Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : août 2005)
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David Liebman (1946-)
Véritable maître du saxophone soprano, pédagogue réputé, inlassable prolongateur de l’héritage coltranien qu’il a réussi à s’approprier sans tomber sous l’emprise de la référence, David Liebman est l’une des fortes personnalités à avoir émergé durant les années 1970, et dont le cheminement est riche d’aventures et d’expérimentations. Hors courant tout en étant fortement à l’écoute des musiques de son temps, hors des coteries tout en étant une figure essentielle de la scène new-yorkaise, il est aussi l’un des rares musiciens américains à entretenir des relations fécondes et durables avec un grand nombre de ses confrères européens, tout en ayant une activité importante sur le territoire étasunien.
À l’aise dans tous les registres
Né le 4 septembre 1946 à Brooklyn (New York), débutant le piano à l’âge de neuf ans sous l’influence d’une mère passionnée de musique, il passe au saxophone trois ans plus tard, mais c’est en entendant John Coltrane au Birdland que son attirance pour le jazz prend sa véritable tournure. Il étudie le saxophone et la flûte avec Charles Lloyd (1966-1968) et la théorie et la composition avec Lennie Tristano (1967-1968), tout en menant des études d’histoire américaine à l’université de New York. Il effectue son premier concert professionnel aux côtés de Pete LaRoca, Steve Swallow et Chick Corea. Sa carrière se situe d’emblée au coeur du bouillonnement créatif new-yorkais : dans son immeuble habitent également Dave Holland et Chick Corea, ce qui fait de l’endroit un lieu de convergence de la « loft generation ». Liebman fonde le trio Open Sky avec le batteur Bob Moses, joue avec John McLaughlin et entre dans la formation de rock Ten Wheel Drive (1970) avant d’être embauché par le batteur Elvin Jones dans le groupe duquel il est confronté à différents saxophonistes (Joe Farrell, Steve Grossman, Frank Foster). Entre free jazz, jazz-rock, be-bop et jazz modal post-coltranien, son style véhément au ténor et sa maîtrise exceptionnelle du soprano en font un soliste en vue à l’aise dans la plupart des registres. Invité à l’enregistrement de On the Corner, il séduit Miles Davis qui l’engage dans son groupe en 1973. Bien qu’il reconnaisse aujourd’hui n’avoir guère apprécié la musique du trompettiste, le saxophoniste brille par la précision et l’énergie de ses interventions dans le magma sonore auquel le trompettiste a été mené par sa logique « électrique ». Cette expérience est, pour Liebman, l’apogée d’une phase d’apprentissage qui l’a placé dans des contextes divers et amené à côtoyer certains des musiciens les plus innovants du moment.
Avec Richie Beirach
En 1973, le saxophoniste forme le groupe Lookout Farm avec le pianiste Richie Beirach (comme lui un ancien élève de Tristano), le contrebassiste Frank Tusa, le joueur de tabla Badal Roy et le batteur Jeff Williams. Le groupe, qui enregistre pour ECM puis A&M et tourne abondamment en Europe et aux États-Unis, opère une synthèse entre le jazz moderne et l’influence de la musique indienne tout en étant marqué par la sonorité électrique du Fender Rhodes. Quittant New York pour San Francisco en 1976, Liebman co-dirige un groupe entre funk et fusion avec le saxophoniste Pee Wee Ellis mais la tentative est sans grand lendemain. Après une tournée avec Chick Corea, il forme un quintet avec Terusama Hino, Kenny Kirkland et John Scofield (1978-1981). Par la suite, des retrouvailles avec Richie Beirach débouchent sur la constitution de Quest (avec George Mraz et Al Foster puis, à partir de 1984, Ron McClure et Billy Hart). Jusqu’en 1991, ce groupe est parmi les plus actifs et se fait remarquer par le haut degré d’interaction auquel il parvient et la sophistication harmonique des échanges entre ses deux leaders : Notre quartet n’est rien d’autre qu’une combinaison du Miles des années soixante, du Coltrane des années soixante et du meilleur dans le free jazz
, dira Beirach. Se désintéressant du ténor, Liebman s’y exprime exclusivement au soprano, sur lequel il se distingue par une sonorité droite et pleine, ignorant les problèmes de justesse sur un instrument réputé difficile en la matière, et par un phrasé extrêmement volubile qui affectionne les registres supérieurs. Parallèlement, le saxophoniste mène une carrière riche de rencontres plus ou moins éphémères, en studio ou sur scène, sur les deux rives de l’Atlantique. En 1987, à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de John Coltrane, il rend un double hommage phonographique à celui qu’il revendique comme sa principale influence : Homage to Coltrane (Owl) et A Tribute to John Coltrane avec Wayne Shorter. En 1998, il participera encore à Thank You, John en compagnie de Benny Golson.
Une soif d’expériences diverses et variées
À la dissolution de Quest, Liebman forme un quintet qu’affectent peu de rares modifications de personnel. Il y fait la somme de ses nombreuses influences, en compagnie de musiciens venus d’horizons différents avec lesquels il entretient un long compagnonnage : le guitariste Vic Juris, le contrebassiste Tony Marino, le batteur Jamey Haddad (remplacé par Martin Marcinko) et, jusqu’en 1997, Phil Markovitz aux claviers. Leur répertoire recouvre une grande diversité de territoire musicaux, acoustiques ou électriques, allant de la musique de Miles Davis à celle de Antonio Carlos Jobim en passant par des adaptations de Puccini et des compositions originales. En outre, Liebman se prête à de nombreux échanges avec quelques-unes des personnalités les plus marquantes du jazz européen (Joachim Kühn, Daniel Humair, Jon Christensen, Bobo Stenson, Albert Manglesdorff, etc.) et, à partir de 1994, participe activement au trio qu’il forme avec le contrebassiste français Jean-Paul Celea et le batteur autrichien Wolfgang Reisinger, et avec lequel il enregistre plusieurs albums. Son activité phonographique est sans relâche, témoignant d’un appétit d’expériences diverses (qui se déclinent du solo au big band) et de rencontres nouvelles : en 2004, il enregistre avec son confrère Ellery Eskelin et tourne avec deux autres saxophonistes, Joe Lovano et Michael Brecker, sous le nom de « Saxophone Summit ». Fondateur de l’International Association of Schools of Jazz en 1989, il est également devenu un pédagogue convaincu extrêmement sollicité, auteur de plusieurs ouvrages qui font référence.