Auteur : Vincent Bessières
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Linda Sharrock (1947-)
Passée du statut de voix écorchée de l’avant-garde new-yorkaise à celui d’icône discrète interprétant standards sans âge et compositions autobiographiques en Europe, la chanteuse Linda Sharrock a suivi une trajectoire transversale par laquelle elle se démarque des académismes et maniérismes dont le jazz vocal semble être trop souvent coutumier.
Un chant radical et engagé
Née le 2 avril 1947 à Philadelphie (États-Unis), Linda Sharrock est habituée à chanter depuis toujours à l’église comme à l’école. Au sortir de l’adolescence, elle fréquente l’avant-garde du free jazz qui, au milieu des années 1960, anime l’underground new-yorkais. Elle y travaille avec Pharoah Sanders, prend quelques leçons avec Giuseppi Logan et rencontre le guitariste Sonny Sharrock, qu’elle épouse et dont elle accompagnera toutes les expériences musicales jusqu’à leur séparation. Privilégiant énergie et fulgurance, usant de toutes les ressources vocales, du murmure au cri, elle développe une manière d’improvisation non-verbale qui n’a guère à voir avec l’art vocal féminin tel qu’il se pratiquait dans le jazz jusque-là. À la manière de Irene Aebi auprès de Steve Lacy, rappelant parfois Jeanne Lee et Abbey Lincoln, sa manière radicale et engagée lui permet de rivaliser avec les saturations brutales et distorsions électriques qui constituent l’essentiel du jeu énergique de son compagnon. Trois albums gardent la trace de cette association : Black Women (1969), Monkey-Pokie-Boo (1970) et Paradise (1975, qui s’inscrit dans un registre plus accessible, entre funk et rhythm’n’blues).
Rencontre avec Puschnig
Installée à Vienne et divorcée en 1978, Linda Sharrock poursuit en Europe une carrière intransigeante et relativement confinée à l’Autriche. Au milieu des années 1980, elle entame une collaboration avec le saxophoniste Wolfgang Puschnig, qui deviendra son compagnon, qui se traduit par la constitution d’une série de groupes, dont le premier prend le nom de Pat Brothers (avec Wolfgang Mitterer aux synthétiseurs et Wolfgang Reisinger à la batterie) et donne lieu, après une longue période de silence, à une abondante production phonographique à la charnière des années 1990. En 1987, l’intérêt de Puschnig pour la musique extrême-orientale débouche sur une collaboration durable avec un ensemble de percussionnistes sud-coréens, Samul Nori, la formation du groupe Red Sun et des échanges féconds avec des musiciens traditionnels (plusieurs albums, réalisés entre Vienne et Séoul, en 1989, 1993, 1995 et 1997). Avec le pianiste Uli Scherer, Sharrock et Puschnig composent le trio AM4 (A Monastic Quartet) qui mêle interprétations de standards et compositions personnelles. Suivant les conseils d’une lectrice de poèmes, Linda Sharrock accorde une place prépondérante aux mots qu’elle chante, leur confiant souvent une dimension autobiographique. Elle se rapproche également de la tradition du jazz vocal tout en se gardant de tomber dans le conservatisme : en 1988, elle propose sa relecture des chansons traditionnellement associées à Billie Holiday (sur l’album On Holiday) en duo avec le bassiste Jamaaladeen Tacuma ; en 1994, c’est avec le pianiste Eric Watson qu’elle adopte la même formule dépouillée (sur l’album Listen to the Night). Inlassable expérimentatrice, elle revient dans sa ville natale pour réaliser avec Wolfgang Puschnig, véritable complice musicien, un album qui confronte ses mots à ceux des rappeurs de The Roots et du poète autrichien Ernst Jandl.
De multiples collaborations
Son inscription durable dans le paysage du jazz européen et sa curiosité pour les rencontres (héritage de ses années « free ») l’amènent à multiplier les collaborations de toutes sortes : avec le Vienna Art Orchestra (album Lush Life, en 1996) ; en trio avec Puschnig et Michel Godard ; en Corée avec Dhafer Youssef et des musiciens traditionnels (1997) ; en duo avec Eric Watson pour relire les classiques de Duke Ellington (1997) ; au Japon avec Aki Onda (1998), etc. En 2005, elle se rappelle à l’attention du public français en réalisant un album en trio avec le pianiste Stéphan Oliva et le contrebassiste Claude Tchamitchian (Confessions), fidèle au parti pris de dépouillement et à l’engagement vocal qui caractérisent son art.