Accueil / Boîtes à outils / Alice et le miroir / Lewis Caroll : De l’autre côté du miroir
Œuvre
De l’autre côté du miroir
Lewis Carroll
script
Page découverte
Contexte d’écriture
En 1863, alors qu’Alice au pays des merveilles n’est pas encore publié, une brouille survient entre la famille Liddell (voir la fiche Alice au pays des merveilles : création du roman) et Lewis Carroll. Certaines pages du journal intime de l’auteur ayant disparu (probablement arrachées après sa mort par un membre de sa famille qui n’approuvait guère ce qu’elles révélaient…), le mystère reste entier sur la cause de ce différendCertains ont insinué que Carroll avait demandé Alice en mariage, ce qui n’est pas impossible (malgré la grande différence d’âge), mais peu probable. Peut-être les Liddell ont-ils tout simplement vu d’un mauvais œil l’empressement de Lewis Carroll auprès de leur petite Alice.. Quelle qu’en soit la raison, Carroll comprend qu’il doit prendre ses distances : les visites se font rares, les relations se désagrègent, et rien ne sera plus pareil entre lui et Alice.
Pourtant, fort du succès de son roman, l’auteur envisage rapidement de lui donner une suite. En août 1866, alors qu’Alice a déjà été traduit et réimprimé, il écrit à Macmillan, son éditeur : Il s’écoulera sans doute quelque temps avant que je me laisse aller à me faire imprimer. J’ai néanmoins la vague idée d’écrire une sorte de suite à Alice
[1]. Carroll commence à écrire, mais il doit aussi convaincre John Tenniel, partenaire du premier roman, d’illustrer ce deuxième volume. Très occupé, celui-ci finit par accepter mais le projet ne sera terminé que plusieurs années plus tard : De l’autre côté du miroir, et ce qu’Alice y trouva sortira seulement pour Noël de l’année 1871.
Le succès, populaire et critique, de ce deuxième tome des aventures de la petite fille est immédiat : Mon anniversaire a été marqué par l’annonce que quinze mille Miroirs ont déjà été vendus […] et qu’il y en a cinq cents autres en commande !
[2], écrit CharlesCharles Lutwidge est le vrai nom de Lewis Carroll., enthousiaste, le 27 janvier 1872.
Résumé de l’histoire
Le lecteur retrouve Alice plusieurs mois après les aventures d’Alice au pays des merveilles. La petite fille joue dans sa maison avec ses chatsla chatte Dina, plusieurs fois évoquée dans le livre précédent, et les deux petites chattes, Kitty et Snowdrop (perce-neige), qui deviendront la Reine Rouge et la Reine Blanche dans le rêve d’Alice, et regarde par la fenêtre les préparatifs d’un feu de joie prévu pour le lendemain. Gagnée par l’ennui d’une morne journée d’automneLe feu de joie laisse supposer que le roman débute le 4 novembre, veille du « Guy Fawkes Day », fête où l’on brûle des effigies de Guy Fawkes fabriquées par les enfants., confinée à l’intérieur quand tombe à gros flocons la neige au dehors, Alice laisse libre cours à son imagination : elle se demande à quoi ressemble le monde de l’autre côté du miroir qui orne la cheminée du salon. Aussitôt dit, aussitôt fait : à peine effleure-t-elle de ses doigts l’objet réfléchissant que le miroir se transforme en une brume argentée. Poussée par la curiosité, Alice s’empresse de la traverser…
Commencent alors d’invraisemblables aventures. Alice se retrouve dans un monde régi par des lois déconcertantes, un monde où tout fonctionne à l’envers et où les personnages sont des pions évoluant sur un échiquier géant dont les cases sont quadrillées par des ruisseaux. Pion elle-même, Alice traverse le « plateau » de case en case, rencontrant au fil de ses pérégrinations un florilège de personnages hauts en couleurs, farfelus très souvent, agaçants quelquefois. Arrivée au bout du plateau, elle devient reine et festoie au cours d’un banquet bien étrange qui dégénère rapidement en un incroyable désordre. Exaspérée par la confusion qui règne à cette réception supposée être en son honneur, Alice envoie valser le buffet, marquant la fin de son rêve et le retour à la réalité.
Le jeu d’échecs rappelle le logicien qu’est Lewis Carroll, professeur de mathématiques à Oxford. En 1896, il ajoute une préface à l’édition du deuxième tome d’Alice : comme le problème d’échecs présenté ci-après a intrigué certains de mes lecteurs, il peut être bon d’expliquer qu’il est correctement résolu, en ce qui concerne les coups
. Suit un schéma du plateau accompagné de la liste des « coups » successifs réalisés par les personnages.
Sur l’échiquier où s’affrontent les Blancs et les Rouges, Alice commence en tant que pion du camp Blanc, sur la 2e rangée du plateau.
3e rangée : Alice voyage en train.
4e rangée : Alice rencontre Tweedledee et Tweedledum.
5e rangée : Alice rencontre la Reine Blanche.
6e rangée : Alice rencontre Humpty Dumpty.
7e rangée : Alice rencontre le Cavalier Blanc.
8e rangée : Alice devient Reine.
Personnages principaux
Alice
Depuis le premier volet de ses aventures, Alice donne l’impression d’avoir gagné en maturité. Toujours poussée par la curiosité et une soif insatiable d’aventures, elle n’est pourtant pas une petite fille modèle et fait preuve d’un caractère bien trempé. Très volontaire, souvent contestataire et susceptible, elle n’aime pas avoir tort et supporte difficilement la critique (les critiques des fleurs sur ses cheveux au chapitre 2 ; la Reine Blanche qui la traite de « petite oie » au chapitre 5). Trop fière ?
questionne Humpty Dumpty (chapitre 6). Alice fait également preuve de peu d’empathie envers les personnages qu’elle rencontre (notamment le moucheron, chapitre 3, qu’elle rabroue durement), excepté envers le Cavalier Blanc peut-être, pour qui elle montre une certaine sollicitude. Les questions qu’elle se pose sur son identité, les larmes qui la gagnent à plusieurs reprises (lorsqu’elle se croit dans le rêve d’un autre, au chapitre 4, ou qu’elle se sent seule, au chapitre 5), trahissent néanmoins sa jeunesse et, d’une certaine manière, son manque de confiance en elle.
La Reine Rouge
C’est le premier personnageLes Roi et Reine Blancs ne sont encore que des pièces à taille réduite lorsqu’Alice les rencontre dans le salon de la maison du miroir, et la petite fille n’a pas encore commencé à « jouer ». de l’échiquier géant qu’Alice rencontre. C’est elle qui donne à Alice les instructions du jeu. Mais si elle aide la petite fille au début, elle se fait ensuite « juge » de son élévation au rang de Reine (chapitre 9), et apparaît comme véritable antagoniste en tant que pièce du camp adverse (rappelons qu’Alice appartient au camp des Blancs). La fin du banquet correspond à la « prise » de la Reine Rouge lorsqu’Alice la secoue, exaspérée par la tournure que prend le dîner. La Reine Rouge est aussi le personnage qui dispense à Alice le plus de réflexions sur les bonnes manières à observer : elle est souvent considérée comme une caricature de la gouvernante victorienne (en particulier de Miss Prickett, gouvernante des petites filles Liddell).
La Reine Blanche
Plus sensible que la Reine Rouge en apparence, elle se montre relativement amicale envers Alice. Elle se laisse coiffer et habiller par la petite fille comme une poupée. Elle se transforme en brebis au moment le plus instable du rêve d’Alice (chapitre 5). Avec la Reine Rouge, elle préside l’examen d’élévation au rang de reine d’Alice.
Les Rois Rouge et Blanc
Comme aux échecs, leur rôle est finalement assez passif, l’essentiel étant de les garder « en sécurité » pour éviter qu’ils ne se fassent mater. Le Roi Blanc passe son temps à prendre des notes et laisse la Reine Blanche seule en prise avec l’ennemi (chapitre 7). Quant au Roi Rouge, il n’apparaît qu’une seule fois dans le roman (chapitre 4) et… il dort !
Le Cavalier Blanc
Il s’agit vraisemblablement d’une caricature de Lewis Carroll. On retrouve dans ce personnage le côté maladroit et distrait de l’auteur, mais aussi son goût pour les inventions et les gadgets. C’est le personnage qui marque le plus Alice (De toutes les choses étranges qu’Alice avait vues au cours de sa Traversée du Miroir, c’est celle-ci qu’elle devait se rappeler toujours le plus clairement
, chapitre 8).
Tweedledee et Tweedledum
Les noms de ces deux frères sont tirés d’un poème anglais du XVIIIe siècle de John Byrom, qui se moque de la rivalité entre les compositeurs Haendel et Bononcini. Ces noms sont ensuite repris dans une comptine pour enfant. Complémentaires mais chamailleurs, lâches devant le danger, agaçants dans leur manière de détourner les questions d’Alice ou de ne simplement pas y répondre, ils ressemblent à deux enfants un peu cruels lorsqu’ils taquinent méchamment Alice en affirmant qu’elle n’est qu’un élément du rêve du Roi Rouge.
Humpty-Dumpty
Tiré lui aussi d’une comptine anglaise, ce personnage ressemble à un œuf (mais n’aime pas qu’on le lui fasse remarquer !). Très hautain avec Alice, fier de son savoir (notamment dans l’explication des mots), il est ravi lorsqu’Alice l’interroge sur sa science et sollicite ses connaissances pour l’aider à comprendre le poème du « Jabberwocky », lu dans le salon de la maison du miroir (chapitre 1) et rempli de mot inventés.
Haigha et Hatta
Ils sont les messagers du Roi Blanc (chapitre 7). Ce sont en réalité deux personnages du premier tome des aventures d’Alice, Le Lièvre de Mars (March Hare) et le Chapelier fou (The Mad Hatter), qui font ici une brève apparition sous un autre nom.
Analyse de l’œuvre
Les traductions proposées sont celles de l’édition Le Livre de Poche, collection Les Classiques de Poche, 2009 (traduction et préface de Laurent Bury).
Contrairement à la plupart des ouvrages de cette époque dédiés aux enfants, Alice n’est ni un conte de fée, ni une histoire à morale. Mais le livre met en jeu de nombreuses notions qui parlent aussi bien aux enfants qu’aux adultes : le rêve, le passage à l’âge adulte, la société… le tout dans un univers burlesque faisant la part belle au nonsense, truffé d’humour et de jeux de langage.
Le rêve
Tout comme dans le premier roman, Alice se retrouve plongée dans un monde merveilleux : celui du rêve. Dès le début, les conditions sont réunies pour qu’elle s’endorme : Alice était blottie dans un coin du grand fauteuil, parlant toute seule et dormant à moitié
(chapitre 1). Puis tout commence lorsque, comme à son habitude de « faire comme si », elle s’invente des histoires : que ce serait bien si nous pouvions entrer dans la Maison du Miroir !
. Pour Alice comme pour le lecteur, le passage de l’éveil au rêve se fait imperceptiblement : Alice est déjà endormie lorsqu’elle traverse le miroir. Elle ne s’étonne pas, d’ailleurs, de le voir disparaître sous ses doigts (tout comme elle ne s’étonnait pas de la chute sans fin dans le terrier du lapin blanc dans le premier tome de ses aventures).
Une fois de l’autre côté du miroir, toutes les composantes du rêve sont présentes : des animaux et végétaux humanisés et doués de parole (fleurs, faon, brebis), des êtres fantastiques (licorne), des choses animées (les pièces d’échecs), mais surtout une très forte instabilité car, comme souvent dans les rêves, les événements se succèdent sans cohérence, de manière discontinue. L’exemple le plus flagrant de cette instabilité est sûrement le chapitre 5 dans lequel Alice passe brusquement de la forêt à une boutique, de la boutique à une barque sur l’eau, puis revient à la boutique où les objets bougent continuellement et restent inaccessibles. Cette rupture franche et soudaine entre les scènes est aussi due à la forme du roman sous-tendue par la partie d’échecs : Alice passe de case en case, d’une scène à l’autre, sans transition (dans les éditions imprimées, ces passages sont visuellement symbolisés par de petites étoiles).
La fin du roman correspond à la fin du rêve avec le réveil d’Alice. Mais Qui a rêvé ?
, questionne Lewis Carroll…
La quête d’identité
La question identitaire est très présente dans le roman, et le voyage à travers le miroir est, à ce titre, une véritable épreuve pour Alice. Bousculée par les personnages, elle est, d’une part, souvent critiquée sur son aspect physique (je n’ai jamais vu personne qui ait l’air plus stupide
, se moque une fleur du jardin, chapitre 2), ou son comportement (quel sale caractère !
, s’exclame la Reine Rouge, chapitre 9, qui passe son temps à la reprendre sur ses manières). Mais d’autre part, c’est l’identité même d’Alice qui est mise en doute à plusieurs reprises, et à différents niveaux. La petite fille commence par oublier son nom dans le bois des choses sans nom (chapitre 3), oubliant du même coup son appartenance au genre humain (ce qui lui permet de se lier d’amitié avec un faon). Plus tard, son humanité est niée par d’autres personnages : la Licorne demande qu’est-ce que c’est que ça ?
(chapitre 7) où l’emploi du pronom « ça », habituellement utilisé pour les choses inanimées, est profondément rabaissant pour la jeune fille. Puis c’est le Lion qui l’appelle « monstre » plusieurs fois, si bien qu’elle s’y habitue. La perte d’identité va jusqu’à la négation de son existence, lorsque les frères Tweedle suggèrent qu’elle n’est qu’un élément du rêve du Roi Rouge (chapitre 4). Si Alice se révolte à cette idée, les larmes qu’elle verse trahissent son doute et sa peur de n’être effectivement que le fruit de l’imagination onirique d’un autre.
Le passage à l’âge adulte
Au début du roman, Alice singe déjà les adultes en faisant la leçon à ses chats (chapitre 1). Derrière le miroir, elle se montre très contestataire et agacée d’être traitée comme une petite fille. Elle est fière, par exemple, de connaître des mots longs et difficiles (« insatisfaisantes », chapitre 6) et ne supporte pas lorsque la Reine Rouge lui tapote sur la tête pour la féliciter (chapitre 2). Avec les personnages plus enfantins qu’elle rencontre, elle agit de façon presque maternelle (elle rhabille la Reine Blanche, aide les frères Tweedle à se vêtir avant leur combat, s’inquiète pour Humpty Dumpty en équilibre sur son mur). Propulsée dans un univers où elle doit agir comme une adulte, notamment en respectant les conventions, les bienséances et les règles établies (voyager en train avec un ticket, chapitre 3 ; faire un discours de remerciement à son banquet, chapitre 9…), Alice quitte ainsi brusquement le monde de l’enfance.
Ce passage à l’âge adulte est également une ascension sociale, que métaphorise la transformation du pion en reine. Alice saisit tout l’enjeu de cette promotion : être reine, c’est avoir du prestige (elle sentait qu’il serait bien plus prestigieux d’avoir une conversation avec une vraie reine
, chapitre 2) et de l’indépendance (Je ne veux être la prisonnière de personne. Je veux être reine
, chapitre 8). La petite fille n’aura de cesse d’essayer d’être reine à son tour. Le passage à l’état de reine est néanmoins sanctionné par un « examen » présidé par les deux autres reines (chapitre 9). Les connaissances requises sont celles qu’une jeune fille issue de la bonne société victorienne devrait vraisemblablement avoir : les bonnes manières, les opérations mathématiques, la culture générale, les langues…, auxquelles s’ajoute une mise en garde des juges sur les conséquences de ses actes. Bien sûr, dans ce monde du miroir, les réponses attendues sont totalement farfelues et Alice est bien en peine de répondre.
Pourtant, en dépit de son désir de devenir reine, Alice est toujours une enfant. Elle n’aime pas l’idée de vieillir (lorsqu’une fleur lui dit tu commences à te faner
, chapitre 2), et se fait sermonner par la Reine Blanche quand elle se met à pleurer (Rappelez-vous que vous êtes une grande fille
, chapitre 5). Lorsqu’elle se réveille à la suite de son voyage onirique, elle n’a pas connu de véritable transformation et se contente de répéter à son chat les mises en garde de la Reine Rouge sur les bonnes manières. Il n’est pas encore temps pour Alice de devenir une adulte…
La nostalgie du temps qui passe
Contrairement aux contes traditionnels où la fin est sanctionnée par une modification de l’état de l’héroïne (mariage, nouvelle condition sociale…), Alice en effet reste une enfant, à l’image de la petite Liddell figée dans les souvenirs de Lewis Carroll et au contraire de la véritable Alice Liddell qui, elle, grandit irrémédiablement et a presque 20 ans lors de la publication. Cette réflexion sur le temps et la vieillesse est symbolisée par la figure du Cavalier Blanc, caricaturant un Lewis Carroll vieilli, et par les poèmes en préambule et en fin de texte. Dans le premier poème, regrettant "les beaux jours d’été" qui ont dû fuir
(référence au fameux jour de juillet à l’origine du premier tome d’Alice), Carroll se résigne face au temps qui passe et à la vie qui a distendu leurs relations : bien qu’il n’y ait pour moi désormais plus de place dans le sombre au-delà de ta jeunesse
. Dans le second poème, l’auteur se rappelle à nouveau ce jour d’été, un jour ensoleillé
où la barque glisse, en ce mois de juillet
, avant de se lamenter sur l’Automne froid
qui a tué juillet
. L’acrostiche sur le nom d’ALICE PLEASANCE LIDDELL est une dédicace explicite à Alice, bien qu’elle ne fasse plus partie de sa vie.
La symbolique du miroir
Dans le monde du miroir, toutes les lois sont inversées.
- Inversion dans l’espace : les livres, écrits à l’envers, doivent être tenus devant un miroir pour être déchiffrés (chapitre 1) ; pour arriver à un point précis il faut se diriger vers son opposé (chapitre 1) ; quand on court on reste sur place (chapitre 2).
- Inversion du temps : les personnages vivent « en marche arrière » et ont des souvenirs du futur (chapitre 5) ; pour découper un gâteau il faut d’abord le faire passer aux convives (chapitre 7).
- Inversion de sens : Alice se voit offrir un gâteau pour étancher sa soif (chapitre 2).
Le miroir est aussi un objet déformant : le monde du miroir est une déformation du monde réel, le reflet, souvent parodié, de la société victorienne à l’époque de Lewis Carroll. Dans cette société caricaturée, les personnages (en particulier la Reine Rouge) sermonnent sans cesse Alice sur ses bonnes manières, mais les conventions qui régissent ce monde sont totalement absurdes et déconcertent la petite fille (les bonnes manières nous défendent d’engager la conversation
, dit la Rose, chapitre 2 ; je ne mets jamais les choses dans les mains des gens. Ça ne se fait pas
, explique la brebis, chapitre 5). Même les chansons et comptines traditionnelles, très présentes dans le roman, sont tournées en ridicule (par exemple la berceuse pour endormir les reines, chapitre 9). Le monde du miroir se révèle aussi un monde avec beaucoup de violence, où les personnages sont en permanente confrontation, en opposition les uns aux autres : les frères Tweedle, le Lion et la Licorneréférence politique à la licorne écossaise et au lion anglais, représentant l’union des deux royaumes au XVIIe siècle, les deux cavaliers…, une opposition imposée par la partie d’échecs dans laquelle deux camps s’affrontent.
Les jeux de langage
Le texte d’Alice est empli de jeux sur le langage qui font partie du rêve et du nonsense, et participent, entre autres, du ressort comique du roman. Plusieurs éléments de langage sont mis en jeu :
- Les calembours et les jeux de mots sont souvent utilisés. Le moucheron (chapitre 3) en est le champion et joue sans cesse sur les homonymes ou les paronymes (mots à la sonorité proche) : perçant/pur-sang, censée/sensée.
- On rencontre également une foule d’expressions prises au premier degré par les personnages. Pour n’en citer que quelques-unes :
- lorsqu’Alice explique à la Reine Rouge qu’elle a perdu son chemin, la reine répond :
Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par "votre chemin" ; ici tous les chemins m’appartiennent
(chapitre 2). - lorsqu’Alice dit dans la boutique
je voudrais d’abord regarder un peu tout autour de moi
, la brebis affirme :tu ne peux pas regarder tout autour de toi, à moins d’avoir des yeux derrière la tête
(chapitre 5). - lorsqu’Alice demande au crapaud
où est le serviteur chargé de répondre à la porte ?
, le crapaud rétorque :Répondre à la porte ? Elle a demandé quelque chose ?
(chapitre 9).
- lorsqu’Alice explique à la Reine Rouge qu’elle a perdu son chemin, la reine répond :
- Si les personnages du monde du miroir ont tendance à tout prendre au pied de la lettre, Alice au contraire se fait parfois piéger par une surinterprétation des paroles des autres, qui la reprennent à plusieurs reprises sur la signification de leur propos :
si j’avais voulu dire ça, je l’aurais dit
, lui dit Humpty Dumpty (chapitre 6) ; ou encoreje n’ai pas dit qu’il n’y avait rien de mieux, j’ai dit qu’il n’y avait rien de tel
, déclare le Roi Blanc (chapitre 7).
Quant à Humpty Dumpty, il s’autorise bien des libertés sur l’usage des mots, qu’il emploie en leur donnant la signification qu’il souhaite, à la grande stupéfaction d’Alice.
Au-delà du ressort comique, tous ces jeux sur le langage servent à montrer toute l’ambiguïté de la langue, bien souvent source de mésentente entre les individus.
Références
Sources principales
- Lewis CARROLL, Alice au pays des merveilles suivi de La Traversée du Miroir, traduction de Laurent Bury, Le Livre de Poche, 2009.
- Lewis CARROLL, Through the Looking Glass and What Alice Found There, disponible en ligne : https://en.wikisource.org/wiki/Through_the_Looking-Glass,_and_What_Alice_Found_There
- Morton N. COHEN, Lewis Carroll, une vie, une légende, éditions Autrement, 1998
- Jean GATTÉGNO, Lewis Carroll, une vie, éditions du Seuil, 1974
- Jean GATTÉGNO, L’Univers de Lewis Carroll, éditions José Corti, 1970
Références des citations
Auteure : Floriane Goubault