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Vienne au début du XXe siècle
Capitale d’un empire agonisant, Vienne est également, au tournant du XXe siècle, un foyer culturel exceptionnel de richesse et de diversité. Pour cette période ambivalente, l’expression d’« apocalypse joyeuse », selon les mots de l’écrivain autrichien Hermann Broch (1886-1951), est régulièrement retenue.
Vienne, capitale en plein essor d’un empire multinational en crise
À l’aube du XXe siècle, Vienne est la capitale d’un empire de plus de 50 millions d’habitants réunissant une quinzaine de nations (Hongrie, Tchèquie, Pologne, Serbie, Croatie, Ukraine, etc.), que l’empereur François-Josephqui régna de 1848 à 1916 tente coûte que coûte de fédérer, malgré de fortes velléités nationalistes et indépendantistes. Accueillant au cours de la seconde moitié du XIXe siècle de nouveaux arrivants, issus des quatre coins de l’empire multinational, Vienne double en quarante ans sa population et connaît un essor urbanistique et architectural sans précédent - le boulevard de la RingstrasseL’empereur François-Joseph décide fin 1857 de démolir les remparts de Vienne et de les remplacer par un boulevard circulaire encerclant le centre-ville, et sur lequel seront construits les principaux édifices publics (parlement, hôtel de ville, opéra, musées, etc). en étant l’étendard - que va prolonger la génération suivante. Parallèlement, la ville voit se développer, devant les succès entrepreneuriaux et artistiques, un antisémitisme de plus en plus marqué - à l’image du maire Karl Lueger - témoin d’une société en perte de repères.
Vienne, capitale de la modernité et de l’effervescence culturelle viennoise
Malgré ces tensions sociales, peut-être même de fait, Vienne est le théâtre - au propre comme au figuré - d’une effervescence créatrice qui hisse la capitale au second rang des grands centres artistiques européens, derrière la cosmopolite Paris. Le mouvement dit de la Sécession constitue la figure de proue de cet « Art Nouveau » qui se place en opposition à l’art officiel en trompe-l’œil et renouvelle l’architecture, les arts plastiques et les arts visuels. Fondée en 1897 par les peintres Gustav Klimt et Koloman Moser, les architectes Joseph Hoffmann et Joseph Maria Olbrich, ainsi que quelques autres, la Sécession attire rapidement l’architecte et professeur à l’Académie des beaux-arts Otto Wagner. Auteur des stations, balustrades et ponts du métropolitain, de l’église Saint-Leopold Am Steinhof - qui fut qualifiée de première église moderne d’Europe - et de la Postsparkasse (Caisse d’Épargne postale), il fait alors autorité et son ralliement est retentissant. Les expressionnistes et sulfureux Egon Schiele et Oskar Kokoschka prendront ensuite le relais, et se chargeront de définitivement faire tomber les masques.
Ce renouveau artistique n’est pas l’apanage des arts visuels ; on le retrouve en musique avec Gustav Mahler - directeur de l’opéra de Vienne -, Alexandre von Zemlinsky et les trois compositeurs de la « seconde école de Vienne », Arnold Schönberg et ses deux élèves Alban Berg et Anton Webern. Le 31 mars 1913, ces compositeurs proposent dans la salle dorée du Musikverein un concert d’œuvres contemporaines qui provoque un scandale retentissant. En effet, les oreilles viennoises étaient jusqu’alors habituées aux fameuses opérettes précieuses à l’esthétique romantique de Franz Lehár et Johann Strauss fils , davantage conformes à la bonne société de la capitale. La musique atonale puis dodécaphonique sérielle achèveront ainsi plusieurs siècles de musique tonale.
Bien entendu, la littérature n’est pas en reste, notamment avec le mouvement Junge Wien (Jeune Vienne) créé par Hermann Bahr, et auquel adhèrent Karl Kraus, Hugo von Hofmannstahl, Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, etc. Ils décrivent, chacun à leur manière, cette société décadente aux valeurs et repères perturbés, qui se désagrège et court à sa perte. Au même moment, Sigmund Freud développe sa psychanalyse, qui trouvera écho dans la littérature, notamment chez Arthur Schnitzler en qui Freud voyait son double. Citons également Rainer Maria Rilke, Franz Kafka, et Robert Musil.
C’est une république d’Autriche exsangue et frêle qui survivra à la Première Guerre mondiale, mais qui ne résistera pas à l’Anschluss hitlérienne de 1938. Les artistes et intellectuels auront tenté de réorienter ou, tout du moins, d’alerter la civilisation occidentale d’avant 1914, afin d’éviter l’apocalypse annoncée. En vain.
Auteur : Antoine Mignon