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La musique contemporaine : quelques grands courants
Musique sérielle - Musique sérielle intégrale
La musique sérielle dodécaphonique, théorisée par Arnold Schönberg (1874-1951) et sublimée par son élève Anton Webern (1883-1945), ouvre les voies de la composition musicale en ce début de XXe siècle : le compositeur peut s’échapper du carcan de la tonalité pour écrire une musique où tous les sons ont une valeur et un poids équivalents. Le mot « atonalité » pour décrire cette musique émerge pour signifier la négation d’un système que plusieurs musiciens modernes tentent de délaisser. Utilisant les douze sons qui constituent la gamme chromatique, ordonnés au préalable sous forme de série déterminée, le compositeur se doit de respecter cette série tout en la distribuant aux différents instruments, dans un sens ou dans l’autre, en miroir ou renversée. L’extrême brièveté de certaines œuvres d’Anton Webern, sorte d’aphorismes musicaux, est le résultat de cette série poussée à son paroxysme.
Découverte tardivement dans le reste de l’Europe, la musique de Webern marquera durablement la génération des compositeurs nés autour de 1925Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Luigi Nono, György Ligeti, Bruno Maderna, Luciano Berio. Sous l’impulsion de Mode de valeurs et d’intensités pour piano (1949) d’Olivier Messiaen, le principe de la série est généralisé à tous les paramètres du sonalors que la technique sérielle de Webern ne prenait en compte que les hauteurs de sons : aux nuances, aux rythmes, aux espaces, aux timbres, aux attaques, etc. Ce sérialisme intégral est caractéristique des œuvres des années 1950, lorsque la jeune génération de compositeurs, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, proclamait radicalement un acte de table rase vis-à-vis des œuvres et langages du passé. Anton Webern devenait alors pour eux le « Bach du XXe siècle ».
Musiques expérimentales
La notion de « musique expérimentale » recouvre de nombreux courants et styles musicaux : principalement anglo-saxonne lors de son émergence dans les années 1950, la musique expérimentale propose un contrepoids à la rigidité des musiques d’avant-garde que représentent la musique sérielle intégrale et ses résultantes, portées par les cours d’été à l’académie de Darmstadt. C’est d’ailleurs lors d’une de ces académies en 1958 que John Cage, véritable penseur et initiateur des musiques expérimentales, exposera ses idées révolutionnaires à la jeune génération de 1925. Se posera alors rapidement le problème de la notation traditionnelle de la musique, à la fois trop précise et déterminée, mais en même temps cloisonnée et limitée. D’où l’émergence rapide de partitions graphiques à la croisée entre transcription du geste instrumental et du concept sonore, plus libre en interprétation que la notation traditionnelle. Par ailleurs, les musiques expérimentales ne préconisent aucune obligation ou interdiction : un compositeur peut tout aussi bien revenir à un langage tonal ou modal comme totalement indéterminé et laissé au bon vouloir de l’interprète.
Œuvre ouverte
Apparaissant quasiment au même moment aux États-Unis et en Europe, mais dans deux langages différents de la création des années 1950, l’œuvre ouverte est une nouvelle conception du rapport entre compositeur et interprète. Autant Pierre Boulez dans la Sonate n° 3 (1957) que John Cage dans le Concerto pour piano (1958) proposent aux interprètes de faire des choix : un choix de parcours de l’œuvre selon des chemins séparés mais notés sur la partition, un choix d’instrumentation, de matériau, de durée, etc. L’auteur offre à l’interprète une œuvre à achever
, comme l’écrira Umberto Eco dans son livre L’Œuvre ouverte, qui résumera parfaitement l’ouverture de tous les possibles dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Musique indéterminée - Musique aléatoire
Marcel Duchamp (1887-1968), artiste dada et père spirituel de l’art conceptuel aux États-Unis, propose dès 1913 dans Erratum Musical un concept basé sur l’aléatoire : un chapeau contenant 25 cartes représentant chacune une note chantée, trois interprètes tirent au sort les cartes et chantent les notes de manière monocorde et régulière.
John Cage, influencé par la philosophie chinoise du I Ching, prône la part indéterminée de la création musicale. Le hasard sera alors une nouvelle composante d’une composition : choisir des hauteurs de son avec un jet de dés, couper et déchirer des partitions puis les jeter dans le désordre avant de les interpréter, piocher des sons dans des réservoirs de notes laissés à la disposition de l’interprète ou dans un annuaire téléphonique, etc.
Michael Nyman, compositeur anglais et auteur de l’ouvrage Experimental music, identifie 4’33’’ de John Cage comme l’une des pièces fondatrices des musiques expérimentales. Cette œuvre porte le nom de la durée de sa première exécution par le compositeur et pianiste David Tudor en 1952 : 4 minutes et 33 secondes de silence, ou plutôt de musique aléatoire due aux réactions du public face à un musicien qui n’émet aucun son.
Minimalisme - Musique répétitive
Né avec les premières œuvres et performances de La Monte Young à partir de 1958, le courant minimaliste, souvent appelé de manière réductrice « répétitif », se développe considérablement aux États-Unis sous la plume de compositeurs à la croisée des styles et des générations : Steve Reich (né en 1936) ou encore Philip Glass (né en 1937), à la suite de la création en 1964 de In C de Terry Riley (né en 1935), élaborent des œuvres où les variations rythmiques infimes et en apparence infinies et répétitives de motifs courts et simples créent des sensations nouvelles, liées à la fois à la transe et à l’expérimentation rythmique.
Le syncrétisme de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle
À la suite de tous ces courants proposés par la musique contemporaine, les compositeurs des générations suivantes (nés à partir de 1950) choisissent de se glisser dans le sillage de ces nouveaux langages, ou au contraire de créer leur propre langage à la croisée de tous les autres. Aujourd’hui, de nombreux compositeurs piochent et sélectionnent dans tous les courants et styles du passé comme du présent pour écrire une musique personnelle qui se réinvente à chaque fois, remettant en question la notion d’héritage musical. Ainsi entend-on aussi bien des variations sur une basse obstinée empruntées au Didon et Enée de Henry Purcell que des improvisations bruitistes et rageuses proche des musiques hard rock et jazz. L’époque de la tabula rasa des années 1950 en Europe est terminée : aujourd’hui, chaque compositeur regarde et emprunte dans tout ce qui fait sa culture musicale et artistique, à la fois respectueux et critique, réunissant des langages au départ pensés comme opposés mais qui semblent finalement complémentaires. Le compositeur est un exemple de syncrétisme musical, à la croisée des styles, dans une démarche totalement décomplexée.
Théâtre instrumental - Théâtre musical
La notion de « théâtre instrumental » émerge avec la prise en considération de plus en plus grande des implications visuelles et gestuelles de l’instrument et de l’instrumentiste dans leur relation à l’espace. En ce sens, toutes les Sequenze de Berio ont une part de théâtre instrumental, parce qu’une Sequenza ne peut pas exister sans l’engagement physique et l’adhésion de son interprète. Ces œuvres poussent les limites du rapport du musicien avec son instrument, la partition devenant alors comme un scénario. Mauricio Kagel voit très tôt le potentiel dramatique du jeu musical et instrumental. Tout peut devenir théâtre, à condition de trouver les interprètes capables de jouer ces pièces aux multiples dimensions artistiques.
De son côté, le théâtre musical, apparu dans les années 1960, est une manière de repenser l’opéra. C’est un spectacle où toutes les composantes (voix, instruments, mise en scène, décor, costumes...) sont étroitement imbriquées entre elles. La représentation n’obéit plus au texte mais dépend de la partition, et les chanteurs, tout comme les instrumentistes avec qui ils partagent la scène, doivent également être acteurs. Ce nouveau courant est réellement amorcé au festival d’Avignon en 1969, avec Orden de Girolamo Arrigo, puis sera illustré par de nombreux autres compositeurs comme Georges Aperghis.
Auteur : Clément Lebrun