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Le thème de la guerre dans la musique
La guerre a souvent été accompagnée de musique au cours de l’histoire humaine, chants et hymnes galvanisant et soudant les troupes partant au combat. Les défilés militaires, triomphes et commémorations diverses ont souvent été aussi l’occasion d’un déploiement musical et une source d’inspiration pour les compositeurs. Est-ce vraiment un hasard si l’une des plus célèbres chansons profanes de la fin du Moyen Âge est intitulée L’Homme armé, et a connu un extraordinaire succès… jusque dans des œuvres religieuses, telles les messes écrites par Guillaume Dufay (vers 1400-1474) ou Johannes Ockeghem (vers 1420-1497) ? De la Renaissance jusqu’à notre époque, le thème de la guerre est traité en musique de manière variée, avec des sensibilités différentes.
À la Renaissance
Le XVIe siècle affectionne encore beaucoup le thème médiéval de L’Homme armé, repris par des compositeurs comme Josquin Desprez (vers 1450-1521) ou Palestrina (1525-1594). Plus singulier, un compositeur comme Clément Janequin (vers 1485-1558) aurait suivi Louis Ronsard, le père du célèbre poète, jusque sur le champ de bataille de Marignan, en 1515, ce qui l’aurait inspiré pour l’une de ses plus célèbres compositions La Guerre ou La Bataille, avec une série d’onomatopées transcrivant le bruit des armes : « von von patipatoc », « trique trac »… Les fanfares de fifres, tambours, clairons, nommés par Janequin, annoncent de la même manière le combat : « Fan frère le fan fan fan feyne », « Fa ri ra ri ra »…
À l’époque moderne
L’évocation de la « fureur au combat », qui va souvent de pair avec l’exaltation des vertus aristocratiques, se retrouve aux XVIIe et XVIIIe siècles dans un genre bien particulier, là aussi très descriptif : celui des « batailles » pour clavier, illustré par exemple en Espagne par Juan Cabanilles (1644-1712), ou en Allemagne par Johann Kaspar Kerll (1627-1693).
La Bible, qui regorge d’épisodes souvent sanglants, peut aussi servir à la même époque d’argument à des épisodes de bataille ou de combat singulier, comme le Combat de David et Goliath, qu’illustre le compositeur Johann Kuhnau (1660-1722) dans une de ses Sonates bibliques.
Dans sa pièce pour clavecin La Triomphante, le compositeur François Couperin (1668-1733) dépeint lui aussi de manière descriptive les différentes étapes du combat : Bruit de guerre, Combat, Allégresse des vainqueurs, Fanfare.
L’image positive, virile, héroïque, presque joyeuse de la guerre semble encore renforcée par le grand événement historique que constitue la Révolution française : la Marseillaise, les grandioses commémorations publiques des morts pour la patrie, où la musique monumentale d’un compositeur comme François-Joseph Gossec (1734-1829) - en particulier son Requiem - occupe une grande place, frappent les esprits et impriment leur marque sur tout le XIXe siècle romantique. Les symphonies d’un compositeur comme Beethoven, sensible aux idées révolutionnaires, en retiennent l’énergie, la monumentalité, l’appel à l’action collective, avec des effectifs de musiciens de plus en plus importants. Les guerres révolutionnaires et les conquêtes napoléoniennes marquent d’ailleurs plus généralement tout le XIXe siècle en lui insufflant le grand vent du romantisme.
Les grands questionnements du début du XXe siècle
Ce n’est qu’au début du XXe siècle, durant la Première Guerre mondiale, que la guerre perd en très grande partie l’« image d’Épinal » joyeuse et aventurière qui était la sienne. La guerre de tranchées, les gaz, le retour des mutilés et des gueules cassées ont laissé un sentiment d’absurdité qui a fortement marqué la production littéraire et artistique, entre dadaïsme et surréalisme. La Seconde Guerre y ajoutera encore davantage, avec l’horreur des camps d’extermination. Les compositeurs Ravel et Bartók, à ces époques troublées et partisanes, ne manquent pas de rappeler chacun pour leur part la nécessaire et inaltérable liberté de l’artiste, affranchi de toute récupération belliqueuse et gardant précieusement en lui l’étincelle créatrice de l’être humain. Ravel a en effet le courage d’écrire publiquement en 1916, en pleine guerre : Il m’importe peu que M. Schönberg, par exemple, soit de nationalité autrichienne. Il n’en est pas moins un musicien de haute valeur, dont les recherches pleines d’intérêt ont eu une influence heureuse sur certains compositeurs alliés, et jusqu’à chez nous. Bien plus, je suis ravi que MM. Bartók, Kodály et leurs disciples soient hongrois et le manifestent dans leurs œuvres avec tant de ferveur »
. De son côté, Bartók semble étonnamment lui répondre, en affirmant haut et fort quinze années plus tard, peu avant une nouvelle grande tourmente : Mon véritable principe directeur, dont j’ai pleinement conscience depuis que je me sens compositeur, est la fraternisation entre les peuples, envers et contre toutes les guerres et toutes les discordes. Cette idée, je cherche à l’illustrer en musique dans la mesure de mes forces ; je ne me ferme à aucune influence, qu’elle émane d’une source slovaque, roumaine, arabe ou quelle qu’elle soit. Pourvu que cette source soit pure, fraiche et saine ! »
Auteur : Bruno Guilois