Accueil / Portraits de jazzmen / Portrait de Ravi Coltrane
Être le fils d’un des plus importants jazzmen de l’histoire n’a pas empêché Ravi Coltrane de se faire une place en tant que musicien professionnel, ni d’affirmer sa personnalité sur un instrument qu’il a en commun avec son père, le saxophone.
En quête d’identité artistique
Né le 6 août 1965 à Huntingdon (New York, États-Unis), Ravi Coltrane n’a que deux ans lorsque son père John s’éteint, le 17 juillet 1967. Son prénom lui a été donné en hommage au musicien indien Ravi Shankar. Né sur la Côte Est, il est élevé à partir de 1971 en Californie par sa mère Alice Coltrane, née McLeod, pianiste, organiste et harpiste qui accompagnera John Coltrane pendant les deux dernières années de sa vie. Cette enfance est baignée par les œuvres de Stravinski, Dvořák, Rachmaninov, mais aussi les disques de son père, ainsi que James Brown, Earth Wind & Fire ou Stevie Wonder. Adolescent, Ravi étudie la clarinette dans le cadre scolaire sans pour autant se destiner à une carrière de musicien. Sa mère lui offre ensuite un soprano. La disparition accidentelle de son frère aîné, John Coltrane Jr. en 1982, contribue à le tenir éloigné de la musique pendant plusieurs années.
Ce n’est que sur le tard, motivé par désir de mieux appréhender l’œuvre de ce père fameux qu’il n’a pas connu, que Ravi Coltrane s’immerge dans sa musique et s’intéresse véritablement au jazz. En 1986, il s’inscrit au California Institute of the Arts où enseigne Charlie Haden, et adopte le saxophone ténor l’année suivante. Deux ans plus tard, il donne quelques concerts auprès de sa mère mais c’est surtout sous la tutelle d’Elvin Jones que, entre 1991 et 1993, il se fera connaître de par le monde au sein de la Jazz Machine, le groupe dirigé par le batteur du quartet « historique » de John Coltrane (1960-65). Ce parrainage, parfois jugé prématuré par l’intéressé, et qui lui vaudra certaines aménités d’une partie de la critique particulièrement acerbe à son encontre, lui permet d’affermir son jeu et de se distinguer au sein de la génération des « Young Lions » qui opère un retour au jazz des années soixante. Parmi celle-ci, il est associé, entre autres, au saxophoniste Antoine Roney avec qui il forme le groupe Grand Central, au frère de celui-ci, Wallace, trompettiste avec qui il enregistre plusieurs albums (1993), ou encore la batteuse Cindy Blackman. Symbole d’une génération en quête d’identité artistique, il côtoie alors plusieurs « fils de » qui tentent d’émuler leurs pères tels le batteur Cody Moffett (fils de Charles), le pianiste Kenny Drew Jr., le trompettiste Graham Haynes (fils de Roy), le batteur Gerry Gibbs (fils de Terry)…
Se forger son propre style
Plus déterminante est, cependant, la rencontre en 1992 avec le saxophoniste Steve Coleman qui, sous l’acronyme de M-Base, fédère autour de lui une nébuleuse de musiciens parmi lesquels Ravi Coltrane trouve ses premiers compagnons de route : les pianistes Andy Milne, Michael Cain et Geri Allen, le trompettiste Ralph Alessi, le bassiste Lonnie Plaxico. Outre sa participation à plusieurs projets et disques de l’altiste, il trouve dans les conceptions développées par Coleman, notamment en matière de composition et d’approche du rythme, des éléments pour nourrir sa propre pratique. En 1997, il enregistre un premier album sous son nom, Moving Pictures (à l’initiative de la filiale française du groupe BMG), dans lequel il reprend des thèmes de Joe Henderson et Wayne Shorter et affirme un style qui ne doit que très partiellement à l’influence de son père tant dans la sonorité que dans les logiques d’improvisation. From the Round Box (2000) et Mad 6 (2002) confirment cette orientation.
Assumer le legs paternel
En 2004, Ravi Coltrane convainc sa mère, qui se consacre essentiellement à des activités spirituelles, de revenir à la scène et, après vingt-six ans de silence, au disque : Translinear Light est l’occasion pour la mère et le fils de relire quelques-unes des œuvres les plus emblématiques de John Coltrane, accompagnés notamment par Charlie Haden, Jack DeJohnette ou Jeff Tain Watts. Pour Ravi, dont le parcours reste jalonné de rencontres avec d’anciens partenaires de son père (le batteur Rashied Ali en 1992, le contrebassiste Art Davis en 1996, le saxophoniste Pharoah Sanders ou encore les pianistes Steve Kuhn et McCoy Tyner par la suite), l’heure semble venue d’assumer le legs paternel sans crainte d’être écrasé par le poids de la comparaison. Peu après, il est choisi par David Liebman et Joe Lovano pour prendre la place de Michael Brecker dans le Saxophone Summit, réunion de trois saxophonistes dont le propos est, notamment, de réinterpréter certaines pièces de la dernière « période » artistique de John Coltrane. Véritable incarnation des tiraillements qui animent le jazz entre son passé glorieux et la nécessité de se trouver de nouveaux chefs de file, Ravi Coltrane dirige depuis 2003 un quartet avec le pianiste Luis Perdomo, le contrebassiste Drew Gress et le batteur E. J. Strickland, à la tête duquel il montre qu’il est parvenu à développer une véritable originalité en tant que saxophoniste qui mérite amplement qu’on s’intéresse à sa musique sans la juger à l’aune du patronyme illustre qui est le sien.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : mars 2010)