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Rare vibraphoniste parmi les musiciens proéminents rattachés au free jazz, Khan Jamal reste un musicien peu connu pour avoir mené l’essentiel de sa carrière dans la ville de Philadelphie où se sont nouées ses principales associations musicales.
La découverte du vibraphone
Né le 23 juillet 1946 à Jacksonville (Floride, Etats-Unis), sous le nom de Warren Robert Cheeseboro, Khan Jamal grandit à Philadelphie à une époque où le jazz y est prospère (il y entendra des musiciens « locaux » tels que John Coltrane ou Lee Morgan). Sa mère est pianiste amateur, elle joue dans un speakeasy (cabaret clandestin) pour arrondir les fins de mois. Adolescent, Khan Jamal fréquente les jam sessions, s’essayant d'abord au piano, puis au saxophone et à la flûte. Au retour d’un service militaire de deux ans pendant lequel il a stationné en France à Orléans et rencontré à Paris pendant ses permissions de nombreux jazzmen afro-américains expatriés, il découvre en 1964 le vibraphone après avoir entendu Milt Jackson en club. Il étudie l’instrument avec Bill Lewis, vibraphoniste de Philadelphie (ils enregistreront en duo en 1978).
Un style free jazz
Dans l’effervescence du free jazz, l’éveil de nouvelles spiritualités et les revendications identitaires, Khan Jamal devient l’un des principaux artisans de la scène du jazz underground de sa ville, cité à laquelle il reste profondément attaché. Après avoir créé le Cosmic Forces Ensemble, groupe qui comprend plusieurs musiciens rattachés à Sun Ra, il participe au collectif Sounds of Liberation aux côtés, notamment, de la guitariste Monnette Sudler, du batteur Dwight James et du percussionniste Omar Hill, plus tard rejoints par le saxophoniste Byard Lancaster. Entre jazz post-coltranien et influence funk, le groupe enregistre un premier album en autoproduction en une période où nombre d’artistes revendiquent le contrôle de leur production. Avec certains d’entre eux, Khan Jamal forme également le Creative Arts Ensemble dont une prestation dans un club de Philadelphie en 1972 est publiée de manière confidentielle (Drum Dance to the Motherland). Deux ans plus tard, à l’occasion d’un séjour à Paris, il enregistre un disque à l’initiative de Jef Gilson, sur lequel il joue aussi des marimbas. À Philadelphie, il est membre actif d’une nébuleuse de musiciens à laquelle appartiennent Byard Lancaster et Monnette Sudler qui se retrouvent au sein de différentes formations, au gré des associations, tel le groupe Untouchable Factor du batteur Sunny Murray, qui compte aussi dans ses rangs le saxophoniste David Murray (1976), ou le Change of the Century Orchestra, aux apparitions renouvelées de loin en loin (concert à Berlin en 1987).
Fidèle à Philadelphie
Au début des années 1980, Khan Jamal appartient à la Decoding Society du batteur Shannon Jackson, joue dans le sextet du saxophoniste Jemeel Moondoc (album Konstanze Delight, 1981), et participe à la création de pièces du violoniste Billy Bang (album Outline n° 12, 1982) et du saxophoniste Joseph Jarman (album Liberation Suite, 1982). En 1984, il signe Dark Warrior, un disque pour SteepleChase auquel participe le saxophoniste Charles Tyler, premier d’une série d’albums pour des labels européens qui contribueront à le faire mieux connaître des amateurs de jazz. Au gré des occasions, il est associé à des musiciens tels que le contrebassiste sud-africain Johnny Dyani (album The Traveler, 1986), le bassiste électrique Jamaaladeen Tacuma (album Thinking of You, 1987) ou des figures de la scène des lofts new-yorkais telles que Dave Burrell ou William Parker (album Speak Easy, 1988).
Ce sont cependant les musiciens qui, comme lui, ont fait le choix de rester implantés à Philadelphie qui sont ses plus fréquents collaborateurs. Demeurant le principal vibraphoniste associé à la Loft Generation, il est à la fin des années 1990 sollicité par des musiciens plus jeunes qui s’inscrivent dans la descendance du free jazz tels que le trompettiste Roy Campbell ou le pianiste Matthew Shipp. Par le biais de ce dernier, la sonorité de son instrument se trouve ainsi mêlée au rap d’Antipop Consortium ou aux platines de DJ Wally dans des tentatives d’hybridation entre jazz et nouvelles musiques urbaines. Sous son nom, Jamal enregistre des disques pour le label CIMP dans lesquels il expérimente avec le violoncelliste Dylan Taylor, renoue avec d’anciens partenaires comme Mondoc et Grachan Moncur III, et s’essaye au balafon (album Balafon Dance, 2002). Grâce à un producteur français, il signe en 2005 un disque intitulé Return from Exile qui lui permet de revenir jouer en Europe à la faveur de la réunion du Sounds of Liberation Orchestra l’année suivante. En 2007, il célèbre la mémoire de John Coltrane en réunissant deux des principaux saxophonistes de Philadelphie, compagnons de route de longue haleine, Byard Lancaster à l’alto et Odean Pope au ténor.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juin 2010)