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Cantate BWV 106 (Actus Tragicus)« Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit »Johann Sebastian Bach
Carte d’identité de l’œuvre : « Gottes Zeit ist die allerbeste Zeit » BWV 106 (Actus Tragicus) de Johann Sebastian Bach |
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Genre | musique sacrée |
Texte | extraits de l’Ancien Testament, du Nouveau Testament et de chorals luthériens |
Langue des textes | allemand |
Composition | probablement vers 1707-1708 |
Forme | alternance de chœurs et de soli, organisée en quatre mouvements : 1) sonatina instrumentale 2) chœur - solo de ténor - solo de basse - chœur 3) solo d’alto - solo de basse 4) chœur |
Instrumentation | Voix : solistes (soprano, alto, ténor et basse) + chœur à quatre voix Orchestre : 2 flûtes à bec, 2 violes de gambe et basse continue |
Contexte de composition et de création
Le plus ancien manuscrit connu de la Cantate BWV 106 date de 1768, soit dix-huit ans après la mort de Johann Sebastian Bach. Le copiste en est Christian Friedrich Penzel, cantor de Merseburg, ancien chef de chœur à Saint-Thomas de Leipzig (où Bach exerce de 1723 à 1750) et l’un des derniers élèves de Bach, dont il a copié de nombreuses œuvres. On ignore l’origine du titre présent sur le manuscrit, Actus tragicus, et l’on sait peu de choses des circonstances de composition de l’œuvre. Le style musical de la cantate permet de la dater de la jeunesse de Bach et de son séjour à Mülhausen (1707-1708). Le titre et le choix des textes révèlent une musique composée pour des funérailles : peut-être celles d’un oncle de Bach du côté maternel, Tobias Lämmerchirt, mort en août 1707, ou encore celles de Dorothea Susanna Tilesius, la sœur du pasteur Eilmar, ami de Bach, décédée en juin 1708, voire celles d’un Adolph Stecker (septembre 1708), mais aucune hypothèse n’a jusqu’à présent pu être confirmée.
Cette cantate a été l’une des premières à connaître du succès auprès des musiciens et du public au XIXe siècle. En Allemagne, elle est éditée par Simrock, à Bonn, en 1830, et elle est fréquemment jouée, ainsi qu’en Autriche. En France, le compositeur César Franck la dirige en 1874. L’Actus tragicus est ensuite intégrée à la première édition complète des œuvres de Bach : la Bach-Gesellschaft-Ausgabe en 1876. Elle compte aujourd’hui parmi les œuvres les plus connues du compositeur.
Déroulé de l’œuvre
1. Sonatina
Une sonatina instrumentale ouvre l’Actus tragicus et installe le climat serein de cette cantate. Les flûtes, tantôt à l’unisson tantôt entrelacées, se déploient sur la pulsation inexorable des violes et de la basse continue.
2. Chœur - arioso de ténor - aria de basse - chœur
Un vaste mouvement mêle ensuite chœurs et passages solistes. Le premier chœur (2a), tripartite, glose une citation des Actes des ApôtresCinquième livre du Nouveau Testament après les quatre Évangiles, le récit des Actes des Apôtres est attribué à Luc. Il débute avec l’Ascension et relate les débuts des premières communautés chrétiennes et l’expansion de l’Église à travers l’action des apôtres, notamment Pierre et Paul.. L’écriture vocale évoque musicalement le texte biblique :
- d’abord une écriture essentiellement homosyllabiqueToutes les voix chantent la même syllabe en même temps. pour proclamer clairement la confiance en Dieu ;
- puis un énergique fugato dans un tempo rapide (allegro) pour figurer la vie et le mouvement évoqués dans le texte ;
- et enfin une troisième partie, plus lente (adagio assai) et plus sombre, qui traduit l’annonce de la mort.
Tout au long de ce premier chœur, des figuralismes soulignent les mots importants du texte : mélismesgroupe de notes chantées sur la même syllabe d'un mot sur weben (mouvement), longue tenue sur lange (longtemps), dissonances expressives et chromatismes sur sterben (mourir).
Ce chœur enchaîne avec un arioso pour ténor (2b). La douce supplicationLe texte est adapté d’un verset du psaume 90. Prière de Moïse adressée à Dieu, ce psaume est une réflexion sur le Temps. de la voix se déploie librement sur un tapis instrumental structuré par un quasi-ostinatoUn ostinato est formule mélodico-rythmique répétée inlassablement. à la basse et le retour d’éléments mélodiques récurrents aux deux flûtes à l’unisson et aux deux violes.
Au ténor, répond la voix de basse (2c) dans une énergique aria (tempo vivace) accompagnée par les deux flûtes à bec à l’unisson et la basse continue. Les deux flûtes égrènent des arpèges en doubles croches sans presque aucune respiration, tandis que le chanteur illustreLe texte est un verset du prophète Isaïe dans l’Ancien Testament. le contraste entre la mort et la vie par d’explicites figuralismes musicaux : mouvements descendants sur sterben (mourir), vocalises sur lebendig (vivant).
Enfin, un chœur vient clore ce mouvement (2d). Sur un rythme de croches allant (andante) et impassible à la basse continue, la tension entre la mort et la vie est exacerbée par le recours à deux types d’écritures musicales contrastées :
- un contrepoint dans le style ancien (une fugue chantée par les trois voix graves du chœur) exprime les paroles tirées de l’Ancien Testament rappelant l’inéluctabilité de la mort ;
- une mélodie sensuelle et aiguë chantée par le soprano appelle la venue de Jésus, destiné à sauver l’homme de la mort, sur un texte venant du Nouveau Testament, tandis que les instruments font entendre sous le chant la musique d’un choral luthérien« Ich hab’ mein Sach Gott heimgestellet » (« J’ai tout confié à Dieu »).
Fugue et solo alternent ou se superposent. Le mouvement se clôt par une émouvante vocalise du soprano, à découvert, sur le nom de Jésus, puis une mesure de silence au centre exact de la cantate.
3. Aria d’alto - arioso de basse
Après un silence, la seconde partie de la cantate met en musique la foi du chrétien en la rédemption divine dans la mort. Le troisième mouvement s’ouvre avec une aria pour voix d’alto (3a), sur les paroles du psaume 31Ce sont aussi les derniers mots de Jésus prononcés au moment de mourir. La voix est ici accompagnée par la seule basse continue, qui structure cette partie par la récurrence d’un motif musical expressif (gamme ascendante, balancement sur un demi-ton, cadence), et explore les tonalités les plus éloignées du ton principal de la cantate.
La voix de basse entre ensuite (3b) avec les paroles« Aujourd’hui, tu seras avec moi au Paradis » du Christ en Croix au brigand repenti, paroles de confiance puisque la mort est désormais un chemin vers le ciel, ce que soulignent la répétition et les vocalises sur le mot Paradies. En arrière-plan, les altos du chœur chantent, en valeurs longues, la première strophe du choral « Mit Fried und Freud »la paraphrase du Cantique de Siméon par Martin Luther : « Dans la paix et la joie, je m’en vais dans la volonté de Dieu », rejoints par les deux violes qui se répondent, alternant de courts motifs en imitations.
4. Chœur final
L’Actus tragicus se conclut avec la grande doxologieFormule de louange traditionnellement utilisée pour conclure une prière, ici dans la version d’Adam Reussner (il s’agit de la 7e strophe de son choral « In dich hab' ich gehoffet, Herr »).. Ce chœur final, qui rassemble toutes les voix et les instruments, est organisé en deux parties. Précédée par une brève section instrumentale qui rappelle la sonatina du premier mouvement, la première partie est un choral harmonisé à quatre voix : le texte est parfaitement audible, prononcé de manière homosyllabique, sur une mélodie que les fidèles connaissaient. Puis dans une deuxième partie, le dernier verset« Par Jésus-Christ, Amen » fait l’objet d’un fugato triomphant, dans un tempo rapide (allegro), d’abord à quatre voix et basse continue, rejoints par les flûtes et les violes doublant les voix. À la fin, on entend les sopranos énoncer la mélodie de choral en valeurs longues, en arrière-plan des vocalises jubilatoires des autres voix multipliant les Amen.
Schéma récapitulatif de la forme
Mouvements | 1 | 2a | 2b | 2c | 2d | 3a | 3b | 4a | 4b |
Forme | sonatina | chœur | solo ténor | solo basse | chœur fugué / solo soprano | solo alto | solo basse / choral altos | chœur (choral) | chœur (fugato) |
Tonalités principales | fa maj | fa maj - ré min | ré min | ré min - sol min | sol min | do min | sol min - ré min | fa maj | fa maj |
Voix et instruments
L’Actus tragicus est composé pour un chœur à quatre voix, deux flûtes à bec, deux violes de gambe et une basse continue : cette instrumentation est singulière dans l’œuvre de Bach et s’avère ici particulièrement adaptée pour exprimer les sentiments du chrétien face à la douceur de la mort. Violes et flûtes à bec sont en effet volontiers utilisées par les luthériens du début du XVIIIe siècle pour leurs musiques funèbres. Quant à la basse continue, son effectif varie en fonction des moyens et des choix des interprètes : d’un simple petit orgue accompagné d’une basse d’archet à des effectifs plus vastes incluant un orgue positif, un clavecin, un théorbe, une harpe, une contrebasse, un violone...
À cet ensemble instrumental, Bach confie deux belles pages, disposées au début de la cantate (la sonatina introductive) et au début du dernier mouvement. Les instruments se joignent aussi aux voix :
- pour les doubler (le chœur 2a, le chœur final) ;
- pour offrir un contre-chant, notamment aux solistes (l’arioso de ténor (2b), l’aria de basse (2c) où les flûtes intègrent ponctuellement un canon avec la voix...) ;
- enfin, ils se superposent aux voix, pour faire entendre en arrière-plan un choral (2d), dont le texte, que les fidèles de l’époque pouvaient se remémorer en écoutant la mélodie, fait écho aux paroles de la cantate.
Le traitement des voix est tout aussi diversifié : de grandes pages chorales (2e et 4e mouvements) alternent avec les passages solistes. Bach adapte l’écriture vocale au sens du texte :
- le timbre de la voix de basse convient aux paroles inspirées par Dieu (2c) ou prononcées par le Christ (3b) ;
- la polyphonie en style ancien renvoie à l’Ancien Testament, quand la mélodie sensuelle et moderne du soprano évoque la venue de Jésus (le chœur 2d) ;
- un traitement homophonique du chœur permet de rendre directement audible un élément clé du texte (le chœur 2a), quand des vocalises jubilatoires célèbrent la confiance joyeuse du chrétien (l’Amen final, 4b).
Œuvres en résonance
Certaines œuvres funèbres partagent des caractéristiques communes avec l’Actus Tragicus : un texte mêlant versets bibliques et chorals luthériens, une utilisation du contrepoint en stile antico, une structure symétrique. C’est le cas de Musikalische Exequien de Schütz, Trauer-Actus de Telemann ou encore Warum ist das Licht gegeben ? de Brahms. Dans l’œuvre de Telemann, l’accompagnement instrumental est confié à 4 flûtes à bec et 4 violes de gambe.
Le War Requiem de Britten combine le texte liturgique du requiem et des poèmes anglais de W. Owen qui commentent et dramatisent le texte latin.
Auteure : Marie Demeilliez