Accueil / Boîtes à outils / Dr Jekyll et M. Hyde / Robertson - Dr Jekyll et M. Hyde
Page découverte
Dr Jekyll et M. Hyde John Stuart Robertson
Qui est John Stuart Robertson ?
Tout d’abord acteur, John Stuart Robertson réalise ensuite, entre 1915 et 1935, plus de 50 films de genres très différents. Mais son nom reste essentiellement associé à son adaptation de Dr Jekyll et M. Hyde, la première sur une durée de long-métrage. La nouvelle de Stevenson a été adaptée plus de 100 fois, au cinéma, au théâtre ou à la télévision. Étrangement, aucune n’est fidèle au texte original car presque toutes racontent l’histoire du point de vue de Jekyll. Le suspense ne consiste plus à expliquer une série d’événements étranges, mais à se demander si le docteur Jekyll parviendra à se débarrasser de son double encombrant.
Résumé de l’intrigue
Le docteur Jekyll partage son temps entre de mystérieuses recherches personnelles et les soins qu’il prodigue aux plus pauvres. Il est par ailleurs fiancé à Millicent, dont le père, Sir Carew, affirme que l’homme « fort »sous entendu digne, comme lui, d’occuper une place en vue dans la société doit avoir fait l’expérience du mal avant de prétendre s’en débarrasser. Il entraîne donc son futur gendre, un peu trop parfait à son goût, au cabaret, lieu de débauche par excellence. Jekyll y est très troublé par la présence d’une jeune danseuse et préfère fuir. Il prend conscience, pour la première fois de sa vie, de ses instincts primaires
, nous indique le carton du film.
Jekyll s’enferme dans son laboratoire afin de mettre au point la formule qui le transforme en Hyde, puis retourne voir la danseuse au cabaret. Plus tard, Hyde agresse sauvagement un enfant et dédommage la famille en lui donnant un chèque signé Jekyll. Intrigué, Sir Carew rend visite à Jekyll et lui reproche ses mauvaises fréquentations. Se transformant alors involontairement en Hyde, Jekyll attaque Carew et le tue à coups de canne. Redevenu lui-même, Jekyll n’ose plus sortir car il lui manque des produits indispensables à la fabrication de sa potion. Lorsque Millicent lui rend visite à son tour, Jekyll la supplie de partir, mais se transforme à nouveau irrésistiblement et c’est Hyde qui ouvre la porte et attaque la jeune femme. Comme Jekyll vient d’avaler du poison afin de mettre fin à son dilemme, Hyde se trouve mal et Millicent s’enfuit sans se retourner. Dans la mort, Jekyll reprend son apparence normale et le docteur Lanyon peut ainsi faire croire à Millicent que Hyde est à la fois le meurtrier de son père et du « pauvre » Jekyll.
Analyse du film et des personnages
Le docteur Jekyll est présenté d’emblée comme une personnalité à deux facettes. Il mène des expériences sur le corps et l’esprit de l’être humain, ce que réprouve son ami Lanyon, mais il consacre aussi une partie de son temps à soigner les pauvres. Par contre, les femmes ne semblent pas l’intéresser et à aucun moment il ne manifeste une réelle affection pour Millicent, jeune femme réservée et discrète. Pourtant, lorsque Sir Carew refuse la main de sa fille à Jekyll, celui-ci a beau jeu de rappeler que c’est Carew lui-même qui l’a « initié » à la dépravation. Sir Carew personnifie l’hypocrisie des classes aisées de la société anglaise de l’époque : en privé, il assume clairement son point de vue et le justifie en affirmant que le seul moyen de supprimer la tentation est d’y céder.
En dépit de comportements opposés, Sir Carew et Jekyll représentent deux faces d’une même réalité : la présence du mal en chacun des hommes. Le premier la considère comme normale, tandis que le second espère y échapper en ayant recours à la science.
Dans le film, la violence de Hyde s’exerce en grande partie sur les femmes, comme si Jekyll voulait leur faire payer sa faiblesse face à la danseuse, vécue comme une véritable humiliation. Ce rôle de victime attribué aux femmes est repris et développé dans les deux adaptations suivantes, celle de Robert Mamoulian, en 1932, qui permet à Friedrich March d’obtenir l’oscar du meilleur acteur pour son interprétation du Dr Jekyll, puis celle de Victor Fleming, en 1941, avec trois futures vedettes : Lana Turner, Ingrid Bergman et Spencer Tracy. Ces films exploitent davantage la présence des deux femmes, sans les caricaturer : elles sont toutes les deux sincères et victimes de Hyde.
Comparaison avec la nouvelle de Stevenson
Des modifications importantes par rapport à la nouvelle apparaissent dès la première adaptation au théâtre, du vivant même de son auteur. Il ne peut en effet être question de monter une pièce sans rôle féminin et le raisonnement des producteurs est le même pour les films, Hollywood oblige. Voilà comment le Dr Jekyll gagne une fiancée.
Dans le film de Robertson, les deux personnages principaux sont Sir Carew et Jekyll. Les autres personnages sont presque réduits à de la figuration. Le notaire Utterson, par exemple, n’intervient que pour évoquer le testament de Jekyll où figure l’adresse de Hyde, alors qu’il était le fil conducteur de la nouvelle de Stevenson.
L’autre grande modification concerne le personnage de Sir Carew. Décrit comme une personnalité importante socialement dans la nouvelle de Stevenson, il n’y joue toutefois que le rôle du « cadavre de trop ». Dans le film, il garde son statut social mais, en tant qu’ancien débauché « qui a tout connu », il entraîne Jekyll dans les lieux de luxure afin de lui prouver qu’il est impossible d’être totalement bon. Comme le personnage de Sir Carew est également devenu le père de la fiancée de Jekyll, le film ajoute une dimension tragique au drame original : celle de l’homme qui tue le père de sa promise. Heureusement, la jeune fille attribue le meurtre à Hyde et Jekyll meurt en expiant sa faute. Cette fonction attribuée à Sir Carew fait toute l’originalité de l’adaptation de Robertson. En développant le rôle de la jeune femme séductrice et celui de la fiancée, les autres adaptations enrichissent certes la constellation des personnages mais déplacent aussi l’enjeu psychologique.
Auteur : Bernard Loyal