Crédits de l’exposition
- Commissaires : Marcella Lista, Eric de Visscher
- Suivi des opérations scénographies : Olivia Berthon, Dictino Ferrero, Alice Sabatier
- Conception lumière : Julia Kratsova
Accueil / / Exposition Paul Klee Polyphonies à la Philharmonie de Paris
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Expositions temporaires du musée de la musique
Ainsi que le relevaient déjà ses contemporains, la musique traverse l’œuvre de Paul Klee à plus d’un titre. Elle se présente comme l’un des modèles possibles pour la peinture, aux côtés de la poésie et des arts de la scène.
Né dans une famille de musiciens, Klee se forme dès la première heure à la pratique du violon et l’entretient sa vie durant. Seul, en duo avec son épouse la pianiste Lily Stumpf ou en quatuor, il interprète de préférence les compositeurs de son panthéon privé : Bach, Mozart, Beethoven, Brahms. Une culture musicale exigeante ressort de ses écrits, touchant à la musique instrumentale autant qu’à l’opéra, au répertoire comme aux compositeurs contemporains qui, de Schönberg à Stravinski, de Bartók à Hindemith, font l’histoire de la modernité. De sa prédilection pour l’« âge d’or » que représentent à ses yeux l’art polyphonique de Bach et l’opéra de Mozart, Paul Klee a tiré un idéal esthétique. Celui-ci forme l’aiguillon d’une recherche incessante, dans la forme, le style, la technique et le sujet de la peinture. Toute la singularité de l’œuvre se révèle dès lors dans la pluralité et l’étendue de ses registres, où figuration et abstraction trouvent une égale légitimité. Inspirée par l’idée de polyphonie, elle aspire à une totalité travaillée, construite, à la fois multiple et organisée.
Si le peintre suisse figure aujourd’hui parmi les plus grands artistes du XXe siècle, ses liens avec l’art musical sont avérés et connus : né dans une famille de musiciens, pratiquant le violon dès l’âge de sept ans, il fréquente salles de concerts et opéras dès son enfance et, jeune adulte, il hésitera entre une carrière musicale et une aventure artistique inédite dans sa famille. C’est pourtant cette voie-là qu’il choisira, abandonnant cette « bien-aimée ensorcelée » au profit de « la déesse du pinceau au parfum d’huile ».
Mais cette conquête de nouveaux territoires est longue et ce n’est qu’après plus de quinze ans de travail constant, où la musique lui sert tantôt de gagne-pain, tantôt de nourriture intellectuelle, qu’il peut affirmer, au retour d’un voyage en Tunisie, en 1914 Je suis peintre !
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Optant pour un parcours volontairement chronologique, l’exposition rassemblant plus de 130 œuvres et 70 documents éclaire le cheminement de l’artiste à travers les débats esthétiques les plus significatifs de son temps. Elle offre de redécouvrir une figure singulière de la modernité, irréductible aux schémas traditionnels de l’histoire de l’art, qui opposent habituellement figuration et abstraction, table rase et conservatisme.
Formé dès son plus jeune âge à la musique classique, Paul Klee développe très tôt un jugement pointu en matière d’interprétation. Parallèlement à sa propre pratique de violoniste, il commente la vie musicale de son temps dans son journal, sa correspondance, et parfois dans des recensions de concerts. Sa pratique de la musique de chambre, notamment avec sa compagne Lily Stumpf, pianiste, est intense et explore le grand répertoire classique, de Mozart, à Schumann, de Beethoven à Dvorak. L’opéra le passionne : Mozart toujours, mais aussi Wagner ou Debussy.
Son aspiration à la carrière de peintre le conduit cependant à Munich en 1898. Il entre à l’Académie chez le peintre symboliste Franz von Stuck. Foyer du mouvement Jugendstil, Munich est le lieu d’une innovante recherche graphique, s’épanouissant dans l’illustration et la caricature.
Klee entreprend une série de gravures à l’eau-forte, sous le titre, inspiré par Jean-Sébastien Bach, d’Inventions. Ces miniatures – onze entre 1902 et 1905 – sont guidées par l’étude de Dürer, Goya, Daumier. Elles livrent une méditation satirique sur l’idéal artistique et sa disposition à l’échec. J’ai conçu l’idée audacieuse de tenter une satire dans le grand style
, écrit-il à Lily Stumpf. L’artiste évoque là une proximité du comique et du tragique qui deviendra l’un des traits récurrents de son œuvre.
À l’automne 1911 à Munich, Klee entre en contact avec le groupe du Blaue Reiter (le Cavalier Bleu), constitué par Vassily Kandinsky et Franz Marc, et participe à leurs expositions collectives. Avec eux, il fréquente notamment l’œuvre d’Arnold Schönberg. Le Blaue Reiter défend, d’un côté, un travail sur la couleur pure allant jusqu’à l’abstraction, et de l’autre, le projet d’un nouveau dialogue des arts, où la musique constitue un modèle majeur.
Dans ce contexte, Klee découvre les œuvres de Robert Delaunay, auquel il rend visite à Paris dès avril 1912. Il identifie alors dans l’usage « constructif » de la couleur, à l’œuvre dans la série des Fenêtres, les prémisses d’un parallèle entre la peinture et la musique polyphonique.
Son voyage en Tunisie avec August Macke et Louis Moilliet, au printemps 1914, donne lieu à un investissement décisif de la couleur dans sa propre peinture. Art – nature – moi. […] Je me suis attaqué à une synthèse de l’architecture de la cité et de l’architecture du tableau
, écrit-il dans son Journal, avant d’affirmer : La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. […] la couleur et moi sommes un : je suis peintre
.
Mobilisé sur le front allemand en 1916, après avoir perdu ses amis proches August Macke et Franz Marc, Klee s’engage dans une période de recherche picturale intensive, tant sur le plan technique et formel que sur celui de l’iconographie. L’artiste développe le collage, l’assemblage et l’usage de matériaux texturés, tactiles, tels que la colle d’amidon, la gaze, le plâtre. Dans son Journal, il précise le lien essentiel, désormais, entre nature et abstraction : J’occupe un point reculé, originel de la création, à partir duquel je présuppose des formules propres à l’homme, à l’animal, au végétal, au minéral et aux éléments, à l’ensemble des forces cycliques
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Son œuvre connaît une réception significative dans le cercle Dada de Zurich, où il est invité à exposer par Hans Arp, Hugo Ball et Tristan Tzara. Son intérêt pour la poésie, qui passe par la collection de poèmes chinois, indiens, et la lecture de publications d’avant-garde (futuristes, orphistes et dadaïstes), le conduit à des expériences proches de celles menées au Cabaret Voltaire, où l’abstraction du langage se veut l’amorce d’une nouvelle universalité. À cette époque, Klee rencontre l’univers du compositeur et pianiste Ferrucio Busoni, défenseur d’un « nouveau classicisme », qui le marquera durablement.
Au début de l’année 1921, Klee prend son premier poste d’enseignement au Bauhaus de Weimar, institution pionnière dans le développement de recherches artistiques transversales. La musique passe alors au premier plan parmi ses investigations théoriques.
L’artiste cherche à transposer dans la peinture les notions propres au langage musical : la polyphonie par le travail de la transparence, notamment à l’aquarelle, l’harmonie par les effets conjugués de couleurs mates posées en grilles souples et aérées, le rythme, enfin, par la scansion régulière de la surface picturale. Parallèlement, sa peinture se peuple de figures d’opéra et de théâtre qui font du tableau un équivalent de la scène.
Au Bauhaus, Klee rencontre les compositeurs Igor Stravinski, Béla Bartok, Paul Hindemith, ainsi que Stefan Wolpe et Erwin Schulhoff. Il s’intéresse aux instruments de musique mécanique et à la radio.
Avec ses collègues de la Bauhausbühne, dirigée par Lothar Schreyer, puis Oskar Schlemmer à partir de 1923, Klee partage un imaginaire fortement inspiré des masques, marionnettes et automates issus, entre autres, des Contes fantastiques d’E.T.A. Hoffmann. À cette période, il réalise un petit théâtre de marionnettes pour son fils Felix, s’inspirant de certaines figures du Bauhaus.
En 1928, Klee publie dans la revue du Bauhaus un texte intitulé « Recherches exactes dans le domaine de l’art ». L’artiste y évoque le projet d’un nouveau système de la peinture, inspiré par ce qu’il considère comme l’« âge d’or » de la musique : Ce qui était déjà accompli pour la musique avant la fin du XVIIIe siècle vient enfin de commencer dans le domaine plastique. Mathématique et physique en fournissent la clé sous forme de règles à observer ou dont s’écarter
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À la suite d’un voyage en Égypte, au cours de l’hiver 1928-1929, l’artiste engage une nouvelle réflexion sur l’espace pictural, mêlant plans et perspectives multiples dans un réseau d’aplats colorés.
En 1930, il accepte un poste à l’académie de Düsseldorf, où il reste jusqu’à son renvoi en 1933 par le pouvoir nazi. Abordant avec une maîtrise nouvelle le format du tableau de chevalet, il diversifie les transpositions imaginatives des formes musicales en peinture. Ses compositions, plus amples, et aérées, cherchent à détailler un nouveau langage « polyphonique », à travers des techniques variées. Le rythme, la battue, la mesure et le mode font l’objet de transpositions imaginatives qui mêlent rigueur théorique et libre « respiration » organique de l’œuvre. Mozart et Haydn réapparaissent comme les modèles absolus d’un art constructif, qui se veut intemporel par-delà sa modernité.
Les milliers de feuillets qui forment l’imposant corpus de son Legs pédagogique témoignent de l’intense activité spéculative qui guide son œuvre de maturité.
Rentré à Berne en 1933, où il demeure jusqu’à sa mort en 1940, Klee livre un sombre commentaire du nazisme dans des œuvres graphiques incisives, où s’expose la dislocation de la figure humaine.
Une sclérodermie se déclare en 1935, entrainant une atrophie progressive de ses facultés vitales. Dès 1937, la pratique du violon lui est interdite. Le geste de l’artiste se schématise. La série Eidola, en 1940, parachève une extrême économie du tracé dans une frise de figures stylisées au crayon ou à la plume sur des formats identiques. Ce titre générique désigne l’apparition d’images idéalisées, telles qu’elles subsistent, à l’état fantomatique, après la mort. Les figures de musiciens fantomatiques font fusionner corps et instrument, donnant à lire dans l’intimité du jeu musical une forme ultime de l’art.
En ce sens, la production tardive de Klee semble renvoyer au constat que Franz Marc écrivait du front en 1915, voyant dans la peinture de son temps un monologue, comme le sont aussi les œuvres de Bach, dont la musique au fond n’a pas besoin d’auditeurs
. Le pathos et l’expression apparaissent entièrement résumés dans la ligne, l’expérience musicale dans une image devenue hiéroglyphe.
En prolongement de l’exposition, un espace de 220 m2 est dédié au jeune public et aux familles. 15 modules participatifs permettent d’appréhender l’univers poétique et artistique de Paul Klee : puzzles tactiles, tableaux aimantés et projections lumineuses, mur pour dessiner, théâtre de marionnettes, marelle au sol géante, jeux sonores, sollicitent les sens et l’imagination des joueurs et constituent autant de voies d’accès à l’œuvre fascinante de l’artiste.
Un dispositif particulier est mis en place pour l’accueil des enfants handicapés.
Librairie
Coédition : Actes Sud
Collections : Catalogues d'exposition
Parmi les artistes majeurs de la première moitié du XXe siècle, Paul Klee se distingue par sa pratique suivie de la musique, tant comme violoniste de niveau professionnel que comme auditeur enclin à partager son appréciation intime du langage musical.