Accueil / Portraits de jazzmen / Portrait de Patrice Caratini
Tout autant contrebassiste que porteur de projets, compositeur que meneur d’hommes, Patrice Caratini s’est imposé dans le paysage du jazz français comme une figure attachée tant à la préservation d’une certaine idée du jazz dans lequel il a baigné à ses débuts qu’à la création d’un répertoire d’œuvres nouvelles, servies, notamment, par les formations qu’il a mises sur pied avec une opiniâtreté remarquable et dirigées avec constance depuis plusieurs décennies.
Les premiers engagements
Né le 11 juillet 1946 à Neuilly-sur-Seine, élevé au sein d’une famille nombreuse, intellectuelle et mélomane, Patrice Caratini découvre le jazz à l’adolescence, joue un peu de piano, de guitare et de saxophone, et élabore ses premières ébauches de compositions. Adoptant la contrebasse à l’âge adulte, il fait ses débuts dans des orchestres Nouvelle-Orléans du quartier Latin. Dans l’effervescence de mai 1968, il décide de devenir professionnel et connaît ses premiers engagements entre orchestres de théâtre et « galas-débats ». Dans le réseau des clubs de jazz, il s’initie au be-bop grâce à ses rencontres avec des musiciens afro-américains expatriés, tels le pianiste Mal Waldron, avec qui il joue et enregistre un album, et le tromboniste Slide Hampton, dont le « mini big band » lui inspirera plus tard son Onztet. Avec le trio de Michel Roques, il accompagne de nombreux chanteurs dans une émission radiophonique, et commence à être demandé comme accompagnateur par certains (Moustaki, Colette Magny et, principalement, Maxime Le Forestier). Il trouve auprès d’eux l’occasion d’exercer ses premiers talents d’arrangeur. En 1976, il abandonne toutefois cette activité lucrative mais peu satisfaisante sur le plan instrumental, pour se recentrer sur le jazz.
Du duo au Onztet
Enseignant au CIM, il forme au Caveau de la Montagne à Paris un duo avec le guitariste Marc Fosset qui contraste avec les expressions musicales dominantes (free jazz, jazz rock) et rencontre un certain succès, tant sur disque (Le Chauve et le Gaucher, 1978) que public. Après trois ans d’expérience en duo, Caratini et Fosset forment un trio avec l’accordéoniste Marcel Azzola, qui renoue avec l’esprit des valses manouches et aspire à associer au jazz un héritage musical populaire typiquement français (avec l’album Trois Temps pour bien faire, 1982). Caratini et Fosset seront également les partenaires de Stéphane Grappelli pendant près d’une décennie, accompagnant le violoniste jusqu’aux États-Unis. Tout en maintenant une activité régulière en club avec des jazzmen de passage, notamment au club Petit Opportun, le contrebassiste fait partie d’un autre trio avec les Argentins Juan Jose Mosalini et Gustavo Baytelmann qui renouvelle de manière originale le langage du tango (quatre disques entre 1982 et 1990). Après une première tentative réussie sur le plan musical (album Endeka) mais conflictuelle sur le plan humain en 1979, Patrice Caratini forme en 1985 un Onztet, à l’instrumentation originale (sans batterie, avec percussions et vibraphone, bandonéon et un nombre réduit de cuivres) qui est la réponse à ses ambitions de compositeur et participe chez de nombreux musiciens français d’expérimentations orchestrales nouvelles (album Viens dimanche, 1987).
Artiste engagé
Associé aux réflexions préalables sur la fondation de l’ONJ, il s’implique de 1993 à 1996, avec deux confrères, Andy Emler et Philippe Macé, au sein d’un collectif d’artistes, la Scène et Marnaise de création musicale. En 1997, il constitue son Jazz Ensemble, phalange de musiciens de premier plan appartenant à des générations et des esthétiques différentes qui devient le véhicule de différents programmes thématiques dans lesquels s’exercent ses talents d’arrangeur célébrant à la fois le patrimoine plus ou moins méconnu du jazz et ses propres compositions : Anything Goes (sur des thèmes de Cole Porter, 1997), Darling Nellie Gray (« variations » sur la musique de Louis Armstrong, 2000), Chofé biguine la (2001), From the Ground, série de suites (2003), Birth of the Cool (2006), De l’amour et du réel sur un répertoire de chansons françaises (2005), Xocotalt (avec grand chœur, 2007), hommage à André Hodeir (dont Caratini avait antérieurement créé sur scène la cantate Anna Livia Plurabelle), Chez Joséphine inspiré de Joséphine Baker, avec la chorégraphe Raphaëlle Delaunay (2013)...
Homme de réseau par nécessité et conviction, il est de ceux qui militent de longue date en France pour une politique de soutien institutionnel à la création en général et aux grandes formations du jazz en particulier (création de l’association Grands Formats en 2003), défendant les spécificités de cette musique entre savante et populaire. Marqué par l’exemple de Charles Mingus (auquel il a rendu hommage en 1991 par une intégrale en public), Patrice Caratini développe sur l’instrument une belle présence tout en intégrant dans son écriture, en tant que compositeur, de nombreux emprunts à la musique européenne, inscrivant ses pas dans ceux de deux figures du jazz français, Martial Solal et André Hodeir, avec qui il a entretenu une proximité plus que musicale.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juillet 2014)