° 7 dite « Leningrad », bientôt considérée comme un symbole de la résistance. Chostakovitch, encensé, est alors vu comme le plus grand compositeur de l’Union soviétique. S’ensuit une grande période créatrice qui voit naître l’opéra (inachevé) Les Joueurs, la Sonate pour piano n° 2, la Symphonie n° 8, les Quatuors à cordes n° 2 et n° 3, le Trio avec piano n° 2, ainsi que des œuvres de circonstances. En revanche, sa Symphonie n° 9 surprend tout le monde par sa brièveté, son classicisme et le retour des éléments grotesques, là où la critique s’attendait à une œuvre grandiose à l’image des deux symphonies précédentes.
Après la guerre, le Parti accentue son emprise sur la vie culturelle, condamnant toujours plus le formalisme, trop moderniste et non accessible aux masses. En janvier 1948, l’Union des compositeurs de la section de Moscou se réunit et publie un texte dressant les résolutions prises concernant la musique ainsi qu’une liste des compositeurs accusés de formalismeLe Comité central du PCUS [Parti Communiste de l’Union Soviétique] prend la résolution de déclarer que l’orientation formaliste de la musique soviétique est une tendance antinationale, qui conduit à la destruction de la musique.
(Meyer p. 309). On y trouvera entre autres Chostakovitch, Prokofiev, Khatchaturian, Miaskovski. Une fois de plus, Chostakovitch passe de compositeur admiré à ennemi public. Il est renvoyé de ses postes de professeur des conservatoires de Leningrad et de Moscou, et sa musique est à nouveau supprimée des programmes de concerts. Mis au ban, il doit faire amende honorable et reconnaître publiquement ses torts lors d’une séance de l’Union des compositeurs en février 1948, où il promet de suivre désormais « la bonne voie », autrement dit celle du Parti dont il suivra dès lors docilement les directives. À partir de cet instant, le compositeur fait profil bas, composant essentiellement des musiques de propagande comme l’oratorio Le Chant des forêts ou des musiques de film (La Chute de Berlin). Ses œuvres plus personnelles, il les garde pour lui, désespérant de les voir jouées un jour (les Chansons juives, le Concerto pour violon n° 1, le Quatuor à cordes n° 4). Sa conduite presque exemplaire et le soutien de son ami Mravinski, qui plaide en sa faveur et remet ses œuvres au programme des concerts, le mènent progressivement à sa réhabilitation.
L’après Staline
Le 6 mars 1953, la mort de Staline bouleverse l’Union soviétique et la vie culturelle du pays. Chostakovitch s’empresse de revenir au genre symphonique longtemps délaissé (sa dernière symphonie date de 1945) et compose sa Symphonie n° 10. Créée le 17 décembre 1953 à Leningrad, l’œuvre remporte un grand succès et suscite une fois de plus des critiques controversées dans la presse : première œuvre à se détacher des directives imposées par le décret de 1948, c’est aussi la première fois que Chostakovitch s’affirme en tant qu’individu et compositeur en signant son œuvre du motif DSCHDans la notation allemande, la suite de notes D-Es(S)-C-H (les initiales de Chostakovitch, D. Sch.) correspondent aux notes ré – mib – do - si., ce qu’il fera à plusieurs reprises par la suite. Progressivement, les choses s’améliorent au niveau de la politique culturelle. Même si le formalisme est toujours mal perçu, un vent de liberté souffle chez les musiciens et les premiers signes du dégel sont là. Les œuvres personnelles de Chostakovitch composées après 1948 peuvent enfin être jouées, tandis que d’autres sont réhabilitées. Dans sa vie privée, le compositeur connaît également quelques bouleversements : après la mort de sa femme en 1954, puis celle de sa mère en 1955, il épouse en deuxièmes nocesEn 1962, Chostakovitch se mariera une troisième fois, avec Irina Soupinskaïa. Margarita Andreïevna Kaïnova, et continue de composer : le Concerto pour piano n° 2, la Symphonie n° 11, le Concerto pour violoncelle, les Quatuors à cordes n° 7 et n° 8.
Suite à un voyage aux États-Unis en octobre 1959, où un journaliste américain se félicite que l’auteur de la Symphonie « Leningrad » ne soit pas membre du Parti communiste, Chostakovitch est « invité » à rejoindre le Parti qui lui propose de devenir secrétaire de l’Union des compositeurs de la République russe. Bien sûr, il n’est pas en mesure de refuser et accepte à contrecœurLe jour de la cérémonie de candidature à l’adhésion, Chostakovitch fait scandale en ne venant pas, montrant ainsi clairement qu’il rejoint le Parti sous la contrainte.. Malheureusement, cette adhésion forcée ainsi que plusieurs discours émaillés de phrases toutes faites encensant le PartiLe 29 aout 1961, jour où Chostakovitch devient officiellement membre du Parti, il déclare : Ces temps derniers, j’ai éprouvé le désir de plus en plus vif de rejoindre les rangs des membres du Parti communiste d’Union soviétique. Dans mes activités socio-politiques comme dans mon travail de créateur, j’ai ressenti quotidiennement le rôle majeur que jouent le Parti, le peuple et les camarades de l’Union des compositeurs d’Union soviétique. Tout au long de ma carrière, j’ai commis bien des erreurs, mais le Parti m’a aidé et m’aidera encore à les éviter.
(Meyer p. 396) lui vaudront de perdre plusieurs de ses amis qui ne lui pardonneront pas son attitude.
Les concessions faites au Parti permettent néanmoins à Chostakovitch de poursuivre plus librement son travail de création. Certaines de ses anciennes œuvres refont surface comme la Symphonie n° 4, qui n’avait jamais été jouée, ainsi que son opéra Lady Macbeth, qui retrouve le chemin des planches dans une forme remaniée et rebaptisée Katerina Ismaïlova. Commence également une période de grandes activités faites de voyages, de concertsPlusieurs festivals consacrent leur programme presque exclusivement à sa musique. et de nombreuses distinctions honorifiquesmembre des Académies royales de musique de Suède et d’Angleterre, de l’Académie des sciences américaines, du Conseil mondial pour la paix, Commandeur de l’Ordre français des arts et des lettres, membre d’honneur du Conseil international de la musique de l’UNESCO, médaille d’or de la British Royal Philharmonic Society....
Après une crise cardiaque en mai 1966, sa santé se délabre progressivement. Depuis quelques années déjà, il doit faire face à une faiblesse musculaire dans les mains, qui l’empêche de plus en plus de jouer du pianoIl jouera en public pour la dernière fois le 28 mai 1966. et d’écrire. En 1973, on lui décèle également un cancer du poumon. Il continue malgré tout de composer : le Concerto pour violon n° 2, le Quatuor à cordes n° 12, la Symphonie n° 14. Alors que tout espoir de guérir disparaît, il met toute son énergie dans ses dernières compositions, et s’éteint le 9 août 1975.
Le saviez-vous ?
Chostakovitch, passionné de sport
Dès les années 1920, l’URSS met en place une importante politique de propagande autour du sport : promouvant le modèle de « l’homme nouveau soviétique » – un individu équilibré, discipliné, en bonne condition physique et capable si besoin de défendre la nation –, elle incite la population à ne pas négliger sa santé physique et à s’adonner assidûment à une pratique sportive. Des programmes sportifs et des exercices diffusés à la radio permettent à chacun de s’entraîner, seul chez soi ou entre collègues au travail, tandis que, dès leur plus jeune âge, les enfants sont initiés à de multiples disciplines sportives à l’école. Pendant la Guerre Froide, le sport n’est plus seulement un outil de propagande interne utilisé pour discipliner les masses mais également un moyen de montrer sa puissance à l’international.
Costume-cravate ajusté, regard sévère à travers des lunettes rondes, lèvres pincées, cheveux soigneusement coiffés ramenés sur le côté…, en l’observant sur la plupart des photographies de l’époque, on ne s’imagine pas Chostakovitch amateur de jeux sportifs. Et pourtant, celui-ci était un grand amateur de sport et en particulier... de football ! Certaines images, plutôt rares, le montrent même en train de toucher du ballon rond avec son fils, Maxime.
Chostakovitch ne voulait rien manquer de l’actualité de ce sport : il lisait les journaux, suivait les retransmissions des matchs à la radio (diffusés en URSS dès les années 1930) ou à la télévision et notait rigoureusement dans de petits carnets les résultats des rencontres. Ses équipes favorites : le Dynamo de Kiev et le Zénith de Leningrad ! En 1975, quelques heures seulement avant sa mort, Chostakovitch téléphonait encore à son épouse depuis l’hôpital pour lui demander de venir : nous regarderons le football ensemble à la télévision
, lui dit-il alors (cité dans Braginsky, p. 16). Mais ce que le compositeur appréciait par-dessus tout, c’était de vivre l’expérience de la rencontre sportive en stade. Il ne perdait pas une occasion de profiter d’un match dans les gradins des supporters et ira même jusqu’à passer le concours d’arbitre en 1935. S’il ne pratiquera jamais cette profession en conditions réelles (courir 90 minutes avec les joueurs à travers le terrain n’aurait pas été une mince affaire pour lui), son permis d’exercer lui accordait une certaine distinction dans l’administration sportive et lui offrait l’accès à n’importe quel stade d’Union soviétique où il pouvait librement assister aux matchs depuis le box central.
Sa passion pour le football transparaît parfois dans sa musique. En 1928, son ballet L’Âge d’or met en scène une équipe de football soviétique en voyage dans un pays capitaliste. L’intrigue, éminemment politique, est dictée par le Parti bien sûr, mais Chostakovitch y voit l’occasion de mettre son talent de compositeur au service d’un sujet qui lui est cher, sa passion sportive l’aidant à supporter le quotidien difficile et étouffant du régime soviétique totalitaire en lui offrant un moyen d’évasion : En reportant son attention vers le football, mon père se détournait des cauchemars de la seconde vague de terreur idéologique. Le football l’a aidé à se calmer, à faire face au stress et à retrouver son équilibre
, dira plus tard son fils Maxime (cité dans Braginsky, p. 29).
Le football n’est pas l’unique sport auquel s’est intéressé Chostakovitch. Plusieurs photographies le montrent raquette en main sur un court de tennis ou jouant au volleyball avec ses enfants. Il était également grand amateur d’échecs ! Après sa mort, certaines de ses œuvres ont été jouées lors de manifestations sportives à l’image de son Ouverture festive, composée en 1954, devenue l’un des thèmes musicaux des Jeux Olympiques de Moscou en 1980.
Source principale
- Krzysztof MEYER, Dimitri Chostakovitch, Fayard, 1994
- Dmitri BRAGINSKY, Shostakovich and Football, Escape to Freedom, DSCH Publishers, 2018
Auteure : Floriane Goubault