Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : octobre 2006)
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Antoine Hervé (1959-)
Pianiste brillant, compositeur aux références éclectiques synthétisées avec brio et fantaisie, Antoine Hervé s’est imposé jeune comme l’un des musiciens de jazz français les plus remarquables de sa génération. Porté à l’âge de 28 ans à la direction du second Orchestre national de jazz, il a ensuite essuyé, comme la plupart des musiciens ayant exercé cette responsabilité, le revers de cette notoriété précoce, malgré un travail conséquent de création aux ambitions souvent transdisciplinaires et un trio d’une longévité et d’une fidélité rares.
Un héritage classique fusionné au jazz moderne
Né le 29 janvier 1959 à Paris, neveu du compositeur Daniel Lesur, Antoine Hervé grandit dans un environnement favorable à la musique et les dispositions qu’il présente enfant l’amènent à s’orienter vers des études musicales. Élève du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris en classe d’écriture jusqu’en 1982 (classe de Marius Constant), il étudie parallèlement le piano auprès de Pierre Sancan, héritier de la tradition debussyste, et la percussion classique dans le but de jouer en orchestre. Dans le même temps, son intérêt croissant pour le jazz – l’improvisation, l’aspect rythmique notamment – et le rock l’amène à s’essayer au piano électrique, à fréquenter des musiciens comme Serge Lazarévitch qui lui fait découvrir le Real Book, ou Andy Emler avec qui il forme un duo en 1980 dans lequel l’un comme l’autre jouent du piano et des percussions. Primé l’année suivante au Concours national de jazz de La Défense, Antoine Hervé émerge comme l’un des représentants parmi les plus doués d’une nouvelle génération d’improvisateurs à la double culture. Lui-même ambitionne « la fusion des musiques » et particulièrement de l’héritage classique européen, y compris ses formes contemporaines, et du jazz moderne.
En 1983, il constitue un orchestre de treize musiciens (qui prendra par la suite le nom de Bob 13), qui se produit au Festival de jazz de Paris, grâce auquel il impose l’originalité de son travail de compositeur. Il forme également un trio avec Michel Benita (contrebasse) et Peter Gritz (batterie). Au piano, son style composite est nourri de l’influence de Bill Evans, Wynton Kelly, Oscar Peterson ou McCoy Tyner, mais éclairé par une connaissance assimilée de la technique classique, marqué par une approche rythmique et dynamique héritée de sa formation de percussionniste et enrichi d’une fréquentation régulière de la littérature pour piano (Chopin, Debussy, Bartók). Comme Martial Solal, il est un adepte de la méthode Hanon et d’une certaine volubilité ludique et réfléchie qui sait faire place à l’humour. En 1985, il reçoit le prix Django-Reinhardt de l’Académie du jazz qui récompense le musicien de jazz français de l’année.
À la tête de l’ONJ
Nommé en 1987 à la tête de l’Orchestre national de jazz, il réunit une formation avec laquelle il donne plus d’une centaine de concerts et accueille de nombreux invités : Dee Dee Bridgewater, Toots Thielemans, Peter Erskine, Didier Lockwood, Randy Brecker… Dans ses rangs figurent des musiciens qui s’affirmeront comme des acteurs majeurs du jazz hexagonal la décennie suivante. Responsable d’une bonne partie du répertoire qui mêle des classiques du jazz réarrangés et des compositions originales, il ouvre celui-ci à des pièces écrites par Carla Bley, Jean-Loup Longnon, Denis Badault ou encore Gil Evans qu’il reconnaît comme l’une de ses influences. L’ONJ est aussi l’occasion de ses premières expériences à la rencontre d’autres formes d’expression artistique, au travers de collaboration avec les chorégraphes Philippe Découflé (ballet Tutti, 1988) et Andy De Groat.
Un abondant travail de composition
Au terme de son mandat à la direction de l’ONJ, Antoine Hervé s’oriente vers l’improvisation sous toutes ses formes et crée, en cette fin 1990, l’association Hexameron avec le pianiste Patrick Scheyder. Sa rencontre avec la chanteuse bulgare Yildiz Ibrahimova l’amène à s’intéresser à la musique classique turque et bulgare (album Paris-Zagreb, 1991) et débouche l’année suivante sur l’écriture de L’Opéra des Pékins, auquel sont associés les musiciens de son quintette : le saxophoniste Laurent Dehors et les frères Moutin, François (contrebasse) et Louis (batteur). Deux ans plus tard, les mêmes participent à la création à Radio France d’un Concerto Da Camera pour quintette de jazz et quatuor à cordes.
Reconnu comme compositeur, il écrit une pièce en hommage à Frank Zappa, Transit, commande de l’Ensemble Intercontemporain (1994), élabore plusieurs spectacles musicaux comme Sonate d’automne avec Anne Carrié et Mes bien chers frères dans lequel il interprète des chansons de Serge Gainsbourg et de son frère François Hervé. Il compose également un concerto pour trompette (Hommage à Miles Davis), La Maison brûlée pour quatuor à cordes et Transactions pour l’ensemble Alternance. En 1997, il crée Mozart, la nuit, un spectacle qui fait intervenir 120 choristes (en pyjamas et mules !) ainsi qu’un quartet composé des frères Moutin et du trompettiste allemand Markus Stockhausen sur de grands airs de Mozart confrontés à l’écriture contemporaine, aux sons urbains du jazz, de la funk, et aux sonorités électroniques. Poursuivant son cheminement éclectique, Antoine Hervé écrit la musique du spectacle Macadam-Macadam de la chorégraphe Bianca Li (1998), collabore avec le cinéaste Eric Rochant (musique du film Un monde sans pitié) et crée au Festival Inter-celtique de Lorient Les Caprices de Morgane avec 19 musiciens dont neuf traditionnels (cornemuses, bombardes, caisses claires bretonnes et harpe celtique). Il participe également à la comédie musicale À chacun son serpent de Laura Scozzi sur des textes de Boris Vian avec des danseurs de hip-hop (2000) et crée Absolute Dream, sur une commande de la Cité de la musique, pour son quintette et un ensemble de dix-sept cordes (2002). Inspiré par la formule instrumentale de la Sonate pour deux pianos et percussions de Bela Bartók, il forme sur ce modèle l’ensemble Opus 4 dans lequel il collabore avec sa femme, Véronique Wilmart, également pianiste et spécialiste des traitements électroacoustiques, et deux percussionnistes de l’Ensemble Intercontemporain.
Désirs d’ouverture
Parallèlement à cet abondant travail de composition, le pianiste continue de s’exprimer dans des contextes plus étroitement liés au jazz, dans des configurations variables : en duo avec Didier Lockwood, Michel Portal ou Stéphane Belmondo ; en trio avec les frères Moutin (Fluide , 1994, et sur un florilège de standards, Summertime, 2002) ou en quintette avec le trompettiste Marcus Stockhausen (Invention Is You, 2001), tout en manifestant en permanence un désir d’ouverture et de synthèses des langages musicaux qui reste l’une de ses préoccupations principales. En 2002, il improvise ainsi à la Cité de la musique sur des pièces tirées du répertoire classique. La parution de Inside l’année suivante, recueil enregistré en piano solo, marque la maturité d’un pianiste qui, grâce à l’intelligence qu’il a acquise de son instrument, aborde différents modes de jeu et concrétise « l’homme-orchestre » dont, depuis plusieurs décennies, il n’a de cesse de faire entendre les innombrables avatars.