Accueil / Instruments / Histoires d’instruments / Le saxophone alto dans le jazz : description et techniques de jeu
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Origine de l’instrument
Instrument à vent à anche simple doté de trous latéraux, le saxophone appartient à la famille des bois en dépit de sa facture presque toujours métallique. L’un des plus répandus de la famille brevetée par Adolphe Sax en 1846, l’alto est notamment le principal utilisé dans le répertoire classique (Bizet, Thomas, Massenet ou d’Indy l’ont employé). Encore rare dans le premier jazz et dans le style New Orleans (l’Original Dixieland Jazz Band et surtout l’archétypal King Oliver’s Creole Jazz Band n’en comportent pas), le saxophone est alors essentiellement présent dans les brass bands et les orchestres de danse. Sa généralisation, à partir de 1917, correspond au moment où le jazz se développe vers Chicago puis New York. À la faveur de l’engouement du public, le saxophone détrône peu à peu la clarinette dans les ensembles (comprenant souvent deux altos et un ténor) et rivalise avec la trompette avant de la supplanter dans le jeu soliste. Depuis les années 1950, le saxophone alto compte dans le jazz moins de représentants illustres que son plus proche parent le ténor. Il en demeure néanmoins, avec ce dernier mais aussi la trompette et le trombone, l’une des voix essentielles.
Organologie et fonctionnement de base
Le saxophone tire ses qualités premièresrondeur et richesse de la sonorité, souplesse de l’émission et du phrasé, liberté de modulation du timbre de caractéristiques organologiques qu’il faut ici rappeler. Le son produit par le saxophone résulte de la mise en vibration d’une anche simple sous l’effet d’une poussée d’air, engendrant une onde acoustique qui se propage le long du tuyau jusqu’à l’extrémité de l’instrument. Si une partie de l’air est expulsée à l’extérieur, une autre se réfléchit en sens inverse en direction de l’anche. La forme conique qui caractérise la percele diamètre interne du saxophone est à l’origine d’une série d’oscillations périodiques dont l’entretien, par le souffle et la prise de bec de l’instrumentiste, façonne le spectre sonore de l’instrument. La conicité du tuyau est à l’origine d’un mouvement oscillatoire qui, pour être entretenu, n’impose pas à l’anche de fréquences aussi précises que celles exigées, par exemple, par la perce cylindrique de la clarinette. De plus, cette forme de perce conduit à l’existence de deux régimes de fréquence (grave et aigu) correspondant, en terme de résonance harmonique, aux deux premiers partiels du son fondamental. Le saxophone est donc un instrument octaviantLe passage au registre supérieur se fait au moyen d’une clé d’octave et non - comme à la clarinette - une clé de douzième engendrant une plus grande complexité des doigtés.. Enfin, les caractéristiques de l’anche, plus ou moins souple et dotée d’une surface importante, autorisent une grande diversité de modulations de la pince se traduisant par un riche potentiel d’altération de la hauteur, de l’attaque et du timbre. Toutes ces caractéristiques organologiques convergent pour faire du saxophone l’instrument par excellence du jazz.
Le saxophone alto se compose, comme les autres saxophonessopranino, soprano, puis ténor, baryton, basse et contrebasse, d’un bec sur lequel est fixée l’anche au moyen de la ligature, d’un bocal reliant le bec au corps de l’instrument, enfin d’une culasse et d’un pavillon. La forme et les dimensions de ces éléments varient d’un membre de la famille à l’autre, la fréquence (et donc la hauteur) des notes entendues dépendant de la longueur totale du tuyau. De 18 à 21 trous de registre sont percés le long du corps de l’instrument, obturés ou ouverts par des tampons étanches eux-mêmes actionnés par des clés, leviers ou spatules. Ces trous, agissant comme un raccourcissement artificiel de la longueur du tuyau, permettent d’obtenir toutes les notes de la gamme tempérée. L’action exercée par le souffle, la mâchoire, la bouche et les lèvres autorisent par ailleurs d’infinitésimales ou importantesjusqu’au demi-ton modulations de la hauteur du son. Des tiges de correspondance permettent l’ouverture ou la fermeture simultanée de plusieurs trous. L’ingéniosité du mécanisme développé par Adolphe Sax a été maintes fois améliorée. Les modifications successives affectent les qualités d’étanchéité, de maniabilité ou de discrétion du mécanisme, ou visent à étendre le registre suraigu de l’instrument.
Au sein de la famille complète, l’alto possède la plus grande souplesse d’élocution et la meilleure homogénéité de timbre de l’extrême grave à l’extrême aigu. Son registre est particulièrement étendudu réb2 au la4 environ, des extensions restant possibles au moyen de doigtés spéciaux. Signalons encore que les saxophones sont des instruments dits transpositeurs : la note écrite sur une partition ne correspond pas à la hauteur perçue. L’alto, comme le sopranino et le baryton, est en mi bémolCela signifie qu’un do lu sera entendu mi bémol, à la sixte majeure inférieure.. Pour cette raison, il n’est pas rare qu’un saxophoniste alto pratique également le baryton (la même remarque s’applique au ténor et au soprano, tous deux en si bémol).
La qualité de la sonorité est déterminée par plusieurs facteurs. La facturela composition de l’alliage, la finition, les réglages de l’instrument, mais aussi celle du bec sont susceptibles de façonner différemment le spectre sonore. En ébonite ou en métal, les becs se distinguent par la forme de la chambre, l’épaisseur de leurs paroissusceptible d’étouffer ou d’amplifier la résonance de l’anche, ainsi que par leur ouverturela distance séparant l’extrémité du bec et celle de l’anche. La matièreroseau ou synthétique et surtout la force de l’anchereliée non à son épaisseur mais à la densité de la fibre sont déterminantes sur la qualité du son. Les saxophonistes se distinguent, outre ces choix de matériel, par leur embouchure ou pince - soit la nature et la puissance de la pression exercée sur l’anche et le bec par la mâchoire inférieure - mais aussi par le volume donné à la cavité buccale, le soutien apporté à l’entretien de la colonne d’air, la sollicitation des muscles du visage.
Techniques et effets spécifiques au jazz
La suprématie conquise par le saxophone sur la clarinette, puis sur la trompette, correspond en premier lieu à une évolution du jazz, du swing au be-bop, privilégiant l’improvisation soliste sur l’expression collective ou le travail orchestral. La hausse considérable du niveau de jeumise en place, tempo, complexité harmonique requis par un nouveau langage met en valeur la relative facilité technique du saxophone, tant au niveau de l’émission sonore que des doigtés. Par ailleurs, la mobilité et la fluidité requises le mettent en avant par rapport à la trompette et au trombone, pour la précision de son mécanisme et sa capacité de legatojeu lié.
En second lieu, l’approche instrumentale qui distingue le jazz de la tradition savante classique (où prévaut une recherche normative de perfection du timbre) est entièrement vouée à la recherche d’une expression et d’un son individuels, où l’originalité est un gage d’authenticité. C’est pourquoi le saxophone, par son exceptionnelle malléabilité de timbre, semble avoir trouvé avec le jazz sa véritable destination et son exploitation optimale. Les jazzmen à la recherche d’un son puissant optent traditionnellement pour un bec plus ouvert associé à une anche faible, alors que les saxophonistes classiques font le choix d’un bec fermé et d’une anche plus forte. Cette ligne de partage a toutefois évolué, les saxophonistes venant à privilégier vélocité et richesse de la sonorité sur le volume sonore. La gamme des techniques et des effets spéciaux développés par les saxophonistes du jazz tout au long de son histoire, dans le but d’atteindre cette individualisation de l’expression, témoigne de l’ancrage fondamental du son instrumental dans la voix, dans le chant, dans le blues : vibrato, growleffet de grognement, inflexions (ou bent notes) variées, glissando, ornementations, mise en valeur de la respiration ou du souffle… Ces effets amplifient les qualités vocales naturelles du saxophone qui avaient séduit les compositeurs classiques. D’autres techniques spécifiques s’appliquent au phrasé (notes fantômes ou ghost notes, double ou triple détaché) ou à de subtiles altérations du timbre (faux doigtés, sub-tone). Jean-Louis Chautemps a recensé et illustré ces nombreux procédésnommés, outre ceux déjà évoqués, shake, smear ou flip dont la liste est constamment enrichie. Certains effets proviennent de la musique contemporaine ou sont largement partagés par elle, tels que le chant dans l’instrument, le recours aux sons multiples (ou multiphoniques), la technique de respiration continue ou encore le slapEffet obtenu par un mouvement brusque de la langue placée à la façon d’une ventouse, puis occasionnant le choc brutal de l’anche contre le bec – le saxophoniste obtient alors une sorte de jeu pizzicato.. Plus maniable, plus souple que le ténor, le saxophone alto permet en revanche un détimbrage ou des effets « vocaux » expressionnistes moins spectaculaires que ce dernier, d’où son emploi moins systématique chez les saxophonistes de free jazz ou leurs héritiers.
Auteur : Vincent Cotro