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Musiques du Japon
Musique, danse et théâtre sont au cœur du mythe fondateur du Japon, tel qu’il fut consigné au VIIIe siècle :
Amaterasu, déesse du soleil, s’étant retirée dans une grotte, le monde se trouve plongé dans les ténèbres. Tenant en main des symboles sacrés, une autre déesse exécute alors devant la grotte une danse bruyante et grotesque qui provoque le rire des dieux. Intriguée, Amaterasu sort de son repaire ; les dieux s’en saisissent et le monde est rendu à la lumière.
Ainsi naquit le premier des kagura, la forme la plus ancienne du théâtre japonais qui nous soit parvenue. Parmi ces « divertissements offerts aux dieux », on distingue :
- les mikagura (danses accompagnées par la musique de cour gagaku dans les grands sanctuaires shintô) ;
- les satokagura (kagura « de village »), répandus dans tout le pays encore aujourd’hui, sous des formes disparates et souvent récentes, accompagnés par des flûtes et des percussions.
Ce mythe fondateur contient deux caractères essentiels de la musique japonaise : l’association étroite entre musique, danse et récit d’une part, la coexistence du sacré et du profane, du raffinement et de la farce d’autre part. C’est ainsi que le théâtre nô, synthèse de différents divertissements qui atteint son âge d’or au XIVe siècle avec l’écrivain et dramaturge Zeami (1363 – 1443), alterne des pièces où sont mis en scène divinités, guerriers valeureux ou héroïnes du temps jadis, et des farces (kyôgen, littéralement « paroles folles ») mettant en scène des personnages du monde ordinaire dans des situations prêtant à rire. Un tel mélange des genres sera la marque même d’une forme théâtrale plus tardive, le kabuki.
Influence du continent asiatique
La musique japonaise offre, aujourd’hui encore, des genres toujours vivaces depuis le VIIIe siècle. C’est d’abord du continent (c’est-à-dire de Chine et de Corée), à l’occasion des missions qui apportèrent au Japon l’écriture en idéogrammes et le bouddhisme, que parviennent à cette époque les instruments de la musique de cour. L’orchestre de gagaku réunit des groupes d’instruments à vent au rôle mélodique, à cordes dont la fonction est principalement rythmique, et des percussions. Il ne s’agit pourtant pas de véritable polyphonie, mais d’une hétérophonie créée par la superposition des mélodies fluctuantes des instruments à vent, chaque groupe jouant à l’unisson en se référant à un diapason fixe. Très ritualisée dans ses gestes et d’un tempo lent, accordée, la musique du gagaku profane revêt trois formes : instrumentale (kangen), accompagnant les danses bugaku et les chants utamono (en japonais saibara, en chinois rôei).
À la même époque, le chant bouddhique shômyô se développe au Japon tandis qu’il a quasiment disparu en Chine, supplanté par le confucianisme. Il est formé de séquences allant de la psalmodie au chant, entre lesquelles sont insérées des frappes de gongs et de cymbales.
Jusqu’au XIIe siècle, la musique japonaise se caractérise ainsi par l’introduction et l’assimilation de musiques issues du continent asiatique, marquée par des principes fixes comme une hauteur de référence déterminée et des modes fixés (hérités de la théorie musicale chinoise).
Repli et invention
À partir du XIIIe siècle, la classe militaire au pouvoir se détache des formes héritées du continent (Chine, Inde), promues par l’aristocratie (gagaku et shômyô) pour s’attacher à un art proprement japonais. Le pays adopte une politique isolationniste qui dure de 1639 à l’avènement de l’ère Meiji en 1868. On assiste à la création de plusieurs genres :
- le heikyoku, récitation épique accompagnée au luth biwa, narrant les rivalités entre les clans Heike et Genji ;
- le kôshiki, texte didactique récité et chanté ;
- puis le théâtre nô, forme dramatique associant un texte poétique sous forme chantée, récitée et dialoguée par les acteurs avec des danses, accompagnée par un orchestre de deux ou trois tambours et d’une flûte, ainsi que d’un chœur.
Devenu un art raffiné, éloigné de ses racines populaires, le théâtre nô décline à partir du XVIIe siècle au profit d’autres formes narratives. Un instrument joue un rôle déterminant dans cette évolution : le shamisen, luth à trois cordes joué avec un plectre, introduit de Chine vers 1560. Il devient rapidement l’instrument de nombreuses formes narratives, en particulier des deux formes théâtrales de la période Edo (1603-1867) :
- le bunraku, qui associe narration accompagnée au shamisen et marionnettes ;
- le kabuki, théâtre chanté et dansé dans lequel on trouve en particulier une forme de « chant long », le nagauta, accompagné par un ensemble de shamisen et d’instruments du nô.
En dehors de la scène, au cours de cette même période, le shamisen s’associe à la flûte droite shakuhachi et à la cithare koto dans un répertoire plus intimiste (jiuta, poèmes chantés avec koto et/ou shamisen qui peuvent accompagner des danses).
À l’exception de certains répertoires pour koto, ces différents répertoires proprement japonais présentent un caractère fluctuant, aussi bien dans le champ des hauteurs que dans celui de la temporalité.
Avec l’ouverture du Japon à l’Occident à partir de l’ère Meiji se développe une musique davantage destinée au concert qu’au théâtre et tournée vers une recherche de virtuosité.
Au début du XXe siècle se développent de nouveaux styles de récits épiques hérités du heikyoku, accompagnés du luth biwa (satsumabiwa, chikuzenbiwa).
Musiques de fêtes, musiques populaires
La musique est très présente lors des nombreuses fêtes de quartier et de village, souvent proches dans leur esprit des kagura, et offre une grande diversité. Deux traditions, issues de territoires rattachés au Japon à la fin du XIXe siècle – l’archipel d’Okinawa, tout au sud, et l’île de Hokkaido, tout au nord –, s’en distinguent et conservent une culture spécifique. Elles sont d’autant plus préservées qu’elles sont un enjeu d’identité et de résistance à la culture nationale. Avec ses tournures mélodiques typiques, son emploi d’une langue autochtone et du luth sanshin, proche des origines chinoises du shamisen, la musique d’Okinawa accompagne chants et danses populaires ainsi qu’une forme de musique de cour. Au nord de Hokkaido, subsistent des traces d’une culture aïnoue, dont les chants et danses, accompagnés de claquements des mains et d’instruments tels que la cithare tonkori et la guimbarde mukkuri, sont aujourd’hui redécouverts et réhabilités.
Auteure : Véronique Brindeau