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Johann Strauss (1825-1899)
La valse : une affaire de famille
Il est parfois difficile de distinguer la musique de l’un ou l’autre des Strauss (en dehors de quelques valses célébrissimes). Les salles où ils se produisent à Vienne indiquent d’ailleurs seulement « Strauss » sur les affiches.
Johann Strauss (le père) entame sa carrière au début du XIXe siècle dans un orchestre de danse, puis devient chef de son propre orchestre de 200 musiciensIl divise son orchestre en petites formations et les fait jouer aux quatre coins de la ville.. Il est alors surnommé « le roi de la valseIl en compose plus de 250. » et devient à 44 ans directeur des bals au château de SchönbrunnC’est la résidence de l’empereur François-Joseph Ier d’Autriche, qui y passe presque tout son temps et y meurt en 1916.. Le rapport conflictuel qu’il a eu avec son fils Johann depuis le début se détend heureusement juste avant sa mort. Johann (le fils) a alors 24 ans et peut enfin espérer faire une carrière à la mesure de son talent.
Johann fils reprend l’orchestre de son père et, par le raffinement de son écriture, donne ses lettres de noblesse à la valse. À 28 ans, à bout de force en raison du surmenageSon activité de chef impose de très nombreux déplacements, y compris sur d’autres continents. (il est victime d’une attaque), il prend sept semaines de repos et demande à son frère Josef de lui succéder. Dès lors, c’est principalement la composition qui occupe son temps (en dehors de quelques concerts de prestige) ; ses plus belles œuvresIl est l’auteur d’environ 500 œuvres. naissent durant cette période.
Josef se destinait à une carrière d’ingénieur. Il accepte non sans réticence de reprendre le flambeau, mais se trouve lui aussi pris dans la spirale infernale du surmenage et demande à son tour à son frère (Eduard, le cadet) de prendre la suite, ou tout du moins de le seconder. Lui et Johann fils dominent la scène viennoise durant vingt ans, jusqu’à la fin des années 1870.
Eduard, qui se destine à une carrière de consul, devient finalement harpiste dans l’orchestre de son frère Johann, puis prend le relais des deux frères à partir de 1861 (il a alors 26 ans).
L’un des grands mérites des Strauss est d’avoir transformé une danse rurale en une danse brillante capable d’étourdir Vienne et l’Europe entière (mais aussi la Russie et les États-Unis). L’art raffinésa connaissance des compositeurs classiques l’y aidant de Johann Strauss fils lui inspire des thèmes plus riches, permettant à la valse d’entrer dans le domaine de la musique savante. Lors d’une cérémonie d’hommage pour ses 69 ans, Johann fils rappelle quels sont les mérites de ses prédécesseurs dans le succès inconcevable de cette danse ; très humblement, il estime n’avoir eu qu’une mince contribution à l’élaboration du genre : c’est l’œuvre d’une famille.
Le plus brillant de tous : Johann Strauss fils
Johann Strauss fils est capable d’écrire les premières mesures d’une valse dès l’âge de six ans. Une bien sombre perspective pour son père, qui prévoit pour lui un emploi de banquierJohann sort d’ailleurs premier de ses études commerciales à l’Institut polytechnique. ! Avec la complicité de sa mère, il parvient malgré tout à suivre des cours de piano et de violon (avec le 1er violon de l’orchestre de son père) dans le plus grand secret. Le travail porte ses fruits, mais il faut attendre que le père quitte le foyer, lorsque Johann a dix-sept ans, pour que de solides études musicales puissent être entreprises (violon, théorie, composition). Dans la foulée, il obtient l’autorisation de donner des concerts publics alors qu’il n’est pas encore majeur, et forme son premier orchestre. Il fait alors entendre ses premières œuvres, qui recueillent l’éloge des critiquesUn journal de Vienne écrit un peu plus tard : Il est maintenant certain que Strauss père a trouvé un successeur en la personne de son fils.
. Son autorité devient si éclatante que son père ne peut plus l’ignorer, mais il met tout en œuvre pour gêner son ascension, jusqu’à ce qu’une réconciliation tardive ait lieu.
À la mort de son père, Johann réunit les deux orchestres prestigieux de son père et de lui-même, appartenant aux 1er et 2e Vienna Citizens’ RegimentsSon père était chef du 1er, lui-même dirigeait le 2e. et hérite, grâce à leur réconciliation in extremis, de tous ses contrats, dont le titre prestigieux de directeur des bals au château de Schönbrunn (qui sera ensuite transmis à Josef).
Les voyages sont nombreux (moins nombreux cependant que pour son père), à la mesure du prestige immense obtenu par les Strauss : en EuropeLe Beau Danube bleu dans sa version orchestrale est joué pour la première fois lors de l’Exposition universelle de 1867 à Paris., en Russie, aux États-UnisIl dirige, à 47 ans, quatorze « concerts monstres » (selon sa propre expression) à Boston, et quatre à New York.. Rares sont les événements à Vienne et en Europe auxquels Johann fils ou un de ses frères ne participent pas. Johann est considéré comme le premier compositeur de danses d’Europe, dans une Vienne qui connaît son apogée et rayonnepériode correspondant au très long règne de l’empereur François-Joseph Ier comme jamais en Europe.
Spécialisé dans un répertoire légerIl compose par ailleurs plusieurs opérettes., Johann Strauss fils est pourtant admiré par de nombreux compositeurs au style plus sérieux, comme Wagnerqui le considère comme le cerveau le plus musical qui fut jamais
, Verdiqui le considère comme l’un de ses collègues les plus doués
ou BrahmsDeux ans avant sa mort, celui-ci trouve une ressemblance frappante avec l’orchestration de Mozart dans une des opérettes de Johann Strauss. Par ailleurs, il écrit une dédicace sur l’ombrelle de Mme Strauss en notant les première notes du Beau Danube bleu et en ajoutant : Hélas, pas de moi.
… En contrepartie, lui et son frère Josef font justement figurer bon nombre d’œuvres de ces compositeurs à leurs concerts. Hommage suprême, les trois compositeurs de l’école de VienneSchönberg, Berg et Webern, pionniers dans les musiques les plus avancées du XXe siècle, transcrivent certaines des valses des Strauss pour ensembles de musique de chambre.
L’essentiel
- Les Strauss : ce sont un père et ses trois fils qui transforment à la grande époque de Vienne une danse populaire en un divertissement brillant. Personne n’ignore en Occident ce qu’est la valse à la mort du dernier d’entre eux.
- La brouille entre les deux Johann (le père et le fils) s’achève juste avant la mort du père. Le fils hérite de tous ses contrats et mène la valse à des sommets. Surmené, il laisse la baguette de chef à ses deux frères, mais participe néanmoins à de gigantesques concerts de prestige aux États-Unis, à Londres…
- Johann Strauss fils est le compositeur le plus distingué de la famille (ses études musicales lui font apprendre les plus beaux styles d’écriture de ses prédécesseurs), ce qui lui vaut l’admiration des plus grands musiciens de son époque (Brahms, Verdi, Wagner) et, plus tard, de ceux du XXe siècle (les compositeurs de l’école de Vienne). La valse Le Beau Danube bleu est l’exemple le plus abouti de son art.
Auteur : Jean-Marie Lamour