Accueil / Instruments / Histoires d’instruments / La contrebasse dans le jazz : évolution des techniques et des matériaux
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Présentation générale
La contrebasse appartient à la famille des cordes frottées. Elle est effectivement constituée d’une caisse de résonance, qui permet d’amplifier les vibrations provoquées par les cordes. Celles-ci sont attachées au cordier, en bas de l’instrument, et reliées à la tête de l’instrumentle chevillier. Afin qu’elles ne soient pas en contact avec la touchela partie du manche tournée vers les cordes, les cordes sont relevées par le chevalet, petite pièce de bois ouvragée posée sur la caisse de l’instrument.
Le son de la contrebasse provient des vibrations du corps et du mouvement de l’air qu’il contient. Ce corps est composé de la table supérieure, du fond et des éclisses. La table et le fond sont reliés par une petite pièce de bois, appelée l’âme. L’air communique avec l’extérieur par les ouïes, des ouvertures en forme de « f » taillées dans la table. C’est le chevalet qui transmet la vibration des cordes à l’ensemble formé par le corps et la cavité d’air.
La contrebasse est présente en Europe dès le XVIe siècle. À cette époque, on la rencontre munie de trois, quatre, cinq ou six cordes. Au XIXe siècle, la plupart des contrebasses possèdent trois cordes. Il s’agit, du plus aigu au plus grave, des cordes sol, ré et la. À partir du XXe siècle, on ajoute la corde grave de mi et les contrebasses à quatre cordes s’imposent.
Comme le violon, la contrebasse nécessite la coordination des mains du musicien, la main gauche appuyant les cordes sur le manche pour modifier la longueuret donc définir la hauteur de la note sur laquelle elle vibre, pendant que la main droite fait vibrer la corde, soit à l’aide d’un archet, soit en tirant sur celle-ci avec les doigts. Appelée « pizzicato », cette technique est celle que privilégient les contrebassistes de jazz depuis les origines de cette musique.
L’enjeu des cordes
Les cordes employées sont en boyau naturel jusqu’aux années 1930, date à laquelle celles en métal apparaissent et gagnent la préférence de beaucoup de contrebassistes. En effet, les cordes métalliques permettent un son avec davantage de sustainde tenue, de durée de résonance de la note jouée, et une meilleure précision dans l’attaque. Ces capacités influent sur le langage des contrebassistes de jazz en facilitant un phrasé plus lié. De nos jours, la texture des cordes est très variée et il existe de nombreux alliages constitués de différents matériaux. Cependant, certains musiciens, notamment les contrebassistes de jazz classique, ont préféré conserver des cordes en boyau qui produisent une sonorité plus ronde. D’autres ont opté pour des compromis, tels Gary Peacock et Charlie Haden qui jouent avec les deux cordes graves en métal et les deux cordes aiguës en boyau fileté nylon.
Tout au long du XXe siècle, chez les contrebassistes de jazz, la hauteur de la position des cordes par rapport à la touche diminue. Ce phénomène découle du souhait d’acquérir davantage de vélocité afin d’approcher un jeu plus mélodique. Concrètement, les cordes placées très haut par rapport au manche, qui permettaient de slapperÀ la contrebasse, le slap est une technique consistant à produire des sons percussifs en frappant les cordes ou en les faisant claquer contre le manche. Cette technique existe aussi à la guitare. dans le style New Orleans, se rapprochent avec le désir de virtuosité. En effet, plus les cordes sont hautes, plus elles demandent un effort important au contrebassiste qui tire dessus. De plus, l’action de tirer fort sur la corde provoque un déplacement de celle-ci plus important, donc une perte de temps car le bassiste doit aller chercher la corde plus loin. Pour cette raison, on ne peut pas être aussi véloce, ni aussi appliqué avec sa main gauchecelle qui tient le manche lorsque l’on utilise des cordes montées loin de la touche. Ce qui implique également un problème de justesse évident dû au mauvais placement de la main gauche qui travaille en force. En contrepartie, en réglant les cordes très haut au-dessus de la touche de l’instrument, on peut obtenir un maximum d’amplitude de vibration, et donc un volume sonore plus important. C’est pourquoi, jusqu’à l’avènement des systèmes d’amplification, les contrebassistes jouaient sur des cordes très hautes. Par la suite, ils ont utilisé des cordes placées beaucoup plus près du manche, ce qui leur permet d’exploiter la tessiture de la contrebasse de façon plus complète et plus virtuose. Le son qu’ils obtiennent en rapprochant les cordes est à la fois plus doux et moins fort.
Dans la perspective d’acquérir une plus grande vélocité, les contrebassistes explorent une position plus haute de la main droite sur le manche. Plus une corde est attaquée haut, plus l’amplitude de sa vibration est réduite, et plus l’effort à produire est diminué. En outre, la même note produite en attaquant les cordes à différentes hauteurs n’a pas la même qualité sonore : plus la main est haute, plus le son produit est doux.
Amplification
Jusque vers la fin des années 1920, les contrebassistes jouent de façon totalement acoustique. Le premier enregistrement avec contrebasse électriquement amplifiée date de 1928 : il s’agit de Wellman Braud dans Hot and Bothered au sein de l’orchestre de Duke Ellington. À partir de cette date, l’utilisation d’un micro devant l’instrument rentre petit à petit dans les habitudes. Cette méthode a l’avantage, si la sonorisation est correcte, de reproduire fidèlement le son acoustique, ce qui n’est pas le cas des « cellules » électriques utilisées ultérieurement. En revanche, le gros inconvénient d’une telle installation est que tous les bruits à proximité de la contrebasse se trouvent également amplifiés, et principalement la batterie. Signalons que cette technique du micro devant la contrebasse est encore utilisée de nos jours en studio, car elle permet d’approcher un son authentique de l’instrument.
Les premières cellules que l’on fixe sur l’instrument n’apparaissent que dans le courant des années 1960. Leur atout est d’amplifier uniquement le son provoqué par la vibration des cordes. En contrepartie, le son acoustique de l’instrument n’est plus reproduit aussi fidèlement. Il devient véritablement électrique. Le contrebassiste doit alors chercher quel amplificateur convient à telle cellule, afin d’obtenir le son qui correspond à ses désirs.
Depuis, divers micro pour contrebasse sont apparus sur le marché. Les premiers et les plus fréquents se présentent sous forme de piezocellule qui capte les vibrations directement sur le bois ou le chevalet de la contrebasse que l’on fixe soit dans les deux yeux du chevalet, sous les pieds du chevalet, sous chaque corde ou encore entre le chevalet et la table d’harmonie. En vue de se rapprocher d’une reproduction fidèle du son acoustique de l’instrument, certains fabricants mettent en place un système alliant piezo et micro aérien.
L'avènement de la basse électrique
Dans les années 1970, l’agrandissement des lieux de concerts et la naissance du jazz-rock poussent les bassistes de jazz à jouer de plus en plus fort. Certains d’entre eux optent alors pour un instrument hybride, compromis entre la guitare et la contrebasse : la guitare basse (ou basse électrique). Le premier modèle, crée par Leo Fender, nommé Precision Bass, soulage beaucoup de bassistes, lassés d’être couverts par la batterie et de transporter un instrument encombrant. La guitare basse permet également l’accession à une virtuosité inimaginable à la contrebasse, ce dont témoignent Steve Swallow, Stanley Clarke (au côté de Chick Corea) et Jaco Pastorius (membre du Weather Report de Joe Zawinul et Wayne Shorter). De nombreux contrebassistes tels Ron Carter, Miroslav Vitous, ou Dave Holland ont eu l’occasion de s’essayer à la guitare basse, certains comme Steve Swallow finissant par l’adopter comme unique instrument. De nos jours, la guitare basse est devenue un instrument à part entière, grâce à des musiciens tels que Jaco Pastorius ou Marcus Miller, qui ont su l’exploiter pleinement et mettre en valeur les qualités qui lui sont propres. Depuis une trentaine d’années, on voit apparaître des contrebasses électriques, comme celle dont joue Eberhard Weber. Comme sur les guitares, on utilise des pédales d’effet, la wha-wha étant la plus connue. Elle est employée par exemple par Vitous dans le groupe Weather Report et par Charlie Haden avec Keith Jarrett.
L’amplification libère les contrebassistes de nombreuses contraintes techniques et leur permet d’aborder des techniques de jeu issues de la guitare, telles que les pull-off, hammer, jeu en accords, harmoniques.
Technique de jeu
Dans le courant des années 1950, l’évolution du langage prônant un jeu plus rapide et plus véloce, la technique évolue nécessairement afin de répondre aux exigences du jazz moderne. À l’inverse, les découvertes des bassistes quant aux nouvelles façons d’aborder l’instrument influencent certainement le langage.
Jusque-là, les bassistes attaquaient les cordes du tranchant de la main droite le long de l’index. Plusieurs raisons expliquent cette pratique. La façon dont étaient montés les instruments rendait le jeu à plusieurs doigts très difficile, voire impossible. En effet, les cordes étant très éloignées de la touche, elles exigeaient l’entière puissance de la main droite. Gênante pour la virtuosité, la hauteur des cordes était inéluctable jusqu’à l’arrivée de l’amplification. Le son puissant dont ont besoin les bassistes ne pouvait être obtenu qu’avec une attaque près du chevalet et une grande amplitude de vibration de la corde, ce qui induisait des cordes très hautes et un effort assez important pour répondre à la hauteur de ces cordes. Il existait bien une autre solution : attaquer la corde avec l’index et le majeur conjointement. Les deux méthodes ont pour objectif d’acquérir un volume sonore conséquent, mais ne sont en aucun cas propices à une quelconque virtuosité. Cette contrainte constitue l’environnement de tous les bassistes, que ce soit Wellman Braud ou, bien plus tard, Jimmy Blanton, jusque dans les années 1950. Ensuite, la technique utilisée par les contrebassistes se rapproche de celle des bassistes électriques : alternance de deux doigtsl’index et le majeur le plus souvent de la main droite, voire de trois doigts, et déplacement de la position de la main droite vers une position perpendiculaire aux cordes pendant les passages les plus véloces.
Autant la technique de la main gauchesur le haut du manche est facilement reconnaissableLes doigtés utilisés sont soit « 1er doigt, 2e doigt et 4e doigt », soit, selon l’école italienne, « 1er doigt, 3e doigt et 4e doigt »., autant la façon d’utiliser la main droite pour pincer les cordes est différente pour chaque personne. On peut dire qu’elle dépend de la constitution physique de chaque individu. Elle est donc très personnelle. Le contrebassiste n’a qu’une seule exigence par rapport à sa main droite : chercher la manière de jouer qui lui permettra d’obtenir le son qui lui convient.
Auteure : Hélène Balse