Auteur : Vincent Bessières
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Nguyên Lê (1958-)
Faisant dialoguer ses racines vietnamiennes avec l’influence déterminante de Jimi Hendrix sous le sceau du jazz et de l’improvisation, Nguyên Lê aborde la musique avec une conscience des frontières et le désir de les transcender. Sa carrière prend les apparences d’un voyage, d’une confrontation à l’exotisme et à l’autre, au service d’une poétique dont les couleurs doivent beaucoup à un manière très personnelle d’user des nombreuses sonorités propres à la guitare électrique.
Cosmopolitisme musical
Né le 14 janvier 1958 à Paris de parents vietnamiens installés en France depuis 1949, Nguyên Lê apprend la guitare et la basse électrique en autodidacte après avoir débuté par la batterie dans des contextes résolument rock. Ses études universitaires l’amènent à étudier les arts plastiques et à préparer un mémoire de philosophie ayant pour thème de réflexion le concept d’exotisme. C’est cependant par la musique que cette exploration finit par se concrétiser, avec la création d'Ultramarine, qui l’associe notamment au pianiste martiniquais Mario Canonge, au bassiste camerounais Etienne Mbappé et au batteur marocain Mokhtar Samba. En 1983, ces pionniers de l’afro-jazz fusion sont remarqués au Concours national de jazz de La Défense et pendant plusieurs années, le groupe s’impose, au coude à coude avec Sixun, comme l’un des plus emblématiques du cosmopolitisme musical qui fait un temps de Paris la capitale de la « sono mondiale » (album Dé, 1989).
De multiples collaborations
Après de nombreuses expériences qui vont de la chanson au jazz contemporain en passant par les musiques extra-européennes, Nguyên Lê est choisi en 1987 par Antoine Hervé pour être le guitariste de l’Orchestre national de jazz. Reconnu pour l’originalité de son jeu qui allie les procédés énergiques du rock (grande maîtrise de la distorsion) à un sens du phrasé sophistiqué, il signe en 1990 un premier album sous son nom, enregistré aux États-Unis avec Art Lande, Marc Johnson et Peter Erskine. Très sollicité, il participe aux groupes d’Andy Emler (MegaOctet), de Michel Portal (avec Miroslav Vitous et Trilok Gurtu), de Marc Ducret (sur l’album Seven Songs from the Sixties, à la basse), d’Aldo Romano… En 1993, il enregistre l’album Init en trio avec André Ceccarelli et François Moutin. Il devient également soliste invité du WDR Big Band en Allemagne, sous la direction de l’arrangeur Vince Mendoza, qui le compte parmi les interprètes des albums Jazzpaña et Sketches (1993) et encore Downtown. Bob Brookmeyer en fait un soliste de sa suite pour grand orchestre The New Yorker (1994), à laquelle participent Dieter Ilg et Danny Gottlieb avec qui le guitariste enregistre son troisième album, Million Waves. Extrêmement présent sur la scène européenne, notamment en Allemagne, il multiplie les collaborations de haut niveau comme, depuis 1994, le trio ELB avec le batteur Peter Erskine et le contrebassiste Michel Benita.
Renouer avec ses racines
En 1995, le guitariste entame une entreprise musicale longtemps projetée qui, sous le titre de « Tales from Viêt-Nam », l’amène à renouer avec ses racines longtemps ignorées : réunissant des musiciens traditionnels et des jazzmen, il leur propose un répertoire de chansons folkloriques qu’il adapte de façon à permettre aux pratiques musicales de chacun de cohabiter sans se défaire de leur spécificités. Lui-même transpose sur la guitare tout un ensemble d’effets typiques des instruments à cordes vietnamiens, s’obligeant à trouver sur son instrument des équivalents techniques au phrasé, aux inflexions, aux attaques du monocorde (dan bau) qu’il a étudié à l’occasion d’un séjour au Vietnam auprès d’un maître, Truong Tan. Ce disque marque une étape déterminante dans son parcours de musicien : Nguyên Lê intègre désormais dans son jeu les pentatoniques et les modes propres à la musique asiatique comme un trait distinctif.
Pour ce « fils d’immigrés vietnamiens vivant à Barbès » ainsi qu’il se définit, la musique devient dès lors affaire de rencontres, adeptes des échanges entre cultures et traditions du monde. C’est ainsi qu’en 1998, Nguyên Lê s’associe avec le batteur d’origine algérienne Karim Ziad pour l’album Maghreb and Friends, une exploration de l’enracinement des musiques d’Afrique du Nord dans l’Afrique profonde, tel qu’on l’entend dans les percussions des Gnaouas ou les chants berbères des B’net Houariyat, dont ils apprivoisent la complexité rythmique, et une interrogation des correspondances possibles entre des musiques géographiquement éloignées (Bojan Z est l’un des participants). Tout en maintenant un lien étroit avec la musique vietnamienne (il produit plusieurs albums de la chanteuse Huong Thanh), il renoue avec des formes plus proches de la tradition du jazz, enregistrant au sein de différents trios, tout en accueillant des musiciens venus d’horizons très différents (album Bakida, 2000). À l’invitation de la batteuse Terri Lyne Carrington, il effectue une tournée aux États-Unis au sein d’un groupe comprenant la pianiste Geri Allen dans lequel il remplace Robben Ford (2000). Sa guitare prend désormais les apparences d’un creuset dans lequel se fondent les influences qui ont nourri son jeu, placées sous le sceau du père de la guitare électrique rock, Jimi Hendrix, dont Nguyên Lê a régulièrement, depuis 1993, salué le génie (album Purple, 2002).