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Barre Phillips (1934-)
Barre Phillips a joué un rôle majeur dans l’émancipation de la contrebasse dans le contexte de la musique improvisée, transposant des techniques issues de la création contemporaine au domaine du jazz. Adepte du solo, qu’il a été parmi les premiers à expérimenter, il compte au nombre de ces musiciens qui, dans la seconde moitié des années 1960, ont fait office de « passeurs » entre le free jazz tel qu’il avait émergé aux États-Unis et l’écho qu’il rencontrait chez les nouveaux improvisateurs européens. La singularité de ses recherches et sa démarche de reconsidération libertaire de l’instrument en ont fait un musicien de référence pour des générations de contrebassistes attirés par les vertus de la libre improvisation.
Premières expériences de free jazz
Né le 27 octobre 1934 à San Francisco (Californie), Barre Phillips début à l’âge de treize ans l’apprentissage de la contrebasse dans le cadre scolaire, et découvre le dixieland qu’il pratique aux côtés de son frère Peter. Tout en poursuivant des études universitaires de philologie à Berkeley, il joue régulièrement dans la région de San Francisco. Sous l’influence de son frère devenu compositeur, qui fréquente Gunther Schuller et les acteurs du Troisième Courant, il s’intéresse à la musique d’Ornette Coleman. Une rencontre avec ce dernier est déterminante, le saxophoniste l’encourageant à développer sa propre musique et à s’émanciper de la tradition. En 1962, désireux de se confronter à l’avant-garde, Phillips déménage à New York où, par l’entremise de Schuller, il participe à plusieurs concerts avec Eric Dolphy et à la création de Improvisations for Orchestra and Jazz Soloists de Larry Austin avec le New York Philharmonic Orchestra sous la direction de Leonard Bernstein (1964). Évoluant dans le milieu du free jazz, il fréquente le workshop de Don Ellis, travaille avec Sheila Jordan, Paul Bley en trio, Bill Dixon, fait la connaissance de Gary Peacock et remplace Steve Swallow (avec lequel il lui arrive de jouer en duo) dans le trio de Jimmy Giuffre. Parallèlement, il parfait sa technique avec Fred Zimmermann.
En Europe
En 1964, il effectue son premier voyage en Europe au sein du sextet de George Russell et, l’année suivante, apparaît au festival de Newport au côté d’Archie Shepp (dans l’album New Thing at Newport chez le label Impulse). Pendant l’été 1967, à l’issue d’un séjour à Londres fructueux pendant lequel il a travaillé en trio avec John Stevens et Evan Parker, et remplacé Johnny Dyani dans l’orchestre de Chris McGregor, Barre Phillips décide de rester en Europe, séduit par une scène musicale en pleine effervescence. Appelé par Marion Brown à Paris où il joue en trio avec Steve McCall, il participe à la bande-son du film Le Temps fou de Marcel Camus et apparaît à l’écran. À Londres, il est le premier contrebassiste à publier un album entièrement réalisé en solo, Journal Violone, étape déterminante dans son parcours. Installé définitivement en France en 1969, il forme The Trio avec John Surman et le batteur Stu Martin, groupe emblématique de l’époque, qui accueillera par la suite Albert Mangelsdorff. Sollicité par le metteur en scène Antoine Bourseiller, il travaille pour le théâtre et se produit en solo. Par la suite, le contrebassiste entretiendra d’autres relations transdisciplinaires solides, notamment avec la chorégraphe Carolyn Carlson (à partir de 1972) et le cinéaste Robert Kramer (1980).
Aux confins de la musique improvisée
En 1971, l’enregistrement de l’album Music From Two Basses en duo avec Dave Holland marque la première d’une série de rencontres avec d’autres contrebassistes, une situation d’échange et d’expérimentation que Barre Phillips aura à cœur de reproduire avec plusieurs confrères : Peter Kowald, Joëlle Léandre, Barry Guy, Motoharu Yoshizawa… Un temps, il jouera également en quartet avec Jean-François Jenny-Clarke, Barry Guy et Palle Danielsson. En 1976, il signe un premier disque pour ECM. Par la suite, à la tête de Music By, il renoue avec John Surman. Son travail alterne alors les expériences d’improvisation en solo et les rencontres avec des musiciens évoluant désormais comme lui aux confins de la musique improvisée et de la création contemporaine (avec le pianiste Denis Levaillant, le London Jazz Composers Orchestra, Peter Brötzmann, Michel Doneda, etc.).
En 1992, il participe à la demande d’Ornette Coleman à la musique du film Naked Lunch. Deux ans plus tard, il renoue avec deux compagnons de ses débuts, le pianiste Paul Bley et le saxophoniste Evan Parker (album Time Will Tell, ECM). Il travaille en trio avec Hans Burgener (violon) et Martin Schütz (violoncelle) ainsi qu’avec Joe et Mat Maneri, entre autres collaborations. Au début des années 2000, c’est en trio avec le saxophoniste Urs Leimgruber et le pianiste Jacques Demierre, qu’il poursuit sa riche aventure au cœur des musiques improvisées, toujours fidèle aux conceptions qui, quarante ans plus tôt, l’ont engagé à devenir musicien.
Auteur : Vincent Bessières