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Œuvre
Symphonie n° 2
Jean Sibelius
Carte d'identité de l’œuvre
Carte d’identité de l’œuvre : Symphonie n° 2 en ré majeur op. 43 de Jean Sibelius |
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Genre | musique symphonique |
Composition | 1901-1902 à Rapallo (Italie) et Finlande |
Dédicataire | Axel Carpelan |
Création | le 8 mars 1902 à Helsinki (Finlande) (dirigée par Jean Sibelius) puis le 10 novembre 1903 à Stockholm (Suède) pour la version révisée |
Forme | symphonie en 4 mouvements : I. Allegretto II. Tempo andante, ma rubato III. Vivacissimo (enchaîné sans interruption avec le 4e mouvement) IV. Finale. Allegretto moderato |
Instrumentation | Bois : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons Cuivres : 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, 1 tuba Percussions : timbales Cordes : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Contexte de composition et de création
En 1900, Sibelius revient d’une tournée en Europe à l’occasion de laquelle ses œuvres (Le Cygne de Tuonela, Finlandia et la Symphonie n° 1) sont jouées à l’Exposition universelle de Paris. Cette année-là, sa plus jeune fille Kirsti, née en 1898, décède du typhus. La famille entière subit le choc de cette mort. Au début de l’été, Sibelius reçoit une lettre anonyme apportant une ouverture dans cette période tragique :
Vous avez assez longtemps gaspillé votre temps en restant chez vous, Monsieur Sibelius — maintenant, ça suffit ! Il est grand temps de partir en voyage. De préférence, vous devriez passer l’automne et l’hiver en Italie. L’Italie éternelle, un pays où l’on est capable d’apprendre la cantabilità, les proportions et l’harmonie, la plasticité et la symétrie des lignes. Voilà un pays grandiose où la laideur elle-même se veut belle ! Vous savez très bien à quel point cette Italie fut significative, voire décisive pour l’évolution artistique d’un Richard Strauss ou d’un Tchaïkovski !
Le signataire se fait rapidement connaître. Il s’agit du baron Axel Carpelan, grand mélomane finlandais et musicien lui-même, qui a entendu lors de l’Exposition universelle de Paris les œuvres de Sibelius. Grâce à lui, le compositeur obtient une bourse qui lui permet, début 1901, de s’installer plusieurs semaines avec sa famille à Rapallo, à côté de Gênes, dans une villa en location.
Sur place, Sibelius écrira :
C’est là-bas, profitant de la nature italienne au printemps, que Sibelius commence la Symphonie n° 2. Il a d’abord en tête un poème symphonique autour de Don Juan, thème probablement inspiré par la première berlinoise du Don Juan de Strauss à laquelle il a assisté quelque temps plus tôt. Progressivement, le projet prend de l’ampleur, devenant une suite de quatre poèmes sur des personnages de la Divine Comédie de Dante. Lorsque le baron Carpelan demande des nouvelles, Sibelius lui répond : Je pourrais, cher ami, vous initier à mon travail, mais je m’y refuse par principe. Pour moi, une composition musicale est comme un papillon : dès qu’on y touche, son essence s’évanouit. Voler lui est toujours possible, c’est vrai, mais sa beauté n’est plus la même !
De retour en Finlande, Sibelius change ses plans. Il passe d’une musique programmatique à une symphonie détachée de tout texte et de tout récit, une œuvre de musique pure, où tous les motifs seraient interconnectés, dans la lignée des symphonies beethoveniennes. Il dirige cette Symphonie n° 2 pour la première fois le 8 mars 1902 avec l’Orchestre de la Société philharmonique d’Helsinki. C’est un succès immédiat : trois autres exécutions sont programmées en huit jours. Les représentations se jouent à guichet fermé. Suite à ces premiers concerts, Sibelius révise la partition. La deuxième version sera jouée le 10 novembre 1903, dirigée par son beau-frère Armas Järnefelt. Le succès de l’œuvre ne réside cependant pas dans ses innovations musicales, mais plutôt parce que le public y trouve l’illustration de sa lutte contre la Russie : à l’instar de Finlandia (1900), la Symphonie n° 2 sera bientôt considérée comme une œuvre exprimant l’affirmation d’une identité finlandaise. Si Sibelius n’a jamais assumé cette couleur politique pour son œuvre, on sait qu’il a été l’un des signataires de la pétition contre le pouvoir russe lancée à la même période.
De toutes les grandes œuvres du répertoire, aucune n’est mieux calculée pour enflammer un auditoire
, écrira le critique et producteur phonographique Walter Legge, en 1935, après l’avoir entendue à Londres. Certains ne manquent pas cependant de remarquer l’originalité de la symphonie, comme le critique Karl Flodin dans le quotidien suédois Nya Pressen : Une œuvre comme la Deuxième Symphonie de Sibelius n’a pas encore résonné chez nous ; c’est à peine si nous avons entendu dans le domaine de la symphonie moderne quelque chose de comparable !
Analyse de l’œuvre
La Symphonie n° 2 de Sibelius, la plus longue écrite par le compositeur, est inscrite dans le mouvement romantique du XIXe siècle mais affirme dès le premier mouvement son originalité. Sa structure, quoiqu’héritée des formes classiques (forme sonateLa forme sonate est une forme en trois parties : une exposition qui confronte plusieurs thèmes (en général deux), un développement et une réexposition des thèmes., scherzo avec trioLe scherzo, un mouvement rapide et léger, alterne généralement avec un trio central contrasté (scherzo, trio, scherzo), on a alors affaire à un scherzo avec trio.…), se dirige vers une vision plus organique, avec l’usage de brèves cellules thématiques passant d’un timbre à l’autre pour aboutir à de vastes ensembles. Ce sont les thèmes et leurs liens qui font la structure, et non plus l’inverse. Deux principaux profils thématiques peuvent être distingués et seront valables pour toute la symphonie. Le premier est une mélodie de trois notes montante ou descendante, le deuxième débute par une longue note d’ouverture souvent suivie par une ornementation et une quinte descendante.
1er mouvement : Allegretto
Le premier mouvement, en ré majeur, est une forme sonateLa forme sonate est une forme en trois parties : une exposition qui confronte plusieurs thèmes (en général deux), un développement et une réexposition des thèmes. repensée dans un caractère fragmenté et improvisé. Après un motif rythmique (A) des cordes plusieurs fois donné sur onze noires régulières, le mouvement s’ouvre dans une ambiance pastorale, avec un thème (B) léger aux hautbois et clarinettes auquel répondent les cors. Sibelius avait affirmé à propos de cette mélodie : [c’est] la plus joyeuse que j’ai jamais écrite. Je ne comprends pas qu’elle soit souvent jouée si lentement.
Puis, introduits par les flûtes, les bassons tracent un chemin sinueux (motif C) jusqu’à l’arrivée des violons (D), dramatiques dans le silence de l’orchestre. Dialogue par bribes avec les bois, puis les cordes en pizzicato amènent le thème E, très sibélien, d’abord assez discrètement aux bois. La tension monte avant que l’orchestre en tutti ne répète ce motif épique qui conclut l’exposition, avec le retour des notes répétées de l’introduction (A) (qui avaient déjà été discrètement ré-annoncées avec l’arrivée du thème E).
Un silence, et le hautbois débute le développement en trois parties, associant lui aussi des morceaux de thèmes épars pour en faire finalement une éclatante synthèse forte. On retrouve tour à tour le motif introductif des cordes sur onze noires (A), le thème B dans une série d'imitations, puis les thèmes C et D’ vers la fin, mais c’est bien E qui est le véritable élément unificateur de cette partie.
La réexposition retrouve le motif pastoral des hautbois et clarinettes accompagné par des cors puis par un extrait de la mélodie des violons (D’’). Abrégée, elle est plus suspendue qu’au début du mouvement. Les pizzicatos des cordes avancent de nouveau sur la pointe des pieds pour nous conduire jusqu’au thème E, rendu un peu plus brillant que la première fois par l’utilisation des trompettes, avant que A ne conclue le mouvement en retrait.
2e mouvement : Tempo andante, ma rubato
Précédés par un roulement des timbales, les violoncelles et contrebasses inaugurent le mouvement lent en ré mineur, de nouveau en pizzicatos. Ce passage introductif est exceptionnellement long dans le paysage symphonique et sonne comme une suspension mystérieuse vers un événement à venir. Surgit alors aux bassons, soulignés par des roulements de timbales, le thème F, noté « lugubre » sur la partition. Cette mélodie courte et répétitive fut la première à être composée par Sibelius. Dans la villa de Rapallo, il la note le 19 février 1901 accompagnée du texte Don Juan. J’étais assis dans le noir dans mon château lorsqu’un étranger entra. Je lui demandais qui il était encore et encore – mais il n’y eut aucune réponse. J’essayais de le faire rire, mais il resta silencieux. Finalement, l’étranger commença à chanter – alors Don Juan le reconnut. C’était la mort.
Les bois puis les cordes prolongent F d’un motif plaintif qui s’accélère progressivement jusqu’au sommet de cette présentation où cordes et vents alternent avant de laisser la conclusion aux cuivres et timbales.
Sibelius ménage alors une longue pause avant l’entrée en contraste du deuxième thème principal (G) du mouvement. Composé peu après celui de Don Juan, en avril 1901 lors d’une excursion à Florence, il est simplement appelé « Christus ». En fa dièse majeur, il est porté par les cordes divisées rejointes par un accompagnement des bois en doubles croches apportant un instant de lumière avant un épisode plus sombre suivi d’une longue pause.
La suite reprend F, où sont insérés avec insistance plusieurs motifs de la première partie, comme les traits fulgurants des cordes ; d’autres motifs sont cette fois confiés à l’éclat des cuivres ou aux graves de l’orchestre, le tout ponctué de timbales grondantes.
Puis le thème G revient à son tour, dans le grave cette fois. Il est ponctué au début de derniers éclats de F puis d’un rappel des pizzicatos qui accompagnaient les bassons dans la première présentation de F, avant de se recentrer sur ses éléments initiaux.
3e mouvement : Vivacissimo
Le troisième mouvement est un scherzo avec trio. Cette forme constitue traditionnellement un moment enlevé, en contraste avec les autres mouvements.
Le premier scherzo est construit sur un mouvement perpétuel des cordes parcourant tous les registres, du grave des contrebasses à l’aigu des violons. Les bois et les cuivres enchaînent les idées thématiques (H), toutes liées les unes aux autres. Rapide et joueuse, la musique s’escamote régulièrement grâce au piano subito pour repartir de plus belle.
Dans une nuance pianissimo, les timbales introduisent le bref trio en sol bémol. Comme le veut l’usage, ce trio contraste avec le scherzo par son caractère. La mélodie délicatement pastorale du hautbois (I) commence par égrener neuf si bémol, rappelant les notes répétées du début de la symphonie.
Le scherzo reprend avec brutalité dans le fortissimo des cuivres et des timbales. Au lieu de s’en tenir à la forme typique scherzo-trio-scherzo, Sibelius insère à la suite une reprise du trio, lequel sera directement enchaîné avec le quatrième mouvement en amorçant déjà son premier thème.
4e mouvement : Finale. Allegretto moderato
Le Finale retrouve la tonalité de ré majeur et constitue sans conteste le mouvement le plus épique. De forme sonateLa forme sonate est une forme en trois parties : une exposition qui confronte plusieurs thèmes (en général deux), un développement et une réexposition des thèmes., il combine quatre thèmes, chacun accompagné de motifs secondaires.
Le premier thème (J), triomphal et lyrique, est exposé aux cordes avec une fanfare de cuivres. Après plusieurs présentations plus vibrantes les unes que les autres, un deuxième thème (K) apparaît, plus discret, en dialogue entre les cordes et les bois. Violoncelles et altos débutent un mouvement perpétuel de croches, sur lequel se déploie le hautbois, puis la clarinette et les bois en général pour un motif hésitant de marche funèbre (L). Cette marche aurait été écrite en mémoire d’Elli Järnefelt – la sœur d’Aino, épouse de Sibelius – qui mit fin à ses jours en juillet 1901. Le dernier thème (M) de l’exposition est une fanfare de cuivres dans le mode majeur, jouée deux fois.
Le développement est relativement court et fait plutôt office de transition ; au bout d’une longue montée en tension, il mène à la réexposition de J et de K. Après le retour du thème L, la musique se met à hésiter, répétant inlassablement la mélodie tandis que cordes et bois tournent en boucle dans un long crescendo. Mais le conflit est finalement résolu grâce à la fanfare M, et J revient une dernière fois dans une coda triomphale et définitivement optimiste.
Pensant la structure d’une manière presque organique, Sibelius réussit à composer une symphonie cohérente dont la musique nous interpelle immédiatement. Ses associations de timbres, son jeu autour des variations subites de tempos et de nuances, donnent naissance à une partition théâtrale et très lyrique qui s’inscrit à la suite des grands compositeurs symphoniques tels que Beethoven et Mahler.
Auteure : Coline Oddon