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Musiques de l’Inde Contexte culturel
L’extrême diversité des traditions musicales de l’Inde est à l’image de la composition linguistique, sociale et religieuse de ce continent. Vaste mosaïque de populations et de cultures, l’Inde défie toute approche unifiante. Plutôt que de parler de « la » musique indienne, on envisagera une pluralité de genres musicaux, le plus souvent localisés dans des lieux et des contextes socio-religieux précis et faisant l’objet de conceptions esthétiques propres.
Les traditions classiques
Concert, public et musiciens
Les traditions classiques sont avant tout des musiques de concert accueillant un public majoritairement citadin, notamment à l’occasion de festivals. Elles sont identifiées, telle la musique classique en Occident, à un milieu favorisé et élitiste.
Un ensemble se compose en général d’un soliste principal – chanteur ou instrumentiste – d’un accompagnateur – percussionniste jouant tabla, pakhavaj ou mridangam – et d’un joueur de luth tampura fournissant un bourdonDans les traditions classiques de l’Inde, le bourdon est un son continu servant de référence à la mélodie improvisée par le soliste. Il est composé de la tonique (appelée « Sa ») et de la dominante (appelée « Pa »). de référence. Ces musiciens ont chacun un statut social différent. Même si l’on remarque des évolutions, les solistes jouissent d’un prestige supérieur aux accompagnateurs et, parmi les solistes, les chanteurs sont plus valorisés car la voix est considérée comme supérieure à l’instrument. Quant au joueur de tampura, il occupe une position particulière puisqu’il est souvent un élève du soliste et accompagne son maître en concert avec cet instrument ne requérant aucune compétence d’improvisation spécifique.
Fondements mélodiques et rythmiques
Les principes fondamentaux de ces musiques ont été définis et systématisés à différentes époques (ancienne, médiévale et moderne) dans des traités (shastra), pour la plupart rédigés en sanskritLe sanskrit est la langue de l’Inde ancienne dans laquelle ont été rédigés les textes religieux.. Ils présentent notamment les règles du système mélodique fondé sur le raga (« ce qui colore ») et les entités rythmiques cycliques, désignées par le terme tala. Le raga y est défini à travers sa dimension émotionnelle, il va influencer l’esprit de l’auditeur et créer une expérience esthétique appelée rasa (« suc, saveur »).
Inde du Nord et Inde du Sud
On distingue généralement deux grandes traditions musicales – « hindoustanie » et « carnatique » – correspondant respectivement aux deux aires culturelles que forment l’Inde du Nord et l’Inde du Sud. C’est à partir du XIIIe siècle que la musique classique indienne a connu cette évolution divergente. En Inde du Nord, l’Empire mogholEntre le XIIIe et le XVIIIe, l’Empire moghol se définit comme le règne des dynasties d’empereurs musulmans d’origine perse, principalement dans le Nord de l’Inde. s’est implanté durant près de cinq siècles (XIIIe-XIXe), période durant laquelle la musique a été fortement influencée par l’art persan, tout comme l’architecture, la littérature, la peinture et la danse. En Inde du Sud, les intrusions musulmanes ont été relativement limitées, les arts indiens ont poursuivi leur développement à l’écart des influences esthétiques extérieures.
Aujourd’hui, la musique hindoustanie et la musique carnatique se distinguent par :
- leurs éléments mélodiques et rythmiques
- l’usage d’instruments (sitar, sarang, flûte bansuri, tabla, pakhavaj, etc. pour la musique hindoustanie ; violon, mridangam, kanjar, nagasvaram pour la musique carnatique)
- le développement de genres différents (khyal, dhrupad, thumri) que l’on ne constate que dans la musique hindoustanie.
Musiques et arts de la scène
La musique, désignée en sanskrit par le terme sangita, de gita « chant » et sam « ensemble », désigne la musique vocale, instrumentale et la danse, compétences et savoir-faire originellement réunis. Parmi les traditions classiques de l’Inde, certains répertoires vocaux et instrumentaux se sont développés en intime relation avec les arts de la scène, donnant lieu à des styles et des règles de jeu propres. De la danse Kathak (originaire de l’Inde du Nord) à la danse Bharata Natyam (originaire de l’état du Tamil Nadu), la musique construit et sert la narration du mouvement dansé. Le texte chanté peut conter par exemple des épisodes mythologiques et épiques (Mahabharata, Ramayana) tandis que le cadre mélodique et rythmique s’allie dans l’alchimie de la narration corporelle de la danseuse. Ces traditions classiques de danse nées dans l’espace rituel se donnent à voir plus volontiers aujourd’hui en Inde dans les salles de concert.
Les musiques dévotionnelles
La musique est un élément essentiel des pratiques rituelles. Selon les communautés religieuses (hindoues, musulmanes, sikh, chrétiennes, etc.) et les contextes, on trouve des formes musicales extrêmement diverses.
Prenons l’exemple des musiques associées à l’activité du temple hindou. Le culte aux divinités consiste en des puja (offrandes), assurées quotidiennement par les prêtres brahmanesLes brahmanes s’inscrivent dans un groupe socio-professionnel du plus haut statut (au sens de varna « couleur ») dévolu traditionnellement à l’étude des textes religieux et à la prêtrise.. Une offrande se compose au minimum de cinq substances symbolisant les cinq éléments constitutifs de l’univers (air, eau, feu, terre, vide) et requiert l’intervention de sonorités musicales que le prêtre réalise lui-même par le jeu d’une cloche ou d’un gong. La musique, dans sa forme ici la plus minimale, est conçue comme une des voies par lesquelles on rend culte aux divinités hindoues.
Outre le son de la cloche, on peut entendre de nombreuses autres formes musicales dans le temple. Que ce soit pour accompagner les offrandes quotidiennes, les fêtes du calendrier rituel ou les processions à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace cultuel, les autorités du temple font régulièrement appel à des orchestres professionnels de hautbois et tambours par exemple ou, comme au Kerala, à des troupes de tambourinaires.
Traditions populaires et populations adivasi
Musiques régionales
Souvent définies en opposition aux musiques de traditions classiques, les traditions populaires regroupent l’ensemble des répertoires régionaux de l’Inde, qu’ils soient le fait de musiciens professionnels de casteJati (« espèce ») en langue vernaculaire, les castes sont des groupes sociaux héréditaires – comportant chacun plusieurs sous-divisions internes – qui sont distingués par un principe de hiérarchie, de séparation et de division du travail. , de groupes réunis autour d’une activité commune (ex : chants de moisson), d’un événement rituel (ex : chants de mariage) ou quotidien (ex : chants collectifs accompagnant le travail, berceuses etc.). Ces répertoires locaux varient considérablement d’un état à l’autre de l’Inde (Rajasthan, Gujarat, Penjab), ce qui implique de les considérer dans leur ancrage linguistique, social, religieux et culturel propre.
Musique et idéologie
Parmi les musiques régionales, les musicologues distinguent généralement les traditions de village hindo-musulmanes de celles qui relèvent des populations aborigènes (Adivasi, « premiers habitants »), encore appelées « populations tribales ». Ces découpages des musiques en « populaires » et « tribales » sont cependant controversés et sont à manipuler avec précaution : ils impliquent des conceptions idéologiques et des valeurs hiérarchiques issues de la colonisation et des modes de pensée occidentaux. Il en va de même pour la distinction des musiques « classiques » qui sont ainsi souvent présentées comme ayant un statut culturel supérieur aux musiques « populaires » ou « tribales ».
Identité culturelle
Les répertoires non classiques sont encore très largement méconnus des musicologues, bien qu’ils aient été partiellement décrits par les folkloristes indiens et britanniques à partir du XVIIIe siècle. Si, aujourd’hui, on connaît relativement mieux les instruments joués dans les diverses régions de l’Inde, plus rares sont les investigations sur les manières dont sont construites et pensées ces musiques.
Certains musiciens professionnels de basses castes, notamment du Bengale (Bauls) et du Rajasthan (Manghaniyars et Langas), ont connu récemment une diffusion internationale sans précédent, du fait du travail de recherche et de promotion par une partie de l’intelligentsia locale. Parmi d’autres répertoires traditionnels, la danse collective bhangra du Penjab a aussi fourni depuis quelques années un univers de référence et de construction identitaire important pour les jeunes générations urbaines issues de la diaspora (Royaume-Uni, États-Unis).
Les musiques filmi
Les musiques produites par la vaste industrie du cinéma ont la particularité d’être diffusées à l’échelle de tout le sous-continent, jusque dans les diasporas indiennes résidant aux quatre coins de la planète. Le film indien, encore appelé masala (« épicé »), réunit toujours plusieurs ingrédients : action, amour, chansons, danses, comédie. Les chansons, intégrées à la narration, jouent un rôle dramaturgique évident qui dépasse la seule fonction de générique. Composées et enregistrées en studio, elles rassemblent souvent des instruments à la fois occidentaux (synthétiseur, guitare, basse etc.) ou typiquement indiens (tabla, mridangam, dholak, sarangi, etc.). Les styles varient aussi selon les régions de l’Inde, les studios de cinéma étant cependant implantés dans les seules capitales de Bombay (cinéma en langue hindi), Madras (langue tamoule) et Hyderhabad (langue télougou).
Auteure : Christine Guillebaud