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La Grande Guerre (1)L’esprit de revanche
La Grande Guerre, dont nous célébrons actuellement le centenaire, fut le premier conflit global et industrialisé, mobilisant toute l’économie et l’ensemble de la population. Selon les historiens, il marque à bien des égards le véritable début du XXe siècle : sur les plans militaire (nouveaux armements, développement de l’aviation), social (réduction de la ségrégation de classe, implication des femmes), artistique (naissance du mouvement dadaïste dénonçant l’absurdité et l’horreur de la guerre, arrivée du jazz avec les troupes américaines). La Grande Guerre constitue également une charnière dans le cycle belliqueux qui a commencé en 1870 et s’achèvera en 1945.
L’esprit de revanche
En 1870, les États-Unis d’Europe dont rêve Victor Hugo ne sont encore qu’une utopie. Le continent est en proie à des luttes d’influence entre les nations qui défendent chacune leur unité, leur culture, leur territoire et cherchent à se partager le reste du monde dans des empires coloniaux. La frontière du Rhin symbolise l’hostilité séculaire entre les Français et les Allemands. Elle se concrétise par une guerre déclenchée par la Prusse en août 1870 : le nord de la France est envahi, puis Paris est soumise à un siège qui dure quatre mois et demi et s’achève, en janvier 1871, par une demande d’armistice. Le traité de Francfort conduit à la perte de l’Alsace et de la Moselle, deux régions que l’Allemagne revendiquait. L’avènement de la IIIe République n’enlève rien au ressentiment suscité par l’amputation d’une partie du territoire national : l’esprit de revanche sera cultivé dans les écoles, la littérature, les spectacles, et notamment dans les chansons.
Le café-concert
La chanson, art populaire par excellence, devient à cette époque un loisir vivant qui se répand dans les grandes villes. Il n’existe pas encore de micro, de radio, de disques, de cinéma et encore moins d’internet ! Le seul moyen de connaître les nouvelles chansons est d’aller voir les chanteurs sur scène dans les cafés-concerts qui se multiplient dans tous les quartiers, ou bien d’acheter les partitions « petits formats » vendues par les chanteurs de rue. La chanson accompagne la vie de tous les jours : on chante à la maison, à l’école, au travail, dans des chorales, etc. Les éditeurs de musique constituent une petite industrie de proximité qui alimente le répertoire des cafés-concerts, obéissant à des genres bien définis : comique, sentimental, lyrique, patriotique, etc.
C’est dans cette dernière catégorie que naissent, à partir de 1871, les chansons d’esprit revanchard et de style grandiloquent : Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, Le Fils de l’Allemand (qu’une nourrice ne veut pas allaiter car sa mamelle est française), C’est un oiseau qui vient de France, Le Violon brisé (par une patrouille allemande parce qu’il a joué La Marseillaise), etc. Beaucoup d’entre elles sont lancées par une interprète nommée Amiati, qui en a fait sa spécialité. Parmi toutes ces chansons, Le Maître d’école alsacien, créée par elle à l’Eldorado en 1872, met en scène un instituteur qui entretient ses élèves dans le culte de la France et persiste à employer le français, désormais interdit, pour faire sa classe.
Des chansons pour frapper les esprits
La Chanson du petit crucifié, lancée vers 1890 par le chanteur à voix Marius Richard à la Scala, est un exemple particulièrement caricatural de chanson d’actualité mélodramatique, mêlant fait divers et esprit revanchard : dans une famille alsacienne, le cœur de la mère est resté français, tandis que le père accepte le joug allemand. Dans un accès de rage, il punit affreusement son jeune fils qui exprimait son attachement à la France, au point que la patrouille allemande, attirée par les cris, est elle-même horrifiée par le spectacle. L’enfant finit par rendre l’âme en criant son amour de la France.
Cette vogue de chansons anti-allemandes finit par décliner après 1885, laissant place aux refrains suscités par le boulangisme, nouvel avatar de l’esprit revanchard. Ce mouvement nationaliste, porté par la personnalité du général Boulanger, occupera en effet l’actualité durant quelques années. Il en sera chassé à son tour par la vague d’attentats anarchistes (1892-1894) et surtout par l’affaire Dreyfus qui éclatera en 1894.
Auteur : Martin Pénet