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Different TrainsSteve Reich
Carte d’identité de l’œuvre : Different Trains de Steve Reich |
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Genre | musique mixte |
Commanditaire | le Kronos Quartet |
Composition | 1988, à New York |
Création | le 2 novembre 1988, au Queen Elizabeth Hall (Londres) par le Kronos Quartet |
Forme | en trois mouvements : 1. America - Before the War 2. Europe - During the War 3. After the War |
Instrumentation | quatuor à cordes et bande magnétique |
Contexte de composition et de création
Lorsqu’il reçoit la commande d’une nouvelle œuvre pour le Kronos Quartet, Steve Reich ne peut écrire un simple quatuor. Comme dans toutes ses œuvres précédentes, il ne part pas d’une forme, d’une structure, d’un genre ou d’un style mais d’un processus, d’un matériau sonore, d’une contrainte qui offre un cadre à son écriture. Comme le dit le compositeur :
L’inspiration de cette pièce vient de mon enfance. Quand j’avais un an, mes parents se séparèrent. Ma mère déménagea à Los Angeles et mon père resta à New York. Comme ils partageaient ma garde, je faisais souvent entre 1939 à 1942 l’aller-retour New York - Los Angeles en train accompagné de ma gouvernante. Bien que ces voyages aient été sensationnels et romantiques à l’époque, je me rends compte, avec le recul, que si j’avais été en Europe durant cette période j’aurais dû, en tant que juif, voyager dans des trains bien différents.
(note du compositeur à propos de Different Trains, 1988)
Dès sa création en 1988, Different Trains marque son époque et reçoit l’année suivante le Grammy Award de la meilleure composition de musique classique contemporaine. Selon les mots de Steve Reich : Cette composition ouvre une nouvelle direction […] qui conduira sous peu, je l’espère, à une nouvelle sorte de théâtre multi-media combinant documentaire, musique et vidéo.
En effet, Different Trains ouvrira la voie à d’autres œuvres multimédia du compositeur : The Cave (opéra vidéo - 1993), City Life (1995), Three Tales (vidéo documentaire - 2002), WTC 9/11 (2011).
Langage musical
Œuvre à la fois autobiographique et documentaire, Different Trains navigue entre les souvenirs de son auteur et les témoignages de survivants de la Shoah. Ces composants sont intégrés sous forme d’éléments sonores dans la bande pré-enregistrée qui sert de support à l’œuvre, mais ils sont aussi exploités dans la composition instrumentale.
Dans le premier mouvement, America - Before the War, Steve Reich utilise trois matériaux sonores différents :
- la voix de Virginia Mitchell, âgée de plus de soixante-dix ans, qui était, de 1937 à 1946, la « nanny » de Steve Reich ;
- la voix de Lawrence Davis, ancien employé des wagons-lits de la compagnie Pullman qui effectuait le trajet entre New York et Los Angeles ;
- des sons de trains américains des années 1930 et 40 : le son des bogies (chariot situé sous un wagon, sur lequel sont fixées les roues), des sifflets de locomotive (transposés à différentes hauteurs pour les besoins de la composition), une cloche d’avertissement.
À partir du matériau pré-enregistré des voix, Steve Reich a sélectionné de courtes phrases puis les a transcrites pour être jouées par les instruments du quatuor à cordes. Le plus fidèlement possible, les instruments imitent la musicalité de chacune des voix : cette « speech melody », la mélodie parlée, devient alors l’élément mélodique de Different Trains. Steve Reich confie la voix féminine de Virginia Mitchell à l’alto et la voix masculine de Lawrence Davis au violoncelle, les deux instruments correspondant à la tessiture de chacune des voix.
Le quatuor à cordes joue un triple rôle :
- la doublure des voix (alto et violoncelle, principalement) ;
- la doublure des sifflets de la locomotive ;
- le son des bogies du train : selon un motif immuable tout le long des 1er et 2e mouvements, le quatuor répète cette formule, l’adaptant aux différents tempos de chaque phrase enregistrée.
Une donnée essentielle de l’œuvre se trouve également dans la bande pré-enregistrée : Steve Reich a demandé au Kronos Quartet d’enregistrer trois autres quatuors, présents dans la partition, mais invisibles sur scène, permettant de créer l’illusion acoustique d’une multitude de quatuors à cordes. Ce sont alors bien quatre quatuors à cordes qui doublent et contrepointent les paroles musicalisées.
La deuxième partie, Europe - During the War, reprend le même découpage que la première partie, mais utilise à présent les témoignages de survivants de la Shoah, de la même génération que Steve Reich. Leurs paroles, décrivant l’horreur des camps de concentration, influent sur le débit des trains, ralentissant progressivement puis accélérant, le tout superposé à des sirènes d’alarme et des sifflets qui ne cessent de tendre le discours et l’écoute. À la toute fin de ce mouvement, le temps semble suspendu, sur les paroles « Flames going up to the sky - it was smoking » (des flammes montaient vers le ciel - ça fumait) : le quatuor à cordes cesse de jouer la formule du train, omniprésente depuis le début de l’œuvre.
La troisième et dernière partie, After the War, réunit dans un élan plein d’espoir toutes les voix de l’œuvre. Au début, le train est absent pour laisser place à un contrepoint complexe imaginé uniquement à partir de la « speech melody » de chaque phrase. Puis, le train reprend ses droits, amené par le retour des voix de Lawrence Davis et Virginia Mitchell. À la fin du mouvement, le contrepoint de « speech melody » revient, et l’œuvre se termine en decrescendo, le matériau sonore s'éteignant progressivement.
Auteur : Clément Lebrun