Accueil / Portraits de compositeurs / Portrait d’Arthur Honegger
Arthur Honegger (1892-1955)
Au croisement des cultures
L’expression « germain latinisé », attribuée à Arthur Honegger par le musicologue Harry Halbreich, sied parfaitement au compositeur originaire de Suisse alémanique, né au Havre le 10 mars 1892, Parisien d’adoption et devenu célèbre en Suisse romande avec le succès du Roi David.
Ajoutons une éducation protestante, ses amitiés avec le catholique Claudel, et nous comprenons qu’Arthur Honegger n’est pas homme à suivre benoîtement un archétype. Son éducation le porte d’emblée vers Bach avant tout. Comme son aîné, sa proximité avec la religion l’inspire tout particulièrement ; le chant choral lui tient aussi à cœur, tout comme le contrepointÉcriture musicale qui consiste à superposer plusieurs lignes mélodiques. Bach est considéré comme un maître du contrepoint.. Il n’est alors pas étonnant de le voir écrire des oratorios. Il admire aussi Beethoven, Wagner, Reger. Après deux ans passés au Conservatoire de Zurich (1909-1911), il intègre le Conservatoire de Paris où il a comme professeurs Gédalge, Widor, d’Indy, Caplet. Il se familiarise alors avec la musique de Fauré, de Florent Schmitt et de Debussy, qui marqueront durablement son style. À Paris, pouvait-il s’installer autre part qu’à Montmartre, haut lieu de l’intelligentsia cosmopolite ? L’une de ses premières œuvres abouties, Six Poèmes, reprend des extraits d’Alcools de Guillaume Apollinaire, proche des peintres Picasso, Derain et Vlaminck. C’est sa première collaboration prestigieuse avec le monde littéraire.
Tradition et modernité
Arthur Honegger est bientôt associé, avec Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre, Louis Durey et Georges Auric, au « groupe des Six », ainsi baptisé par Henri Collet et sous la tutelle morale de Jean Cocteau et Erik Satie.
Si Honegger partage au début la réaction contre le romantisme et l’impressionnisme de ses amis, il prend rapidement ses distancesJe n’ai pas le culte de la foire, ni du music-hall, mais au contraire celui de la musique de chambre et de la musique symphonique dans ce qu’elle a de plus grave et de plus austère. [...] Il ne faut pas rompre le lien du développement de la tradition musicale. Une branche séparée du tronc meurt vite. Il faut être un nouveau joueur du même jeu parce que, changer les règles, c’est détruire ce jeu et le ramener au point de départ.
. Honegger n’est donc pas un révolutionnaire, ce que la génération d’après 1945, qu’il a pourtant encouragée, lui reprochera après sa mort.
Mais il n’est pas non plus néo-classique : en 1924 sont créées deux œuvres bien différentes mais illustrant parfaitement la conception musicale large et généreuse d’Honegger, Le Roi David et Pacific 231, cette dernière œuvre proposant une musique atonale et bruitiste décrivant avec un orchestre symphonique traditionnel la locomotive éponyme en mouvement ! Honegger connaît alors un succès considérable.
Cette dualité esthétique, tradition et modernité, va perdurer tout au long de sa vie. À chaque œuvre virulente — Antigone, Symphonie n° 2 — son pendant apaisé — Judith, Symphonie n° 4. Néanmoins, le succès des années 1920 se fait moins criant la décennie suivante, le public se trouvant parfois décontenancé face à une trajectoire hautement personnelle.
Intemporel
Anti-révolutionnaire, Honegger n’en est pas moins totalement libre et indépendant. Intemporel, même. Honegger s’inspire du sportle rugby, écrit pour le théâtre, la radio, le cinéma. Il collabore, grâce au concours d’Ida Rubinstein, avec Paul ValéryAmphon, Sémiramis puis avec Paul ClaudelJeanne d’Arc au bûcher puis La Danse des morts. Mais, parallèlement, il écrit... une opérette, Les Aventures du Roi Pausole, adaptée d’un roman de Pierre Louÿs !
Ennemi de tout système, Honegger suit son chemin avec détermination. Il ne souhaite pas se couper du public et déclareHarry Halbreich, Honegger, éditions Fayard (1992) : la musique doit devenir droite, simple, de grande allure ; le peuple se fiche de la technique et du fignolage. On peut, on doit parler au grand public sans concession mais aussi sans obscurité. Voilà pourquoi un assez grand nombre de mes ouvrages ont trouvé l’oreille de la foule....
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, et bien que citoyen suisse, il reste à Paris pour défendre la musique française contre l’hégémonie musicale de l’occupant, comme critique musical et comme professeur à l’École Normale de Musique. Proche du peuple, donc, mais sans pour autant perdre en exigence : exigeant et accessible, voilà deux adjectifs qui caractérisent aussi bien le compositeur que sa musique.
Lors d’une tournée aux États-Unis, en 1947, Honegger est victime d’un accident cardiaque et rejoint Paris. Dès lors, il revient à une certaine simplicité qui n’est pas sans rappeler celle du Roi David, comme en témoigne magnifiquement sa Symphonie n° 5. En 1953, il est nommé membre étranger de l’Académie des Beaux-Arts et, l’année suivante, est fait Grand Officier de la Légion d’honneur. Il meurt à Paris le 27 novembre 1955.
Auteur : Antoine Mignon