Accueil / Portraits de jazzmen / Portrait d’Yves Robert
Yves Robert (1958-)
Tromboniste voluptueux et subtil, organisant sa musique à partir de concepts évocateurs, Yves Robert n’a cessé d’affirmer une démarche singulière, servie par une amplitude de moyens expressifs qui en font un musicien essentiel du jazz français tel qu’il s’est redéfini dans les années 1980.
Développement d’une technique personnelle
Né le 17 janvier 1958 à Chamalières, Yves Robert suit neuf ans d’étude du trombone au conservatoire de Vichy. Attiré par l’énergie du jazz et la liberté qui lui est attachée, il touche, en amateur, à tous les styles de cette musique, du dixieland au free. Rejoignant l’Arfi à Lyon (1981), puis le Grim à Marseille (1983), il s’inscrit au cœur de collectifs qui tentent de dégager de nouvelles formes d’improvisation, qu’il pratique assidument, tout en animant rencontres et ateliers pédagogiques. En 1983, il enregistre un disque en solo publié par l’Arfi et un second en trio avec le guitariste Jean-Marc Montera et le percussionniste Gérard Siracusa. Remarqué comme l’une des voix nouvelles s’exprimant sur le trombone, influencé par George Lewis et Albert Mangelsdorff (il appartient à l’ensemble franco-allemand dirigé par ce dernier), il développe un panel de techniques qui lui permet de déployer un vaste éventail d’effets et de variations de timbre (multiphonies, respiration circulaire, slap). En 1986, François Jeanneau fait appel à lui pour faire partie du premier Orchestre National de Jazz.
Détaché des canons du jazz
Musicien majeur d’un certain jazz français affranchi de la référence américaine, détaché des formes traditionnelles dont il se désintéresse ouvertement, Yves Robert s’impose comme le tromboniste de sa génération et, de fait, participe à de nombreuses formations plus ou moins régulières de l’Hexagone. Il appartient ainsi au quintet de Didier Levallet, de Gérard Marais (opéra jazz La Baraque rouge) de Sylvain Kassap, au New Unit de Michel Portal, au Paris Quartet de Joëlle Léandre, au groupe d’Irène Schweizer avec Maggie Nichols, à L’Opéra des Pékins d’Antoine Hervé, aux Seven Songs from the Sixties de Marc Ducret, etc. Sous son nom, Yves Robert se fait connaître à partir de 1988 à la tête d’un trio fondé avec le batteur américain Aaron Scott et Bruno Chevillon, contrebassiste avec lequel il a beaucoup travaillé au Grim. Par la suite, il forme un quartet avec Claude Tchamitchian (contrebasse), Philippe Deschepper (guitare) et divers percussionnistes, qui est actif jusqu’en 1996. Dans les disques Tout court (1993), « objet sonore » composé de vingt-six morceaux très brefs, et Tout de suite (1994), enregistrés par cette formation, il défend une poétique de la « proposition », à base de courtes improvisations dirigées en forme d’« actions » musicales, dont l’enchaînement est pensé selon des critères quasi-cinématographiques. Revendiquant la surprise, le décalage, les discours parallèles, en s’écartant délibérément des canons du jazz, Yves Robert s’inscrit dans l’invention de nouveaux modes de jeu collectif qui en fait un partenaire de prédilection de Louis Sclavis. Aux côtés du clarinettiste, il participe à des projets qui font date comme Chamber Music (1989), Ellington on the Air (1992), relecture de compositions de Duke Ellington, et Les Violences de Rameau (1996).
« Créer une atmosphère »
Musicien à « programmes », Robert thématise ses propres groupes, travaillant à orienter les improvisations de ses partenaires afin d’introduire une dimension signifiante dans sa musique. Quand j’écris un thème, c’est pour créer une atmosphère susceptible d’être développée […], je pense beaucoup plus à produire un cadre et une émotion qu’un rythme ou une harmonie particuliers
. Il en est ainsi du quintet Eté avec Laurent Dehors (sax, clarinette), David Chevallier (guitare), Hélène Labarrière (contrebasse), Cyril Atef (batterie) de 1995 à 1998, qui cherchait à transcrire des impressions estivales, ou plus encore, du trio La Tendresse, avec Vincent Courtois (violoncelle) et Cyril Atef, dont tout le répertoire reposait sur la recherche d’une érotique sonore et d’un jeu au plus près du « grain » des instruments. Créé en 2003, Orphée se présente comme l’interprétation musicale du mythe antique. Après L’Argent (2007), sorte d’oratorio pour lequel le tromboniste a recours à des extraits d’entretiens enregistrés, Yves Robert poursuit son interrogation de la place de la finance dans notre société avec L’argent nous est cher (2010), qui associe texte, chant, vidéo et musique. Parallèlement, dans le trio Inspirine, avec Chevillon et Atef, il donne la primauté au rythme, à la concision, sans jamais se départir de l’humour malicieux qui, depuis ses débuts, fait partie intégrante de sa personnalité musicienne.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juin 2010)