Lorsqu’en 1938 Erich Wolfgang Korngold compose la musique du film The Adventures of Robin Hood de Michael Curtiz et William Keighley, il a déjà fait ses preuves à Hollywood. Dès 1935, à l’âge de 19 ans, il a en effet adapté au cinéma la musique du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn pour son ami Max Reinhardt et a déjà reçu un Oscar en 1937 pour la musique du film Anthony Adverse de Mervyn LeRoy.

Il partage alors sa vie entre Vienne, en Autriche, et la Californie aux États-Unis. Mais en 1938, alors qu’il se rend à Hollywood pour commencer à travailler sur The Adventures of Robin Hood, Hitler annexe l’Autriche. L’Anchluss s’impose aux Korngold qui décident de s’installer aux États-Unis.

Le premier visionnage du film n’a pas convaincu le compositeur qui écrit à la WarnerWarner Bros. Entertainment Inc. est la société de production et de distribution des Aventures de Robin des bois. : S’il vous plaît, croyez un homme désespéré qui se doit la vérité à lui-même comme à vous, un homme qui sait ce qu’il peut faire et ce qu’il ne peut pas faire. Robin des bois n’est pas un film pour moi, je n’ai rien à voir avec lui, et je ne peux donc pas composer de la musique pour lui. Je suis un musicien du cœur, des passions et de la psychologie, je ne suis pas un illustrateur musical pour un film fait de 90% d’action. Étant une personne consciencieuse, je ne peux pas prendre la responsabilité d’un travail qui, je le sais déjà, me laisserait totalement insatisfait sur le plan artistique^[1].

Le contexte politique européen étant désespérant, il revoit sa position en imposant ses conditions. Il demande des contrats à la semaine ce qui lui permet de se lancer dans la composition tout en se laissant une porte de sortie.

Le travail est colossal puisque la musique doit être aboutie (composée, enregistrée et mixée) en trois mois, de février à mai 1938. Korngold sera assisté d’un orchestrateur Hugo Friedhofer qui sera son alter ego pour y parvenir.

L’histoire se déroule en 1191. Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, en route pour les croisades, est fait prisonnier par le duc d’Autriche Léopold V qui exige une rançon pour sa libération. Plutôt que de payer la rançon, le Prince Jean – frère de Richard Cœur de Lion –, s’installe sur le trône d’Angleterre et fait semer la terreur, aidé par son impitoyable bras droit, Sir Guy de Gisbourne.

Sir Robin de Locksley, un seigneur saxon, surnommé Robin des bois, organise la fronde dans la forêt de Sherwood contre le Prince Jean et sa cour normande.

La musique de The Adventures of Robin Hood est constituée d’un ensemble de thèmes qui illustrent des personnages comme celui de Robin des bois ou des concepts comme « l’oppression des normands», ou « l’amour entre Robin et Marianne ». Sur le principe du leitmotivThème ou motif musical qui, associé à un personnage, un objet, une situation, un sentiment, etc., réapparaît tout au long d’une composition. Le motif peut être modifié à l’infini, évoluant au gré de l’action dramatique. Ce processus a été particulièrement développé par le compositeur Richard Wagner (1813-1883). à la manière de Wagner, ces thèmes évoluent et se développent au fil de l’intrigue.

(Les minutages indiqués entre parenthèses sont ceux du film)

Le thème de Robin des bois incarne l’héroïsme et la bravoure. La mélodie vive et rapide est jouée aux trompettes, illustrant le caractère guerrier et martial. La première apparition de Robin des bois intervient dans un climat d’oppression observé dès les premières minutes du film.

Dans ce contexte, le thème de Robin résonne alors comme une délivrance. Robin accompagné de son compère Will Scarlett (3’11’’) observe Sir Guy le bras droit du Prince Jean et sa suite dans la forêt. Ces derniers prennent en flagrant délit le fils du meunier, Much, en train de chasser un chevreuil pour se nourrir. Robin des bois intervient en sauveur en décochant une flèche (4’37’’) qui fait tomber la massue que Sir Guy s’apprête à utiliser contre Much. Dans cette première scène, Robin s’inscrit en protecteur en affirmant que Much est son valet et que c’est lui-même, donc, qui a chassé ce chevreuil. Dès les premiers instants du film, le personnage de Robin apparaît tel un justicier, courageux et téméraire, bravant le pouvoir usurpé. La musique associée au héros est colorée, vivante et tonique, le caractère est chevaleresque dans une tonalité majeure.

On entend ce thème à plusieurs reprises pendant le film sous sa forme complète ou sous une forme réduite. Notamment lors des scènes où les Normands sèment la terreur en s’attaquant à des Saxons et reçoivent des flèches en plein cœur (24’50’’), on ne voit pas qui est l’auteur du projectile mortel, mais en entendant simultanément la tête (le début) du thème de Robin, on comprend qui est à l’origine du tir.

Par ailleurs, ce thème de Robin engendre d’autres thèmes comme celui de l’Amour (43’24’’) entendu pour la première fois alors que Robin invite Marianne à rendre visite aux pauvres. Elle découvre alors le grand cœur du héros. Le thème de l’Amour comporte de nombreuses notes communes avec le thème de Robin, bien que le caractère en soit totalement transformé, dans un esprit plus intime, tendre et romantique.

Le thème de Marianne est entendu la première fois lors du banquet organisé au château de Nottingham par le Prince Jean. La mélodie (7’29), incarnant la fidélité initiale envers le frère de Richard Cœur de Lion, succède à l’air anglais entendu dès les premières images du banquet.

Mais, progressivement, Marianne va découvrir qui est véritablement Robin et tombera amoureuse de lui. Lorsque le héros est envoyé en prison, on entend le thème de Marianne (59’18) en mode mineur, ce qui souligne son inquiétude. Sans qu’elle ne dise aucun mot, la mélodie suggère l’interrogation de Marianne : comment aider son bien aimé ?

Dès le générique, la musique invite les spectateurs dans l’aventure. Le thème des « Joyeux compagnons » de Robin est une marche triomphale et festive, elle donne le ton de ce que sera l’issue du film. Elle incarne la dimension collective du projet de Robin : rallier le peuple saxon à sa cause pour faire face à l’oppression du Prince Jean et des barons normands.

Les percussions précèdent la mélodie de fanfare confiée aux cuivres et aux cordes dans un esprit convivial, héroïque, à la manière d’un livre pour enfant. Ce thème sera entendu plusieurs fois au gré de l’évolution de la bande de justiciers menée par Robin des bois. Par exemple lorsque Robin invite Frère Tuck à intégrer la bande en lui promettant toute la nourriture qu’il voudra, le thème est entendu au basson et au pupitre d’alto (30’58’’) pour illustrer la corpulence de petite taille et enveloppée du personnage.

Pendant le tournoi de tir à l’arc, lorsqu’apparaît Robin déguisé, accompagné de ses compagnons (50’09’’), la mélodie est arrangée de façon à la dissimuler afin d’illustrer la situation.

Le personnage de Richard est le grand absent du film, puisqu’il n’apparaît qu’à la fin. Cette absence déclenche les dérives et les excès de son frère, le Prince Jean. Mais la présence régulière du thème de Richard au fil de l’intrigue souligne la symbolique du personnage et de son lien avec le peuple d’Angleterre : un lien de confiance, rassurant et protecteur. Dès le générique, après avoir introduit la bande de Robin, le thème de Richard et de l’Angleterre est présenté (0’55’’). La mélodie est entendue aux violons dans un esprit noble et lyrique. Le caractère est sécurisant et sans ambiguïté. L’arpège ascendant initial et le déploiement de l’ambitus vers le sol aigu participent à l’optimiste qui se dégage.

Le thème de Richard est progressivement associé au personnage de Robin pour souligner la loyauté du justicier du peuple envers le Roi d’Angleterre.

Plus loin (23’55’’) Robin des bois s’adresse à la foule de Saxons de la forêt de Sherwood, il leur demande de prêter serment et d’être fidèles à ses valeurs : de dépouiller le riche pour donner au pauvre, de protéger les femmes et les vieillards, de lutter pour la liberté, et de combattre l’oppresseur jusqu’au retour de Richard Cœur de Lion. Le thème de Richard accompagne le discours de Robin en en soulignant l’emphase.

De même, pendant le festin dans la forêt (41’48’’), Marianne demande à Robin ce qu’il compte faire du butin récupéré. Robin monte sur la table et harangue sa bande en lui posant la question : — Allons-nous nous partager le butin ? ils répondent : — Non ! C’est pour Richard ! Cet échange avec la cohorte de Saxons est accompagné du thème de Richard.

Ces deux thèmes incarnent la malédiction, la violence et la terreur. Sans aucun doute, dès la première écoute, ils illustrent le mal. Ils sont l’un et l’autre anguleux, irréguliers rythmiquement et leurs contours mélodiques comportent des intervalles dissonants.

Le thème de l’Oppression est construit sur une gamme de notes conjointes descendantes, altérées par des demi-tons, pour mieux suggérer la mort.

Le thème de Sir Guy comporte au contraire de grands intervalles ascendants de septième majeure, de neuvième mineure et d’octave dans un esprit chaotique.

Auteur : Benoît Faucher