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La carrière de Marc Copland n’a pas connu les débuts fulgurants qui propulsent certains musiciens très tôt sur le devant de la scène. Elle s’est affirmée sur le tard, à l’aube de la quarantaine, après des détours inhabituels.
Du sax au piano
Né le 27 mai 1948, Marc Copland a débuté sa carrière à Philadelphie sous le nom de Marc Cohen, en qualité de saxophoniste alto, gagnant New York au début des années 1970 où il joue avec le guitariste John Abercrombie (qui reste l’un de ses plus fidèles partenaires) et le batteur Chico Hamilton (il enregistre avec ce dernier des disques qui n’ont jamais vu le jour). Une insatisfaction grandissante, cependant, quant à son accomplissement musical, notamment au plan harmonique, le pousse à rompre avec le saxophone pour se consacrer à l’étude du piano, un instrument sur lequel, une décennie plus tard, il se révèlera un soliste des plus singuliers.
Pendant presque dix ans, après un séjour en Californie, il est principalement actif sur la scène de Washington. De retour à New York en 1983, on le retrouve comme sideman auprès de nombreux chanteurs et musiciens dont les plus connus se nomment Bob Belden, Joe Lovano, James Moody ou Bill Stewart. Progressivement, Marc Copland a consolidé son assurance comme pianiste, ainsi que l’illustrent les premiers disques qu’il a réalisés à la fin des années 1980, l’un en trio avec Gary Peacock et Billy Hart, l’autre à la tête d’un quintet plus énergique (avec Randy Brecker et Bob Berg).
Artiste impressionniste
Marqué par Bill Evans, Keith Jarrett et Herbie Hancock, avec lesquels il partage un fort ancrage dans la culture pianistique post-impressionniste européenne, il s’est progressivement dégagé de ses influences les plus évidentes à l’orée des années 2000. Cultivant les contextes intimistes, notamment à l’occasion de projets phonographiques nombreux, Copland a développé un travail approfondi non seulement en solo, mais aussi en multipliant des associations qui ont tendance à se prolonger dans le temps et à se nourrir de rencontres renouvelées. C’est ainsi qu’on l’a entendu s’exprimer en duo avec le trompettiste Tim Hagans (2000), le guitariste Vic Juris (2001), le saxophoniste Dave Liebman (2002), le saxophoniste alto Greg Osby (deux albums remarqués en 2003) ou encore le contrebassiste Gary Peacock (2004).
Qu’il investisse la configuration d’un trio classique (avec deux musiciens plus jeunes, Drew Gress et Jochen Rueckert) ou celle d’un trio plus inhabituel aux allures chambristes (avec le trompettiste Kenny Wheeler et le guitariste John Abercrombie), Marc Copland conserve entières certaines caractéristiques qui l’ont, en toute discrétion, distingué comme un pianiste parmi les plus sensibles du jazz contemporain : un toucher délicat, peu heurté, une approche coloriste de l’harmonie, un phrasé toujours très legato, comme estompé dans ses contours par un recours très fréquent aux pédales. Admirateur des peintres impressionnistes, il semble vouloir en reproduire la manière, travaillant à approcher les variations de couleurs harmoniques plutôt que la mélodie, dans un jeu feutré, adepte du scintillement des faibles intervalles et attentif aux nuances, pour mieux atteindre une forme de sensualité. En outre, à la manière d’un Monet cherchant à capter les variations infinies de la lumière sur la façade de la cathédrale de Rouen, Marc Copland a pris l’habitude, en disque ou en concert, d’interpréter à plusieurs reprises un même morceau qu’il diffracte selon le prisme de son imagination, rappelant que dans le jazz, le thème est d’abord prétexte à des variations infinies. Adepte des tempos lents et des ballades, le pianiste se révèle un maître des interprétations délicates sans tomber dans le maniérisme : Jouer des ballades est, à bien des égards, le défi absolu. Les valeurs musicales qui sont importantes ailleurs sont absolument essentielles : la sensibilité, la couleur, les dynamiques, l’économie et la clarté
. Enregistrant abondamment (dix-sept disques entre 2000 et 2005) comme pour mieux rattraper le temps perdu ou assouvir une créativité en plein épanouissement, il manifeste une constance rare dans l’improvisation et voit enfin son talent reconnu à une plus juste mesure grâce au soutien de plusieurs labels indépendants européens.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juillet 2005)