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Le Monde de la lune
Carte d’identité de l’œuvre : Le Monde de la lune de Joseph Haydn |
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Genre | opéra : dramma giocoso |
Librettiste | Carlo Goldoni |
Langue du livret | italien |
Composition | en 1777, au palais d'Esterházy (à Eisenstadt en Autriche) |
Création | le 3 août 1777, au palais d'Esterházy |
Forme | dramma giocoso en trois actes |
Instrumentation | bois : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 bassons cuivres : 2 cors, 2 trompettes percussions : timbales cordes : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses basse continue : clavecin |
Contexte de composition et de création
Depuis 1761, Joseph Haydn est employé par la riche famille Esterházy. À l’occasion du mariage du fils cadet de son protecteur, il compose Le Monde de la lune, une aimable bouffonnerie écrite sur le livret de Carlo Goldoni. L’opéra n’a pas l’accueil espéré. Un invité le qualifie même de farce pour la populace et pour les enfants
. Il ne sera joué que trois fois du vivant de Haydn, qui réutilisera l'ouverture dans sa Symphonie n° 63, quelques passages dans la Messe de Mariazell et dans ses Trios pour flûte, violon et violoncelle.
L’argument
À l’aide de son télescope, le professeur Ecclitico observe la lune et ses habitants. C’est du moins ce qu’il affirme. Aussi, lorsque Buonafede, un bourgeois crédule et naïf, ajuste son œil à la lunette, il voit de petites silhouettes que le faux astronome et ses complices, le chevalier Ernesto et son serviteur Cecco, agitent afin de le duper. Dans quel but ? Les trois hommes veulent épouser les deux filles du barbon ainsi que sa servante, dont Buonafede est d’ailleurs lui-même épris. Lui faisant croire qu’il peut voyager sur la lune pour y goûter les plaisirs de la vie, les trois comparses veulent amadouer le vieux bourgeois, d’abord réticent, pour qu’il change d’avis. Après un épisode « sur la lune », après maints quiproquos et confusions, Buonafede accorde la main de ses filles, avant de s’apercevoir qu’il a été trompé. Homme de bon fond, il pardonne et l’opéra se termine sur une réconciliation générale.
Les personnages et leur voix
- Buonafede, vieil homme qui refuse de marier ses deux filles. Il est amoureux de Lisetta sa jeune servante. Basse, rôle comique.
- Ecclitico, faux astronome amoureux de Clarice, l’une des filles de Buonafede. Ténor, rôle à la fois sérieux et bouffon.
- Ernesto, complice d'Ecclitico. Il est amoureux de l’autre fille de Buonafede, Flaminia. Baryton, rôle sérieux.
- Clarice, fille de Buonafede, amoureuse d’Ecclitico. Soprano, rôle à la fois sérieux et bouffon.
- Flaminia, fille de Buonafede, amoureuse d’Ernesto. Castrat soprano (c’est le seul rôle écrit par Haydn pour cette catégorie), rôle sérieux.
- Lisetta, jeune servante de Buonafede. Mezzo-soprano, rôle comique.
- Cecco, valet d'Ernesto, amoureux de Lisetta. Ténor, rôle comique.
Le langage musical
À l’époque classique, un opéra est constitué de plusieurs numéros : vocaux (airs, récitatifs) et instrumentaux (ouverture, sinfonia, ritournelle). Parmi les épisodes vocaux, le récitatif est le moment où l’action avance. Aussi, le chant doit être proche du langage parlé de manière à conserver l’intelligibilité du texte. De plus, l’accompagnement reste discret : dans le cas du récitatif sec (secco), il se réduit au seul clavecin (parfois accompagné d’une basse d’archet comme un violoncelle) qui ponctue la déclamation libre des chanteurs par des accords arpégés ; dans les récitatifs accompagnés, la déclamation est soutenue par un orchestre léger. Très dynamiques, les récitatifs ne durent parfois que quelques secondes. Certains rappellent la commedia dell’arte, lorsque les personnages s’adressent au public en aparté. À l’opposé du récitatif, l’aria, dont la ligne mélodique est souvent doublée par l’orchestre, est élégante, délicate, et dévoile la personnalité des personnages. Le texte, souvent répété et peu important, est un prétexte à la mise en valeur de la voix : prouesses vocales, vocalises, ornements, notes longues et expressives…
Les finales (dernier numéro d’un acte) sont très développés. Celui qui clôt le second acte passe de la farce au drame. Tout d’abord enjouée, la musique prend un ton dramatique lorsque Buonafede réalise qu’il a été dupé : mode mineur, envolées de cordes, trémolos aigus, accords presque violents… Les chanteurs, auparavant regroupés en ensemble (duos, trios…) sont unis dans un fortissimo pathétique.
La mimesis musicale
Pour illustrer un texte aussi loufoque qu’imagé, Haydn use de moyens inventifs :
- « Je vole », murmure Buonafede (dans le finale de l’acte I) lorsqu’il boit le breuvage qui le conduira sur la lune. Les cordes discrètes accompagnent légèrement par des motifs ascendants et descendants qui évoquent un flottement dans les airs.
- La sinfonia qui ouvre l’acte II installe le décor, une forêt. On entend les oiseaux « chanter » au violon solo dans l’extrême aigu.
- Émerveillé par le nouveau monde qu’il découvre, Buonafede s’extasie. Dans l’air « Che mondo amabile », les instruments font écho aux paroles : « les arbres jouent » (réponse des bois et cors), « les oiseaux chantent » (dialogue hautbois/clarinette sur les sifflements du chanteur), « les nymphes dansent » (réponse des cordes), « les échos se répondent » (dialogue entre les bois et cors).
- Dans le final de l’acte II, les personnages rient en mesure sur un rythme de double croche. Le burlesque continue lorsque le bourgeois dupé chante des onomatopées répétées en tentant de « parler le langage de la lune ».
Focus sur quelques numéros
Ouverture
Allegro, nuance forte, l’Ouverture commence de façon très dynamique. Elle s’inscrit dès le début sous le signe du contraste et annonce le caractère de l’opéra à suivre, oscillant entre farce et drame. Sur le battement régulier des cordes graves (altos, violoncelles et contrebasses) qui déroulent une suite ininterrompue de croches, les violons, péremptoires, s’élèvent : ils jouent un premier thème aux notes disjointes, bien appuyées et détachées (staccato). Ce thème est aussitôt repris par le hautbois solo mais en notes liées qui, associées au timbre nostalgique de l’instrument, installent une couleur sonore différente. S’ensuit alors un dialogue contrasté entre les deux hautbois et les cordes : les uns chantant un élégant motif dans les aigus, les autres répondant de façon rythmique dans les graves. Cette opposition (cordes souvent rythmiques et puissantes à l’unisson face aux sonorités plus délicates des hautbois) est présente tout au long de l’ouverture et crée une richesse sonore. Le thème est ensuite repris par tout l’orchestre dans la nuance forte, soutenu par les puissantes frappes des timbales.
Nouveau contraste avec l’apparition d’un second thème aux violons, doux et ondulant, avant le retour du premier thème. Des syncopes s’installent aux violons et les appuis ainsi décalés donnent au passage l’allure d’une course haletante.
Après un bref silence, c’est l’étonnement : une partie centrale commence dans une ambiance mystérieuse, sur un battement très doux (pianissimo) des cordes. Un grand crescendo mène au premier thème joué fort par tout l’orchestre mais dans une couleur sombre et dramatique donnée par la tonalité mineure. On retrouve également le second thème ondulant, longuement développé et oscillant entre majeur et mineur, ce qui crée un sentiment d’incertitude et d’attente.
Finalement, la farce l’emporte lorsque le premier thème revient en majeur. Mais un ultime coup de théâtre survient, avec le retour inattendu du mineur. Une longue tenue en point d’orgue laisse la musique en suspens, qui reprend pour finir l’Ouverture tout doucement. Un silence annonce l’entrée des chanteurs.
Acte I scène 7, Air de Flaminia « Ragion nell’alma siede »
Il s’agit d’une aria da capo, en trois parties ABA’. Après une brillante introduction à l’orchestre, Flaminia commence à chanter. Le texte se résume à quelques phrases.
La première (partie A) décrit un combat entre la raison et l’amour : « la raison siège dans l’âme, reine des pensées, mais elle désarme et cède si l’amour la combat » (« Ragion nell’alma siede, regina dei pensieri, ma si disarma e cede se la combatte amor »). Sur la première partie de la phrase, ce combat se retrouve dans une ligne mélodique parsemée de grands sauts d’intervalles. La voix, souple, prend appui sur les notes graves de sa tessiture (jusqu’au do), pour s’envoler dans les aigus. La deuxième partie de la phrase fait entendre des vocalises parfois très longues (14 mesures) mettant en valeur le mot « combatte ». Il s’agit d’une démonstration de puissance, d’articulation, de maîtrise des aigus (jusqu’au ré).
Après une ritournelle de l’orchestre, on passe à la seconde partie (B). La chanteuse dévoile d’autres qualités vocales, qui s’adaptent à une seconde phrase, plus plaintive : « quand l’amour occupe le trône, il se fait appeler tyran et exige tout notre cœur, comme un présent ou un don » (« E amor, se occupa il trono di rè si fa tiranno, e sia tributo o dono, vuol tutto il nostro cor »). Toute agressivité a disparu au profit d’un ton résigné qui se traduit par un nouveau langage musical : des notes chantées legato, moins d’intervalles disjoints mais au contraire des mouvements chromatiques (par demi-tons).
La phrase A est ensuite reprise, ornée à l’envi par la chanteuse afin de montrer tout son talent.
Auteure : Sylvia Avrand-Margot