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L’Échelle de soieGioacchino Rossini
Carte d’identité de l’œuvre : L’Échelle de soie de Gioacchino Rossini |
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Titre original | La Scala di seta |
Genre | opéra : farsa comica |
Librettiste | Giuseppe Maria Foppa, d’après la comédie française de François-Antoine-Eugène de Planard |
Langue du livret | italien |
Commanditaire | le Teatro San Moisè de Venise |
Composition | 1812 |
Création | le 9 mai 1812 au Teatro San Moisè de Venise |
Forme | un acte |
Instrumentation | bois : 1 flûte également piccolo, 2 hautbois, 2 clarinettes, 1 basson cuivres : 2 cors cordes : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Contexte de composition et de création
1812 est une année d’effervescenceRossini composera cette même année pas moins de cinq opéras. marquant le début de la célébrité du jeune Rossini.
Il est alors âgé de 20 ans et voyage constamment entre Naples et Venise où il compose cette année-là pour le Teatro San MoisèConstruit en 1620, ce théâtre accueille un opéra dès 1639, avec l’Arianna de Monteverdi. L’un des plus petits théâtres de Venise, agrandi plusieurs fois, il devient aussi l’un des plus influents dans le monde de l’opéra et particulièrement l’opera buffa italien, jusqu’à sa fermeture en 1818., un théâtre très réputé depuis près de deux siècles. En janvier, la création d’un premier opéra destiné à ce théâtre, une farce en un acte (L’Inganno felice [L’Heureux Stratagème], créé le 8 janvier 1812), est un vif succès qui lui vaut la commande de trois autres farces. Quelques mois plus tard, le 9 mai 1812, L'Échelle de soie est créée au Teatro San Moisè. Sans remporter autant de succès que le précédent opéra, cette farce est toutefois très bien accueillie et sera reprise une douzaine de fois. Par la suite, seule l’Ouverture de L’Échelle de soie restera connue du public, jusqu’à ce que la partition autographepartition écrite à la main, par son compositeur ou un copiste soit retrouvée chez un collectionneur suédois, en 1973.
L’argument
L’Échelle de soie comprend six personnages principaux. L’intrigue, pimentée dès le début de l’histoire, reprend un thème classique des farces et opere buffe, celui du mariage secret :
Giulia vit dans les environs de Paris avec son tuteur, Dormont. Elle aime Dorvil avec qui elle s’est mariée en secret. Seule une vieille tante est dans la confidence. Les jeunes époux se retrouvent grâce à une échelle de soie que Dorvil emprunte tous les soirs pour accéder en cachette à la chambre de Giulia.
Mais la situation se complique lorsque Dormont promet la main de sa pupille à un autre homme, Blansac, qui se trouve être un ami de Dorvil. Les fiançailles s’organisent ; Blansac demande à Dorvil d’être son témoin…
Heureusement pour Giulia, sa jeune cousine Lucilla, hébergée également chez Dormont, aime Blansac. Giulia y voit un moyen de sortir de cette situation périlleuse. Mais Lucilla peut se montrer importune et vient souvent menacer sans le savoir le secret et les projets des jeunes mariés.
Les intrigues vont donc commencer, embrouillées par un valet un peu ridicule, Germano. Jusqu’à ce que, dans une situation des plus confuses, Giulia pense redonner secrètement un rendez-vous à Dorvil par l’échelle de soie… rendez-vous auquel pas un des personnages ne manquera d’assister !
Les personnages et leur voix
- Dormont, tuteur de Giulia : ténor
- Giulia, pupille de Dormont, mariée secrètement à Dorvil :soprano
- Dorvil, marié secrètement à Giulia : ténor
- Lucilla, cousine de Giulia, amoureuse de Blansac : soprano
- Blansac, prétendant de Giulia, soutenu par Dormont, par ailleurs ami de Dorvil : baryton
- Germano, serviteur maladroit : basse
Une farce comique
Rossini qualifie L’Échelle de soie de farsa comica. Une farsa est un opéra en un acte, proche de l’opera buffa. Elle traite souvent de sujets burlesques inspirés du quotidien de la bourgeoisie et peut fourmiller de personnages et de situations les plus cocasses. Le ton général de L’Échelle de soie, léger, clair et vif, souvent tendre aussi, se rapproche de certains opéras de Mozart comme Les Noces de Figaro.
Pour cette œuvre, Rossini utilise un orchestre à l’effectif plutôt restreint, celui mis à sa disposition par le théâtre. Il reprend les principales caractéristiques de l’opera buffa :
- 6 ou 7 personnages qui se distinguent par leurs caractéristiques vocales : des voix aiguës de soprano et ténor pour le couple d’amoureux ; un ou des personnages perturbateurs à la voix grave, baryton ou basse ; un rôle de tuteur âgé ou d’un vieil amoureux, le plus souvent ténor ; un personnage féminin secondaire, soprano ou mezzo-soprano ;
- des récitatifs et des airs, mais surtout des ensembles, duos, trios ;
- un finale : un grand ensemble faisant intervenir tous les personnages dans le dénouement.
Dans cette œuvre de jeunesse, Rossini se distingue déjà par des traits qui lui resteront caractéristiques :
- une inventivité mélodique et un art du bel canto, grâce auxquels le compositeur offre une réelle dimension psychologique aux personnages, particulièrement dans ses cavatinesÀ l’origine une courte pièce vocale sans reprise (à la différence de l’aria da capo), prolongement mélodique du récitatif avant l’air, la cavatine se développe ensuite pour devenir plus élaborée, intermédiaire entre l’air et l’arioso. Moins animée que l’air, elle peut cependant être un moment de grande virtuosité. L’un des plus célèbres exemples de cavatine chez Rossini est « Una voce poco fà » dans Le Barbier de Séville. ;
- une capacité à transcrire musicalement la dimension humoristique et trépidante de la pièce par des effets d’instrumentations, de surprises et de contrastes (dans L’Échelle de soie, l’Ouverture est une brillante illustration de ce talent) ;
- un art d’apporter un souffle continu à ses opéras, notamment par l’équilibre entre les récitatifs, solos, duos et grands ensembles, dont un placé au centre de l’œuvre - ici un quatuor - au moment le plus confus de la situation.
Ainsi, Rossini allie d’une manière unique l’intensité musicale à l’intensité de l’action et des sentiments, dans une énergie sans cesse croissante jusqu’à son apogée dans le finale.
Zoom sur la Sinfonia
Cette Sinfonia ouvre l’opéra. Comme toutes les ouvertures, elle est purement instrumentale et préfigure par des procédés musicaux ce que sera l’intrigue. Elle suit une forme-sonate très employée à cette époque :
- une introduction lente, douce et détendue ;
- une exposition joyeuse et contrastée, qui fait entendre deux thèmes ;
- un développement aux atmosphères changeantes, construit autour des deux thèmes de l’exposition ;
- une réexposition des deux thèmes ;
- une coda puissante avec tout l’orchestre.
Avant même l’introduction lente, les premiers violons attaquent vivement dans l’aigu puis se lancent dans une grande et agile descente vers les graves, comme une échelle de soie jetée d’un balcon. Commence alors l’introduction proprement dite, uniquement confiée aux bois et aux cors : sur une douce mélodie dans le style bel canto, le hautbois et la flûte dialoguent tendrement, accompagnés par l’harmonie discrète des autres vents.
Rossini utilise des jeux instrumentaux théâtraux, où pupitresensemble des musiciens qui jouent des instruments d’une même famille (pupitre des cordes, des bois…) ou le même instrument (pupitre des violons ou des cors…) ou instruments sont opposés puis associés à la manière des personnages de la pièce. Ainsi, le premier thème de l’exposition, espiègle et rebondissant, est d’abord donné aux violons 1, qui s’arrêtent soudainement en plein milieu d’une phrase. Après un silence interrogateur, le thème est repris par le hautbois.
Le second theme, toujours vif et léger, est plus tendre mais également comique du fait des appoggiaturespetite note rapide, étrangère à l’harmonie, jouée avant la note principale aux bois. La musique, énergique et contrastée, annonce tout à la fois l’humour et l’action de l’œuvre qui va suivre.
Le second thème se conclut par un crescendo (augmentation du volume sonore) si caractéristique de l’écriture de Rossini que les musicologues ont créé le terme de « crescendo rossinien ». Il accumule et développe une énergie effervescente, ce qui lui permet de déployer toute la puissance de l’orchestre dans la conclusion de l’exposition, puis à nouveau à la fin de cette ouverture.
Zoom sur l’air de Dorvil « Vedrò qual sommo incanto »
Situé dans la première moitié de l’œuvre, cet air vient après une conversation entre les deux amis. Blansac veut que Dorvil soit son témoin de mariage, tandis que Dorvil tente en vain, sous couvert d’amitié, de dissuader Blansac de se fiancer à Giulia. Têtu et aimant les défis amoureux, Blansac demande à Dorvil de se cacher pour assister à la scène de séduction. Dorvil finit par voir dans cette situation l’occasion de tester l’amour et la fidélité de son épouse.
L’air exprime les états d’âmes de ce mari amoureux, à la fois confiant et fébrile, espérant sortir « vainqueur » de ce qui devient en fait une joute amoureuse. La forme de l’air est caractéristique de l’opéra italien du XIXe siècle, en deux sections contrastées : une première section lente et lyrique, le cantabilechantant, et une section plus rapide et virtuose, la cabaletta.
La première partie – « Vedrò qual sommo incanto di femmina nel petto » (Je verrai le sommet enchanteur du cœur d’une femme) – est calme et lyrique. Les cors y sont employés presqu’en continu, et leur timbrecouleur sonore propre à chaque instrument apporte une sonorité chaleureuse et réconfortante. La mélodie, sereine, est d’abord énoncée aux violons. Puis le chant la reprend et l’enrichit à chaque répétition du texte. La mélodie se gonfle ainsi de l’expression de l’amour et de la confiance de Dorvil envers Giulia. L’écriture vocale est caractéristique du bel canto : des formules (mots ou phrases) sont répétées, chaque fois plus longues et plus ornementées, avec des syllabes allongées dans des vocalises.
Une deuxième partie contrastante et virtuose enchaîne, dans laquelle ressortent à la fois le caractère conquérant et l’appréhension de ce qui va arriver – « Bramo l’istante e il temo » (J’attends cet instant avec envie et crainte) ; « non tradirmi » (ne me trahis pas) – C’est le moment des prouesses vocales et des grandes vocalises acrobatiques accompagnées avec exaltation par l’orchestre.
Typique de l’opera buffa qui mêle des passages sérieux et comiques, cet air virtuose, dans lequel Dorvil s’exprime avec force et sincérité, crée un contraste fort avec le quatuor qui suit, de caractère léger.
Zoom sur le Finale
Rossini suit à la lettre la trame de l’histoire. Il enchaîne airs, récitatifs, et ensembles. Du solo au sextuor, il fait évoluer l’action jusqu’à son dénouement, sans jamais relâcher l’intensité et le comique de cette farce.
Giulia, qui pense être seule, a mis l’échelle de soie à sa fenêtre et attend Dorvil. Elle ignore que Lucilla et Germano sont en réalité cachés dans la pièce.
Dorvil arrive par l’échelle et entame un duo avec Giulia, ponctué d’apartés de Germano.
Mais quelqu’un d’autre frappe à la porte-fenêtre depuis l’extérieur : c’est Blansac, qui pense que ce rendez-vous lui est réservé. Dorvil se cache à son tour. Commence alors un quatuor avec Giulia et Blansac ainsi que Dorvil et Germino toujours cachés.
Attiré par le bruit, Dormont frappe et c’est à Blansac de se cacher… Dormont, en colère, est persuadé que Giulia est avec quelqu’un. Il trouve… Lucilla ! Tous les personnages cachés sont découverts un à un, jusqu’à ce que Giulia n’ait d’autre solution que d’avouer son mariage. Blansac dit vouloir épouser Lucilla. Dormont pardonne à Giulia et approuve les deux mariages. Tout se termine bien dans un grand sextuor final !
Auteure : Aurélie Loyer