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La Grande Guerre (2)L’antimilitarisme
À la fin du XIXe siècle, d’autres voix s’élèvent pour dénoncer les conséquences de la guerre de 1870. En particulier celle de Jules Jouy, à l’activité foisonnante (poète, chansonnier, polémiste, membre de cercles littéraires et animateur de sociétés chantantes). Il signe des centaines de chansons pour le café-concert, interprétées par les plus grandes vedettes d’alors (dont Paulus, Thérésa, Aristide Bruant, Yvette Guilbert), et il écrit des chansons d’actualité politiques ou satiriques publiées au jour le jour dans les journaux tels que Le Tintamarre, Le Sans-culotte, puis Le Cri du peuple (fondé par Jules Vallès) de 1883 à 1888. Ses thèmes de prédilection sont la république, l’injustice, l’anticléricalisme, l’anti-boulangisme, le macabre (en particulier la guillotine qui lui inspirera le poème La Veuve). C’est dans Le Cri du peuple qu’il publie en 1885 La Carmagnole des corbeaux, détournant l’hymne révolutionnaire pour en faire un pamphlet antimilitariste – avec les corbeaux rôdant autour des champs de bataille pour dévorer les morts. Par la suite, il collaborera avec d’autres journaux : Le Parti ouvrier, Le Paris, Le Rire… Jules Jouy mourra à 42 ans, épuisé par ses luttes et rendu fou par ses abus d’absinthe.
Montéhus, chansonnier humanitaire
Au tournant du siècle, l’esprit revanchard a fini par décliner, mais les tensions avec l’Allemagne se ravivent lors des crises marocaines de 1905 et 1911 au sujet du partage du territoire, finalement remporté par la France et l’Espagne. Cette affaire aura des répercussions dans le contexte d’une nouvelle marche vers la guerre, tandis que l’époque voit se développer à Paris un courant antimilitariste dans la chanson d’auteur.
Montéhus, qualifié sur les partitions de « chansonnier humanitaire », a commencé à publier ses chansons en 1897. Ayant choisi de défendre les déshérités, il signe de nombreuses œuvres qu’il interprète lui-même sur les scènes de cafés-concerts, dénonçant pêle-mêle les maux de la IIIe République (revendications ouvrières, condition féminine, hypocrisie religieuse, militarisme…). Parmi ses chansons, La Grève des mères est interdite par décision de justice en octobre 1905 et vaut à son auteur d’être condamné pour « incitation à l’avortement ». Elle fait partie des œuvres antimilitaristes de Montéhus qui comptent également à cette époque : Le Père la révolte, Gloire au XVIIe, L’Enfer du soldat, Marche de la paix, Si la guerre éclatait, etc. Parfois emphatiques, voire maladroites, ces chansons sont empreintes d’une sincérité qui marquera durablement la mémoire ouvrière et le répertoire des mouvements politiques de gauche.
Gaston Couté, le révolté
L’œuvre du poète libertaire Gaston Couté est d’une autre facture poétique. Originaire de la Beauce, il publie ses premiers textes dans des feuilles locales, puis se laisse convaincre de venir à Paris en 1898, à l’âge de 18 ans. Assez désargenté, il interprète ses poèmes dans de petits cabarets de Montmartre devant un public bientôt acquis à sa cause. Certains sont mis en musique dès 1900 et édités sous le titre générique La Chanson d’un gâs qu’a mal tourné. Révolté dans l’âme, il s’en prend aux injustices sociales, à l’ordre bourgeois, aux riches exploiteurs, à la religion, à l’armée (avec notamment Les Conscrits), à l’hypocrisie, à la veulerie…
Puis il se rapproche des mouvements ouvriers. En 1910, il collabore aux journaux anarchistes La Barricade et La Guerre sociale en y publiant chaque semaine des chansons satiriques d’actualité et de combat politique, écrites sur des airs connus. En mai 1911, il signe ainsi les couplets antimilitaristes de La Marseillaise des requins, sur l’air de l’hymne national ; il y dénonce de façon prémonitoire la boucherie des champs de bataille, le profit des grands financiers, l’enrôlement des troupes coloniales, etc. Miné par la tuberculose, les abus d’absinthe et les privations, il décède prématurément un mois plus tard, à 31 ans.
Bien qu’écrite pour partie en patois beauceron, l’œuvre de Couté reste d’une étonnante modernité qui séduit jusqu’à nos jours de nombreux interprètes, et l’on ne compte plus les réinterprétations musicales de ses poèmes.
Auteur : Martin Pénet