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Paul Motian (1931-2011)
Batteur subtil et coloriste qui fut le partenaire privilégié de pianistes fondateurs, Paul Motian s’est aussi affirmé comme un leader de formations à l’instrumentation peu commune et comme un compositeur de thèmes en forme de canevas évanescents aux textures sonores miroitantes et méditatives.
De l’émancipation de la batterie...
Né le 25 mars 1931 à Providence (Rhode Island, États-Unis), issu d’une famille d’origine arménienne, il débute la batterie à l’adolescence, dans les environs de Providence, avec un voisin. Son service militaire dans la Marine lui permet d’éviter la guerre de Corée et de s’installer à New York en 1954 où il fréquente la Manhattan School of Music et débute sa carrière de professionnel avec le pianiste George Wallington. Engagé dans l’orchestre de Jerry Wald, il y fait la rencontre du pianiste Bill Evans qu’il retrouve dans la formation du clarinettiste Tony Scott et à l’occasion des expérimentations de l’arrangeur George Russell. En fonction des engagements, Paul Motian accompagne aussi Lennie Tristano, Warne Marsh, Coleman Hawkins, Oscar Pettiford… Il devient le partenaire privilégié du pianiste Eddie Costa mais surtout, à partir de 1959, le batteur régulier du trio de Bill Evans : avec le contrebassiste Scott LaFaro, ce groupe marque une étape décisive dans l’évolution de la formule, portant le degré d’interaction entre les musiciens à un degré jamais atteint auparavant. En 1963, Motian collabore également avec le pianiste Paul Bley et Gary Peacock. Il quitte Bill Evans l’année suivante, désireux de se rapprocher des musiciens rattachés au free jazz (Albert Ayler, Pharoah Sanders, Don Cherry). Il se voit même proposer le rôle de second batteur dans le groupe de John Coltrane, qu’il refuse. Dès cette époque, Paul Motian se distingue comme l’un de ceux qui, parallèlement à Elvin Jones, Tony Williams ou Billy Higgins, contribue, avec des moyens différents, à l’émancipation du rôle du batteur : il s’affirme comme un maître des nuances, diffractant le rythme plutôt que le marquant de façon nette, soucieux de dynamique, plus suggestif qu’explicite dans sa façon de soutenir la pulsation et dans ses commentaires. En percussionniste, il montre une attention nouvelle aux timbres qu’il peut obtenir de son set de batterie.
... au rôle de leader
En 1966, avec le contrebassiste Charlie Haden, il participe à la création du trio de Keith Jarrett, qui se transforme en quartette en 1972 avec l’adjonction du saxophoniste Dewey Redman. Jusqu’à sa dissolution en 1977, ce groupe qui enregistre abondamment (pour les labels Atlantic, Impulse puis ECM) s’impose comme l’une des formations phare de la période. Parallèlement, à partir de 1972, Motian enregistre ses premiers albums en leader pour le label ECM dans lesquels se dévoilent ses talents de compositeur. Ce n’est, toutefois, qu’au terme de sa collaboration avec Keith Jarrett que le batteur entreprend de diriger ses propres formations. Enregistré en 1981, l’album Psalm marque le commencement d’une relation féconde avec le saxophoniste Joe Lovano et le guitariste Bill Frisell au sein d’un groupe que le batteur réduit à l’échelle d’un trio en 1984 tant il a développé de connivence intuitive avec ces deux musiciens. Sans piano, sans contrebasse, leur musique se révèle fluide et minimale, flottante et elliptique, attentive aux timbres et aux couleurs. L’album Monk in Motian débute une relation productive avec le label JMT (qui se prolongera sous l’étiquette Winter & Winter) qui donne lieu à une série de disques remarquables. À l’occasion des trois volumes de Motian on Broadway dans lesquels le batteur renoue avec le matériau des standards, le trio accueille le contrebassiste Charlie Haden. En 1991, Paul Motian constitue une nouvelle formation, l’Electric Be Bop Band, à l’instrumentation insolite : deux saxophonistes, deux guitaristes et un bassiste encadrent sa batterie pour une lecture inattendue de classiques de be-bop composés par Charlie Parker, Bud Powell ou Thelonious Monk. En plus d’une décennie d’existence, le groupe se révèle une véritable pépinière de talents (les saxophonistes Joshua Redman, Chris Potter, Chris Cheek, Pietro Tonolo ; les guitaristes Kurt Rosenwinkel, Brad Shepik, Ben Monder…) qui se produit essentiellement sur les scènes européennes.
Parallèlement, Paul Motian continue d’être sollicité par les pianistes comme un incomparable partenaire dans la configuration du trio. Citons notamment Geri Allen (à partir de 1987, avec Charlie Haden), Marilyn Crispell, Gonzalo Rubalcaba, Martial Solal (pour l’album Just Friends en 1998) que Motian avait accompagné au festival de Newport en 1963, Masabumi Kikushi (avec Gary Peacock au sein du trio Tethered Moon), Enrico Pieranunzi, Russ Lossing, les Français Stéphan Oliva et Bruno Chevillon (pour l’album Fantasm, 2000, suivi de Intérieur nuit, 2001)…
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juillet 2005)