Accueil / Portraits de compositeurs / Portrait de Claudio Monteverdi
Claudio Monteverdi (1567-1643)
Formation et premières œuvres à Crémone
Claudio Monteverdi naît en 1567 à Crémonedans le nord de l’Italie, dans une famille aisée. Il bénéficie d’une bonne éducation générale et d’une solide éducation musicale : il apprend à jouer de la viole et étudie auprès de Marc’ Antonio Ingegneri, maître de chapelle à la cathédrale de Crémone, qui lui enseigne l’art du contrepointart d’agencer plusieurs mélodies de façon à ce que, entendues seules ou ensemble, elles soient harmonieuses. Très tôt, Monteverdi compose et publie ses premières œuvres (des motets, ses Livre I et Livre II de madrigaux ...) dans lesquelles il prend déjà certaines libertés avec le style rigoureux de l’école franco-flamandela polyphonie contrapuntique, c’est-à-dire une superposition de lignes musicales, harmonieuses entre elles et toutes d’importance égale alors dominant.
Les années d'épanouissement à Mantoue
En 1590, alors âgé de 23 ans, Monteverdi est engagé à Mantoue, l’une des cours les plus puissantes d’Italie, en tant que chanteur et joueur de viole. Très vite, il attire l’attention de Vincent Ier de Gonzague, duc de Mantoue. Extravagant, mais aussi violent, emporté et possessif, celui-ci n’en est pas moins avide de fêtes et amateur d’œuvres d’art. En 1602, il nomme Monteverdi maître de musique. Fort de cette nouvelle situation, le compositeur poursuit ses publications, et acquiert une solide réputation. Il s’adonne à tous les genres, aussi bien la musique de chambre (Livre III à Livre VI de madrigaux) que la musique d’église (la Missa « In illo Tempore » et les Vêpres de la Vierge) ou de théâtre, notamment avec son drame musical L’Orfeo (1607), l’une des premières œuvres dans le tout nouveau genre de l’opéra.
La consécration à Venise
Cependant, Monteverdi ne se satisfait pas de sa situation et songe à quitter Mantoue. En effet, désormais marié et père de deux enfants, la charge qu’il occupe est lourde et le salaire trop faible. À la mort de Vincent Ier en 1612, Monteverdi abandonne ses fonctions et se rend à Venise, où il obtient rapidement la charge très convoitée de maître de chapelle à la basilique Saint-Marc. Sa liberté est si grande qu’il peut laisser libre cours à sa créativité. Tout en poursuivant l’écriture des madrigaux, il compose plusieurs messes ainsi que des opéras, à la demande de notables de la ville. Il faut préciser qu’en 1637, le premier théâtre lyrique public (le Teatro San Cassiano) ouvre ses portes. Des huit opéras que Monteverdi aurait écrits, seuls trois nous sont parvenus relativement complets : L’Orfeo (1607), Le Retour d’Ulysse dans sa patrie (1640) et Le Couronnement de Poppée (1642). Entré dans les ordres à la fin de sa vie, c’est un homme célèbre qui meurt le 29 novembre 1643 à soixante-seize ans.
Le langage musical de Monteverdi
Les recherches de Monteverdi en matière d’écriture musicale s’inscrivent pleinement dans les préoccupations de son époque : la quête d’une plus grande expressivité, la volonté de « mettre en mouvement les passions » (movere gli affetti), en passant par une plus grande intelligibilité du texte, souvent brouillée dans la complexité des polyphonies franco-flamandes du XVIe siècle. Sans être l’initiateur du style nouveau émergeant de ces pensées humanistes, il sera cependant celui qui le mènera à son plus haut point. Figure même de la transition entre la Renaissance et le baroque, il réalise la synthèse entre ce qu’il appelle la prima pratticala polyphonie et le contrepoint rigoureux de l'école franco-flamande à la seconda pratticala monodie (chant à une seule voix) accompagnée.
Monteverdi utilise le madrigal comme laboratoire pour ses innovations en matière d’écriture musicale. Ainsi, au fil de ses publications, on peut percevoir l’évolution de son style : depuis les premiers madrigaux polyphoniques, uniquement vocaux, on voit progressivement apparaître une basse continueligne de basse à partir de laquelle un instrument réalise des accords dans le Livre V (1605), puis l’accompagnement instrumental prend de plus en plus d’ampleur à mesure que la monodie accompagnée s’impose, triomphante dans le Livre VIII (1638). La recherche d’une plus grande expressivité conduit Monteverdi à explorer plusieurs styles d’écriture :
- le stile concertato : jeu de contraste et d’opposition, fondé sur la combinaisons des voix et des instruments. Chaque partie peut être isolée et dialoguer librement avec les autres. Ce style culmine dans le Livre VII de madrigaux (1619), justement intitulé Concerto ;
- puis le stile rappresentativo : expression des émotions à travers la monodie accompagnée, déclamant un texte de manière intelligibleOn parle de stile recitativo. et souligné par la musique au moyen de figuralismesprocédés d’écriture établissant une correspondance étroite entre le texte et la musique. Le Lamento della Ninfa (Livre VIII) en est un exemple des plus brillants ;
- et enfin le stile concitato, considéré comme une invention du compositeur, expérimenté dans Le Combat de Tancrède et Clorinde (Livre VIII). Il repose sur plusieurs procédés rythmiques et sur des figuralismes particuliers, permettant d’évoquer la colère ou un sentiment agité, voire guerrier.
Les autres œuvres majeures de Monteverdi, qu’elles soient profanes ou sacrées, portent également la marque de sa modernité. Ainsi, dans les Vêpres de la Vierge (1610), il utilise un style d’écriture nouveau et issu de l’univers profane : on retrouve le stile concertato dans le traitement des groupes vocaux (dans le Dixit Dominus par exemple), et la monodie accompagnée (dans le Nigra sum notamment), qui permet une meilleure compréhension du texte liturgique. Monteverdi joue sur la densité du son, en alternant solos vocaux, chœurs (parfois divisés en dix parties différentes), solos instrumentaux et ensemble orchestral. Réalisant une fusion des prima et seconda prattica, l’œuvre oscille entre recueillement et exubérance, entre intimité et monumentalité.
Mais c’est surtout dans sa production dramatique que Monteverdi va faire preuve d’innovation et réaliser l’union parfaite entre poésie, théâtre et musique. L’Orfeo (1607) reste dans l’histoire comme le monument fondateur de l’opéra (même si ce n’est pas le premier de l’histoire). Dans les monodies accompagnées, le texte et la musique sont étroitement liés, soutenus par une basse continue dont le principe perdurera pendant la période baroque. Plus de trente ans après, Le Couronnement de Poppée (1642) marque une nouvelle avancée dans le théâtre musical. Les récitatifs s’assouplissent, les mélodies, plus lyriques, sont entrecoupées d’airs séduisants où la virtuosité est toujours de mise, et les chœurs perdent leur prédominance. Le genre évolue également dans l’argument, historique plutôt que mythologique, et la psychologie des personnages : loin d’être des héros irréprochables, ils sont parfois même dépourvus de moralité. Humains avant tout, ils correspondent aux attentes du nouveau public vénitien qui demande davantage de vérité.
Auteure : Sylvia Avrand-Margot