Crédits de l’exposition
- Commissaires : Pascal Huynh ; Pierre Korzilius ; Emmanuel Hondré ; Frédéric Dassas
- Scénographie : Véronique Dollfus
- Textes pédagogiques : Véronique Rieffel
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Expositions temporaires du musée de la musique
L’exposition Le IIIe Reich et la musique présentée au Musée de la musique à l’automne 2004 s’inscrit dans le cadre d’un ensemble de manifestations fédérées autour d’un thème commun : celui des rapports qu’entretiennent musique et société. Ces rapports sont envisagés sous l’angle des tensions qui existent entre l’artiste et la collectivité, soit pour nourrir son élan créateur, soit au contraire pour le contredire. C’est en ce sens que sont par exemple abordés des enjeux comme l’engagement de l’art, les conflits politiques et esthétiques, les rapports entre nationalisme et internationalisme, la censure ou l’exil.
L’exposition est consacrée à l’étude des tentatives faites par le IIIe Reich pour définir les critères d’une musique conforme à l’idéal national-socialiste. Elle s’attache à replacer la question musicale dans le contexte général des condamnations prononcées par le régime contre les formes de l’art qualifiées de dégénérées.
Dans l’intention affichée d’asservir la culture aux principes fondamentaux du national-socialisme, Adolf Hitler et Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, accordent une attention toute particulière à la musique, perçue comme l’art le plus allemand qui soit, seul l’être germanique pouvant en saisir l’essence métaphysique.
Faisant suite à l’Introduction, l’exposition est articulée autour de quatre grandes parties : les figures du patrimoine, la création contemporaine, musique et résistance, outils et mécanismes de propagande.
La Cité de la musique présente la première exposition d’envergure sur ce thème. Elle est le fruit d’une étroite collaboration avec une quarantaine d’institutions muséales allemandes, autrichiennes, belges, suisses et françaises qui ont consenti le prêt de précieux documents issus de leurs collections se déclinant sur une pluralité de supports : dessins, affiches, peintures, sculptures, photographies, partitions et films mis en valeur par la scénographie de Véronique Dollfus.
Soulignons la présence d’œuvres d’une qualité picturale exceptionnelle,comme les lithographies de George Grosz et Oskar Kokoschka, les aquarelles d’Emil Nolde ; ou encore les oeuvres répondant aux canons esthétiques officiels tel le buste de Wagner sculpté par Arno Breker, ainsi que des tableaux exposés dans les grandes expositions d’Art Allemand entre 1937 et 1942.
À Munich en 1937 et à Düsseldorf l’année suivante, des manifestations officielles (journées musicales du Reich, concert de l’orchestre symphonique du Reich à l’usine Schiess-de Fries, le 23 mai 1938, discours de politique musicale de Joseph Goebbels à la Tonhalle, le 28 mai 1938, exposition Musique Dégénérée) illustrent la conception manichéenne de l’art.
Ces expositions exaltent la fusion de l’être allemand dans la communauté nationale et populaire tout en fustigeant la modernité artistique du premier tiers du XXe siècle. Les condamnations prononcées contre les formes d’art dites dégénérées donnent lieu à une édifiante théâtralisation. Ces « cabinets des horreurs » sont affublés de slogans diffamatoires désignant les « déraillements » des Modernes.
Toute l’esthétique nazie est dès le départ, dans son « programme » même, « mise au pas ». Elle a pour objectif de mettre sous tutelle par l’image, la parole et le son toute forme d’expression qui doit uniquement servir les desseins du régime et appartenir au « corps ethnique » (Volkskörper), sans échappatoire possible et sans restriction aucune, à l’exclusion de toute forme non admise : « Ton ethnie est tout, toi tu n’es rien » (Dein Volk ist alles, du bist nichts).
Le premier volet de l’exposition examine la question du patrimoine musical, de son assimilation par les représentants de l’avant-garde de Weimar, et le processus de récupération des grandes figures de l’histoire musicale dans le but de conforter la démarche idéologique du régime national-socialiste.
Aux yeux de Joseph Goebbels, ministre de la Propagande, les grands maîtres du passé incarnent la majesté du peuple allemand. La question de la place conférée à des compositeurs comme Bach, Beethoven, Wagner et Bruckner revêt de ce point de vue une importance cruciale.
Cette partie évoque l’ambiguïté d’un amour commun pour une même musique à laquelle Modernes et « officiels » attribuent une valeur différente. Ainsi, un monde sépare les sombres lithographies d’Oskar Kokoschka, hommage visuel à la cantate O Ewigkeit, Du Donnerwort de Bach, de l’hommage du peintre Edmund Steppes « À Jean-Sébastien Bach », artiste reconnu et admiré par Hitler.
À partir de l’étude d’un certain nombre de courants allemands ou étrangers antérieurs à l’avènement du nazisme et rejetés par ce dernier (jazz, expressionnisme, musique atonale, musique légère, etc.), il s’agit dans un second temps d’expliciter à travers l’idée de création moderne les présupposés théoriques et idéologiques ayant étayé leur condamnation en éclairant d’autres domaines artistiques, en particulier celui des arts plastiques. Les grandes figures fondatrices de la modernité (Schönberg, Busoni, Pfitzner, Schreker, Krenek, Nolde, Weill) sont évoquées, notamment en liaison avec l’évolution des différentes formes lyriques (monodrame, sketch, opéra d’actualité, opéra-jazz, opéra-revue).
Bertolt Brecht et Kurt Weill, les deux principaux artisans de l’avant-garde dramatique se rencontrent en 1927 et inaugurent leur collaboration par Mahagonny-Songspiel, un projet scénique destiné au Festival de Baden-Baden le 18 juillet 1927.
Ce projet des deux artistes marque la volonté de rompre avec la tradition lyrique. Le propos expérimental (projections de Caspar Neher, caractère artisanal de la mise en scène, fusion des dimensions de la répétition et de la création) s’accompagne d’une déclaration anarchiste qui provoque un scandale parmi le public mondain du festival.
À ces propositions avant-gardistes condamnées par le régime nazi s’opposent les productions restauratrices de Richard Strauss, Werner Egk et Carl Orff, marquées par le primat de la mélodie, la dimension du populaire germanique et le rituel médiéval.
Cette troisième partie s’attache à retracer, au-delà d’un propos manichéen, l’ambiguïté de réactions individuelles ou collectives face au nazisme : s’exiler et survivre, résister et mourir.
En 1933, de nombreux artistes fuient l’Allemagne nazie, d’autres créateurs restés sur le sol allemand sont frappés d’interdit. Ils s’opposent alors au régime en se réfugiant dans un exil intérieur.
Ainsi, bien que membre de l’Académie prussienne des Arts, Emil Nolde est stigmatisé dans l’exposition Art Dégénéré de 1937. Ses œuvres sont retirées des musées. C’est dans la clandestinité qu’il continue à peindre ces œuvres de petit format appartenant à une série d’aquarelles intitulées « Images non peintes ».
À l’écart de la vie musicale officielle, le pouvoir s’attache à régler la question juive, focalisation de Hitler dans Mein Kampf. De 1933 à 1941, le régime décide d’isoler les membres de la communauté juive au sein d’une Alliance culturelle qui développe une importante vie musicale censurée par l’État. Privés de toute légitimité professionnelle par les nouvelles lois raciales, ses membres doivent s’organiser de manière militante pour survivre.
La politique du ghetto s’amplifie en 1941, quand la ville-forteresse de Terezin (Theresienstadt) est utilisée comme camp de concentration des juifs d’Europe centrale. Antichambre des camps d’extermination de l’est, elle accueille des compositeurs et musiciens comme Viktor Ullmann, Gideon Klein et Pavel Haas qui périssent à Auschwitz.
Écrit par Wolfgang Langhoff et Rudi Goguel au camp de Börgermoor en 1933-1934, Le chant des marais (adaptation de Die Moorsoldaten) est l’une des premières œuvres nées dans l’univers concentrationnaire.
Résister signifie ici s’affirmer pour contrer les tentatives de briser l’homme prisonnier, garder espoir et courage en dépit de la situation déprimante, vouloir vivre face à la mort omniprésente.
À Terezin, que les nazis présentent comme un camp modèle à l’opinion internationale, la musique est pratiquée dans un cadre officiel mais aussi de manière spontanée. On y compte des représentations d’opéras, de musique de chambre, un ensemble de jazz, des spectacles de cabaret et de revue ou encore un studio de musique nouvelle.
À Auschwitz, la musique fait aussi partie de la vie quotidienne.
Du festival de Bayreuth au camp de Terezin, le régime nazi maîtrise parfaitement les outils aptes à emporter l’adhésion du peuple allemand et à ménager la communauté internationale. L’image véhiculée par les actualités et les films de propagande donne l’idée d’une communauté nationale unie et indissoluble. Le régime s’appuie sur une vie musicale très riche, dominée par la qualité des productions symphoniques et lyriques. L’Orchestre Philharmonique de Berlin rayonne à l’étranger malgré des campagnes de boycott.
La vie musicale est réglée par le poids des associations (Jeunesses hitlériennes, La Force par la joie). La pédagogie et les mouvements de masse font l’objet d’un accompagnement idéologique très présent. La direction de la Jeunesse du Reich (RJF, Reichsjugendführung) organise la musique au sein des Jeunesses Hitlériennes. Celle-ci prend en charge l’enseignement musical en dehors de l’école à travers la Hitlerjugend (HJ) pour les garçons et le Bundeutscher Mädel (BDM) pour les filles, seuls groupements de jeunesse autorisés à partir de 1936. À côté du professeur de musique du secteur privé ou du conservatoire, un nouveau personnage apparaît, celui de « dirigeant musical pour la jeunesse ». Le principe fondamental régissant l’organisation de ce mouvement est la croyance en l’essence communautaire de la musique qui vise au retour d’une organisation sociale de type féodal.
L’éducation musicale a pour objectif de remplacer la Gesellschaft, organisation individualiste, par la Gemeinschaft, organisation sociale holistique. En découle une pédagogie entièrement orientée vers des pratiques collectives censées dessiner une nouvelle unité du peuple, fondée sur la participation active au groupe.