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The Four Seasons RecomposedMax Richter
Carte d’identité de l’œuvre : The Four Seasons Recomposed de Max Richter |
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Genre | musique concertante, musique électronique |
Album | enregistré en mars 2012 par le Konzerthaus Kammerorchester Berlin et Daniel Hope (violon) sous la direction de André de Ridder sorti le 31 août 2012 chez Deutsche Grammophon |
Création | le 31 Octobre 2012 au Barbican Hall à Londres, par le Britten Sinfonia et Daniel Hope (violon), sous la direction de André de Ridder |
Forme | en 13 mouvements : I. Spring 0 II. Spring 1 III. Spring 2 IV. Spring 3 V. Summer 1 VI. Summer 2 VII. Summer 3 VIII. Autumn 1 IX. Autumn 2 X. Autumn 3 XI. Winter 1 XII. Winter 2 XIII. Winter 3 |
Instrumentation | violon solo cordes pincées : harpe cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses basse continue : clavecin mixage des sons électroniques et instrumentaux par ordinateur |
The Four Seasons Recomposed : 2e édition | |
Album | sorti le 28 avril 2014 chez Deutsche Grammophon |
Forme | ajout de cinq mouvements : I. Shadow 1 II. Shadow 2 III. Shadow 3 IV. Shadow 4 V. Shadow 5 ainsi que de remix des mouvements Spring 1, Summer 3, Autumn 3 et Winter 3 |
Contexte de composition
Les Quatre Saisons (cycle de quatre concertos pour violon solo) du compositeur vénitien Antonio Vivaldi (1678-1741) n’est pas seulement une des œuvres majeures du répertoire classique mais la plus enregistrée dans l’histoire de la musique classique. Pour Max Richter, cette œuvre a atteint un point de saturation : entendue partout (dans les téléphones portables, dans les ascenseurs, à la radio, dans les annonces publicitaires à la télévision…), elle a perdu sa force sensible vis-à-vis du public contemporain. La tâche que Richter s’impose est donc de reconfigurer l’écoute de ce chef-d’œuvre.
D’abord sceptiques, les deux principaux collaborateurs du projet, le violoniste Daniel Hope et le chef d’orchestre André de Ridder, ont finalement constaté que la nouvelle perspective donnée à cette œuvre était très réussie et très intéressante. Richter a réécrit la partition pour la faire jouer par un orchestre. Cela lui a permis de pénétrer au cœur même des Quatre Saisons, d’en travailler la matière musicale et d’entrevoir ainsi les possibilités qui s’ouvraient à lui. Il s’est ainsi emparé des extraits qu’il aimait pour créer de nouveaux objets musicaux. Bien qu’à trois siècles de distance, certains principes d’écriture des deux compositeurs sont comparables : le travail sur un motif générateur afin de créer l’architecture musicale, l’emploi des répétitions (boucles) et la polyphonie sur une base harmonique stable.
Le langage musical
Afin de saisir la dimension poétique de l’œuvre de Richter, quelques mots sur les concertos de Vivaldi et sur la notion de recomposition sont nécessaires.
D’une part, Les Quatre Saisons constituent la première œuvre à programme : la musique raconte une histoire ou évoque des scènes picturales. Pour Vivaldi, Les Quatre Saisons renvoient à des scènes descriptives de la nature telles que le chant des oiseaux ou l’aboiement d’un chien, l’évocation du vent, de la rivière ou du tonnerre.
D’autre part, la question de la recomposition – revendiquée par Richter dans le titre de l’œuvre – trouve ses fondements dans la tradition classique. De nombreux compositeurs ont proposé des recompositions sous la forme de variations ou en reprenant un thème existant pour le développer librement. Mais Richter se détache de la dimension descriptive pour aller vers une écoute contemplative qui ne cherche pas de signification particulière. Les motifs de Vivaldi perdent ainsi cette caractéristique illustrative pour devenir de purs objets musicaux. En outre, Richter est très radical avec les matériaux de Vivaldi : supprimant 75% de l’original, il n’en conserve que ce qui est nécessaire à son identification. Les violons divisés en quatre parties apportent également une densité de texture absente dans la version originale de Vivaldi.
Les perspectives esthétiques dont Richter se réclame sont celles du minimalisme, de la musique électronique et du post-rock. L’esthétique du paysage sonore et celle de la musique électroacoustique issue de la musique contemporaine sont présentes dans les pièces Shadow (dans la deuxième édition de l’album).
Déroulé de l’œuvre
Comme dans les quatre concertos de Vivaldi, The Four Seasons se déroule en quatre saisons, chacune en trois mouvements. Chaque mouvement de l’œuvre de Richter s’inspire du mouvement correspondant dans celle de Vivaldi (Spring 1 reprend le premier mouvement du Printemps, Spring 2 du second mouvement, etc...). L’ensemble est néanmoins précédé de Spring 0, une introduction de musique électroacoustique. Les sources utilisées pour cette ouverture sont des motifs plus ou moins reconnaissables de l’original, transformés par des effets électroniques. En outre, Richter compose cinq pièces appelées Shadow. Prenant également un mouvement de chaque saison comme référence, le compositeur y privilégie cette fois les sons électroniques et ceux de la nature afin de créer des paysages sonores.
Focus sur Spring 1
Spring 1 enchaîne directement après Spring 0. Dans ce premier mouvement, Richter exploite un matériau existant de Vivaldi (le « chant des oiseaux » qui apparaît dans le premier solo du violon) et le modifie de façons variées afin de recomposer de nouveaux « objets » musicaux. Tout le mouvement se caractérise par la juxtaposition de deux dimensions contrastantes : une couche polyphonique très complexe et une couche harmonique très simple [écouter la version de Vivaldi].
Focus sur Summer 3
Dans ce mouvement, le principe de composition est la « boucle » (loop). Pour commencer, Richter se concentre sur les quatre premières mesures du Presto de Vivaldi pour créer un premier objet. Donné aux violons, il est répété une fois puis est transposé à la quinte comme dans la version originale. Mais Richter ajoute un élément contrastant par rapport à Vivaldi : un accompagnement polyrythmique de 3 contre 2, entre les mains gauche et droite de la harpe et du clavecin, rehaussé par les accents des violons et altos.
D’autres objets vont aussi se répéter plusieurs fois. Le suivant le sera trois fois [écouter la version de Vivaldi].
À partir du premier solo de violon, la version originale de Vivaldi est reprise en grande partie et conserve la logique de la ritournelleLa forme ritournelle est une alternance de ritournelles (refrains) jouées tutti (par tout l’orchestre) et de passages solistes. baroque [écouter la version de Vivaldi]. Après un nouveau passage varié de quelques mesures autour d’un troisième objet, on arrive à une reprise du premier objet aux violons, à l’octave supérieure, répété comme au début du morceau. S’ensuit une reprise du deuxième objet qui continue sur la logique de boucle. Ayant ainsi créé une texture stable et ancrée dans la perception, Richter ajoute alors une mélodie au violon solo : c’est un nouvel objet, fait à partir, non pas des matériaux du troisième mouvement de Vivaldi, mais à partir de la mélodie de l’Adagio dont il garde l’intervalle principal pour en créer une nouvelle de type « minimaliste ». Cette mélodie va se répéter plusieurs fois et générer une montée de la tension jusqu’à la fin.
Après une soudaine interruption de l’orchestre, le mouvement se termine sur une longue résonance électronique, dans une atmosphère ethérée.
Focus sur Autumn 2
Pour Autumn 2, Richter modifie très peu le matériau original en termes de structure harmonique. Le clavecin fait la basse continue selon la tradition baroque et dans un rythme très régulier. Néanmoins, le son des cordes est très légèrement coloré par des sons électroniques, donnant l’impression du timbre de l’orgue. Le jeu sur le timbre instrumental est lié aussi à la tradition de certains groupes de rock des années 1970 tels que les Beach Boys, dans « Wonderful » de l’album Smile, ou Simon & Garfunkel dans « Leaves that are green », ainsi que dans plusieurs chansons de l’album Abbey Road des Beatles [écouter la version de Vivaldi].
Focus sur Winter 1
Dans ce mouvement, le début se caractérise par une entrée progressive des cordes en croches, comme dans la version originale de Vivaldi. Richter précise que les attaques doivent se jouer près du chevalet (ponticello) afin de créer une sonorité particulière qui évoque le froid piquant et accentue le sens dramatique.
Le mouvement reste semblable au concerto de Vivaldi, en suivant la structure introduction, solo de violon et tutti [écouter la version de Vivaldi].
Une deuxième partie commence par des figures rythmiques rapidesDans l’original, cette partie est marquée par le texte « Correr battendo i piedi ogni momento » (Courir en frappant des pieds à tout moment). : Richter modifie la mesure originale de Vivaldi à 4/4 par deux mesures à 7/16, en gardant toujours la même harmonie et les mêmes proportions rythmiques. Raccourci de la valeur d’une double croche et produisant donc un choc perceptif chez l’auditeur, ce motif déstabilisateur va être utilisé comme axe principal pour développer le mouvement. Après une première énonciation, Richter conserve ce modèle rythmique et y ajoute des instruments plus graves (violoncelle et contrebasse) pour augmenter l’effet de puissance de la section [écouter la version de Vivaldi].
Puis le solo original refait son apparition avec une montée qui se fige sur le do aigu tandis que le motif déstabilisateur reprend le dessus. Ce schéma se répète avec de nouveaux enchaînements harmoniques, sur la même base tonale. Plus tard, et à deux reprises (comme dans Spring 1), le violon solo s’intègre à la base rythmique déjà créée et se maintient dans un trait ininterrompu de doubles croches, jusqu’à ce que la figure rythmique soit réaffirmée et conclut la pièce. La notion de nouvel « objet » ne se manifeste pas dans sa morphologie linéaire, mais sur le plan harmonique.
Focus sur Shadow 3
La notion de « paysage sonore », terme inventé par le compositeur canadien Raymond Murray Schafer en 1977, peut s’entendre comme un enregistrement audio destiné à restituer la sensation d’un environnement sonore particulier tel que la nature. Pour installer un climat serein dans Shadow 3, Richter début avec un paysage sonore : un premier plan composé de sonorités d’insectes, d’une rivière et d’oiseaux. Sur cette atmosphère, il introduit graduellement une version du deuxième mouvement de L’Automne de Vivaldi. Mais aux cordes se substitue un son électroacoustique proche du timbre de l’orgue, et le son du clavecin, réalisant la basse continue, reste au deuxième plan. Graduellement, le clavecin prend le premier plan et l’intensité de la pièce redescend avec un decrescendo.
Suggestions d’écoute
La musique à programme
Dans la musique occidentale, il existe plusieurs exemples emblématiques de musique à programme. Par exemple :
- la Symphonie n° 6 en fa majeur op. 68 « Pastorale » de Ludwig van Beethoven (voir la fiche œuvre sur la Symphonie n° 6)
- dans un esprit plus pédagogique : Pierre et le Loup de Sergueï Prokofiev (voir la fiche œuvre sur Pierre et le Loup)
La recomposition
Le principe de recomposition a été abordé sous des formes très diverses selon les époques. Du XIXe au XXe siècle, on peut citer :
- les Six Études d’après des Caprices de Paganini de Robert Schumann
- la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Sergueï Rachmaninov
- mais aussi Ludwig van (1969-1970) de Mauricio Kagel (voir la fiche œuvre sur Ludwig van)
- les adaptations de Mozart (mais aussi Mahler, Wagner, Schumann, Bach, etc.) par Uri Caine, par exemple celle de la Symphonie n° 41 en 2006
- les « interprétations composées » de Schubert par Hans Zender (voir le guide d’écoute sur Die Wetterfahne de Schubert/Zender)
- le travail électronique autour du Bolero de Ravel dans le Recomposed de Carl Craig et Moritz von Oswald
- ou encore l’utilisation d’une symphonie de Mahler dans Sinfonia de Luciano Berio (voir le guide d’écoute).
Trois esthétiques de Max Richter
Le style de Richter traverse au moins trois esthétiques différentes :
- le minimalisme, auquel appartient Philip Glass, le compositeur qui a le plus influencé Richter notamment avec le cycle Metamorphosis pour piano ;
- la musique électroacoustique dont Pierre Henry a été le père fondateur. Une de ses œuvres les plus connues est la Messe pour le temps présent, avec des motifs du rock ;
- le néo-classicisme, consistant en une esthétique caractérisée par l’emploi des formes traditionnelles et de la tonalité. La Symphonie de psaumes d’Igor Stravinski en est un exemple représentatif.
Auteur : Iván Adriano Zetina Ríos