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Œuvre
Symphonie n° 2
Ludwig van Beethoven
Carte d’identité de l’œuvre : Symphonie n° 2, op. 36 de Ludwig van Beethoven |
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Genre | Musique symphonique |
Composition | 1800-1803 |
Dédicataire | Prince Karl Lichnowsky |
Création | 5 avril 1803, Theater an der Wien (Vienne), sous la direction du compositeur |
Forme | Symphonie en quatre mouvements : I. Adagio molto – Allegro con brio II. Larghetto III. Scherzo IV. Allegro molto |
Instrumentation | - Bois : 2 flûtes, 2 hautbois, 2 clarinettes, 2 bassons - Cuivres : 2 cors, 2 trompettes - Percussions : timbales - Cordes frottées : violons 1 et 2, altos, violoncelles, contrebasses |
Contexte de composition et de création
Octobre 1802. Réfugié depuis quelques mois à Heiligenstadt sur les conseils de son médecin, afin de profiter du calme et de la solitude de ce petit village au nord de Vienne, Beethoven sombre dans un désespoir morbide. Sa surdité, dont les symptômes se font ressentir depuis plusieurs années déjà, ne fait que croître en dépit des soins procurés, et le doute n’est plus permis : le compositeur devient sourd. Accablé par cette situation, inenvisageable pour lui, Beethoven songe à mettre fin à ses jours. Il prend sa plume et rédige une lettre à ses proches, le célèbre Testament d’Heiligenstadt, dans lequel percent toute la douleur et la solitude d’un homme diminué dans ce qu’il a de plus cher : Ah ! Comment pouvoir alors avouer la faiblesse d’un sens qui chez moi devrait être dans un état de plus grande perfection que chez les autres
(Massin, p. 113).
Mais l’extraordinaire volonté de Beethoven est plus puissante que la mort et le désespoir. Le compositeur reprend courage et se lance à corps perdu dans le travail : Il s’en fallait de peu que je ne mette fin moi-même à ma vie. C’est l’art, et lui seul, qui m’a retenu.
(Massin, p. 113) De nouveaux projets (dont sa future « Héroïque ») germent dans son esprit créatif, et sa Symphonie n° 2, dédiée au prince Lichnowsky (grand mécène de Beethoven), attend d’être terminée. Esquissée dès 1800, elle conserve la fraîcheur d’une époque plus insouciante. Sa composition, interrompue notamment par celle du ballet Les Créatures de Prométhée, se termine vraisemblablement en avril 1802, mais Beethoven attend de la donner dans une académie avant de la publier, comme c’est alors l’usage. Il procède alors à plusieurs retouches et corrections jusqu’à sa création, le 5 avril 1803 au Theater an der Wien.
Si la Symphonie n° 2 nous paraît encore très « sage », proche par certains aspects du classicisme de Haydn (comparée à la suivante qui, d’après son compositeur, prend déjà « un nouveau chemin »), les contemporains de Beethoven n’ont pas goûté le style parfois audacieux de l’œuvre, qui contient en germe tout ce qui fera le langage de maturité du compositeur. Sapzier, en 1804, écrit que cette symphonie est un monstre mal dégrossi, un dragon transpercé qui se débat indomptable et ne veut pas mourir, et même perdant son sang (dans le finale), rageant, frappe en vain autour de soi, de sa queue agitée
(Massin, p. 629). En 1805, l’Allgemeine musikalische Zeitung reconnaît certaines qualités à cette œuvre pleine d’idées neuves et originales, d’une grande force, d’une instrumentation qui produit de l’effet et d’une exécution savante
mais qui gagnerait toutefois à voir plusieurs endroits abrégés et bien des modulations très étranges sacrifiées
(Brisson, p. 259). Un compte rendu de concert dans la même revue, quelques mois plus tard, juge quant à lui le finale par trop bizarre, sauvage et criant
(Brisson, p. 260). Autrement dit… c’est fort laid ! À Paris, en mars 1811, un journaliste des Tablettes de Polymnie raconte : Après avoir pénétré l’âme d’une douce mélancolie, il la déchire aussitôt par un amas d’accords barbares. Il me semble voir enfermer ensemble des colombes et des crocodiles.
(Massin, p. 629). Beethoven est vraisemblablement trop novateur pour le monde musical de ce début de siècle (rappelons que Mozart est mort il y a seulement dix ans, et que la dernière symphonie de Haydn date de 1795).
En 1806, Beethoven transcrit lui-même sa symphonie pour trio avec piano, ce qui participera à la diffusion et à la compréhension de l’œuvre.
Déroulé de l’œuvre
Cette symphonie fait partie des œuvres qui marquent la fin de ce qu’on appelle la « première période » de Beethoven, encore marquée par le classicisme de ses prédécesseurs, Mozart et Haydn.
I. Adagio molto – Allegro con brio
Le premier mouvement commence avec une introduction lente, une caractéristique largement utilisée dans les symphonies de Haydn et que Beethoven reprend dans certaines des siennes (nos 1, 2, 4 et 7). La note ré, jouée à l’unisson par tout l’orchestre, fortissimo, agit comme un appel théâtral, et installe immédiatement l’auditeur dans la tonalitécomparer avec la Symphonie n° 1 de la symphonie qui est très ambiguë sur sa tonalité au début du premier mouvement. Beethoven crée tout de suite un jeu de contrastes avec un motif délicat aux bois, nuance piano, interrompu par nouvel accord fortissimo. Les cordes reprennent le motif des bois et le développent. Toute l’introduction se poursuit sous le signe des oppositions, avec des groupes qui se forment et se répondent : sur un flux de notes répétées des cordes, violons I et bois échangent un motif en guirlandes de notes, puis ce sont des gammes ascendantes, fusant alternativement aux violons I et violoncelles, avant que de nouveaux accords fortissimo interrompent le discours. Sur une pédale de dominantecinquième degré de la gamme, ici c’est la note la puisqu’on est dans la tonalité de ré majeur aux basses, qui installe une tension, les échangent se poursuivent : violons I et cordes graves, violons I et flûtes. Un crescendo et une gamme descendante rapide amènent au tempo Allegro con brio.
L’Allegro adopte une forme sonate : exposition de thèmes – développement – réexposition. Le thème 1, nerveux, est une boule d’énergie concentrée sur une cellule thématique caractérisée par deux motifs : « blanche pointée + 4 double-croches » et « 5 noires ». Ces deux motifs ou les cellules qui les composent vont innerver tout le mouvement. D’abord joué piano par les cordes graves, le thème est ensuite repris forte par tout l’orchestre et développé. Une transition tout aussi nerveuse par son flot continu de croches mène au deuxième thème.
Comme très souvent chez Beethoven, le thème 2 est d’abord donné aux bois. Il est plus triomphant que le thème précédent, avec son arpège ascendant en rythme pointé. Une transition appuyée, où s’enchaînent les sforzandos, contraste une fois de plus avec une réminiscence du premier thème presque mystérieuse par son unisson pianissimo des cordes.
Un grand crescendo mène à la codettapartie conclusive de l’exposition, éclatante : on y retrouve le thème 1 dans une succession de sforzandos et de pianos subito, typiques des contrastes et surprises chez Beethoven.
Le développement est en premier lieu construit autour du thème 1 : Beethoven joue avec son second motif (cinq noires) puis avec le premier (4 doubles croches). C'est ensuite le thème 2 qui est développé. Aux arpèges ascendants en rythme pointé, caractéristiques de ce second thème, se superpose ensuite la transition en croches du thème 1.
Une rapide gamme descendante aux violons I, qui rappelle celle clôturant l’introduction, conduit à la réexposition : du premier thème d’abord, du second thème ensuite, puis d’une nouvelle réminiscence du premier. Une grande codaTerme italien signifiant « queue », une coda est la partie conclusive d’une œuvre, reprenant certains éléments du morceau, souvent de façon fragmentaire et bousculée., basée sur le thème 1, termine en fanfare ce premier mouvement.
II. Larghetto
Ce deuxième mouvement est plein d’une sérénité lumineuse qui annonce la Symphonie « Pastorale ». Également de forme sonate, ce mouvement est d’une grande richesse motivique, chacun des thèmes faisant entendre plusieurs idées différentes, chaque fois reprises et variées. Ce jeu sur les variations préfigure les véritables mouvements en « thème et variations » des symphonies suivantes (les mouvements lents des Symphonies n° 5 et n° 9).
Le thème 1 débute en la majeur, par les cordes seules.
La première idée (1a) est une mélodie en forme d’arche : sur l’étendue d’une octave, du mi grave au mi aigu, les violons I effectuent une montée puis sa descente. La mélodie est ensuite reprise par les bois avec un contre-chant des cordes.
La deuxième idée (1b) est un peu plus expressive, avec des appogiatures Ici : note dissonante expressive d’un accord appuyé sur un temps fort, qui se « résout » sur l’accord suivant. qui viennent apporter de la tension au discours musical. À nouveau, elle est jouée aux cordes puis aux bois.
La troisième idée (1c), gracieuse, presque dansante avec son rythme pointé, joue cette fois sur le dialogue entre les cordes et les bois. La répétition de l’idée crée la surprise par son incursion en mode mineurS’opposant au mode majeur, le mode mineur apporte une couleur musicale particulière, généralement propice à créer une atmosphère sombre., premier nuage dans le ciel bleu du mouvement.
Une courte transition mène au thème 2.
La première idée (2a), aux cordes, est un mouvement descendant progressif, sur une octave. Une rapide remontée permet d’attaquer la répétition variée, toujours aux cordes, qui voit la descente, sinueuse, ornée de notes de passages.
La deuxième idée (2b) s’articule autour d’un intervalle de deux notes conjointes répété, puis un motif de quatre notes descendantes (rappelant la première idée 2a). Les cordes sont rejointes par les bois lors de la répétition variée.
La troisième idée (2c), légère et dansante, est à peine variée dans sa répétition.
Enfin, la quatrième idée (2d) est d’une grande tendresse : elle partage avec l’idée 2c un caractère dansant et un profil mélodique assez semblable mais beaucoup plus cantabile. D’abord aux violoncelles et violons II, elle passe ensuite aux violons I.
Le développement est relativement court par rapport aux autres parties (exposition et réexposition) : il sert essentiellement à apporter un court moment d’assombrissement au milieu de la sérénité du mouvement. Il s’empare du thème 1a, qu’il module à loisir, puis qu’il superpose à un ostinato rythmiquemotif rythmique inlassablement répété, ici dans le médium par les violons II et les altos aux cordes : la tension augmente, en même temps que la nuance (fortissimo). Le discours s’apaise au son du thème 2b, pour se tendre à nouveau au fil d’une progression chromatique accompagné d’un grand crescendo.
Le véritable retour au calme se fait avec l’arrivée de la réexposition. Les différentes idées sont successivement ré-énoncées, mais avec des variations différentes, dans les contre-chants mélodiques ou dans l’instrumentation.
La codaTerme italien signifiant « queue », une coda est la partie conclusive d’une œuvre, reprenant certains éléments du morceau, souvent de façon fragmentaire et bousculée. est très courte. Avec ses échappées dans l’aigu à la flûte (qui annoncent, là aussi, la future « Pastorale »), elle clôt le mouvement dans le même sentiment de quiétude qui l’avait commencé.
III. Scherzo
C’est la première fois que Beethoven utilise vraiment le terme de « scherzo » (le troisième mouvement de la Symphonie n° 1 était encore intitulé « menuet », même s’il n’en avait déjà plus le caractère). Le compositeur s’émancipe progressivement du classicisme de ses aînés : ce n’est plus une danse galante, mais un mouvement énergique (seule la Symphonie n° 8 retrouvera un menuet et son caractère).
La forme est habituelle, tripartite : Scherzo-Trio-Scherzo da capoen italien, da capo signifie « du commencement », cela signifie que l’on rejoue le scherzo initial..
La partie scherzo fait entendre un thème très vif. À nouveau, on retrouve les contrastes caractéristiques de Beethoven : contraste rythmique par l’alternance « note longue – trois brèves » (une idée qu’il reprend dans le scherzo de la Symphonie n° 5, mais inversée, « trois brèves – une longue »), et contraste des nuances avec opposition forte-piano. Cette partie est essentiellement conduite par les cordes, les vents ne s’invitant dans le discours que pour apporter de la matière orchestrale et renforcer les contrastes.
La partie trio est d’abord plus calme, initiée par les bois (encore une fois, un choix d’instrumentation très courant chez Beethoven). Le thème est un peu similaire au scherzo, mais il le « ralentit » avec l’intercalation d’une note longue : « longue-longue-trois brèves », et un discours musical plus legatoSignifie « lié » en italien : toutes les notes sont enchaînées entre elles, sans interruption sonore.. Les cordes répondent par un motif à l’unisson plus nerveux.
Le mouvement se termine avec le retour à l’identique de la partie scherzo.
IV. Allegro molto
Contrairement à sa première symphonie, Beethoven n’utilise pas d’introduction dans ce dernier mouvement qui est, une fois encore, un allegro de forme sonate
Le premier thème débute par un motif à l’unisson, comme le compositeur aime les employerintroduction du premier mouvement, transition après le thème 2 vers la codetta, unisson des cordes dans le trio du troisième mouvement depuis le début de sa symphonie : orné d’une appogiature et d’un trille, ce thème donne l’impression d’une pirouette un peu moqueuse. On retrouve ensuite le même système de contraste que dans les précédents mouvements : après cet appel dans la nuance forte de tout l’orchestre, suit un motif piano aux cordes, dans un fourmillement de notes rapides (fourmillement qui rappelle l’ouverture des Noces de Figaro de Mozart. On y retrouve les mêmes jeux de contrastes, entre accords forte et fébrilité piano). Mais Beethoven ménage quelques surprises : deux accords forte suivis d’un silence viennent stopper net le flot de notes dans sa course, avant la reprise du thème et son développement.
Une deuxième idée thématique, plus legatoSignifie « lié » en italien : toutes les notes sont enchaînées entre elles, sans interruption sonore. et en valeurs longues, qui se propage aux différents pupitres, fait office de transition avant le second thème de l’exposition.
Ce second thème est, une fois encore, initié par les bois : legato, très chantant, il est ponctué d’interventions malicieuses des violons qui rappellent le premier thème fourmillant.
Une transition-codetta ramène la frénésie du premier thème, avec la puissance des sforzandos, puis le motif avec appogiature.
Le retour à l’identique du thème 1 nous fait croire à une reprise de l’exposition, très courantec’est le cas du premier mouvement par exemple, mais c’est une feinte du rusé Beethoven : la reprise du thème en mineurS’opposant au mode majeur, le mode mineur apporte une couleur musicale particulière, généralement propice à créer une atmosphère sombre. révèle vite qu’il s’agit en réalité du développement. Celui-ci est d’abord construit sur le motif avec trille du thème 1, puis sur le fourmillement des croches, à nouveau le motif avec trille, et enfin le motif avec appogiature que s’échangent les différents instruments. La tension, alors à son maximum, redescend subitement avec une brève suspension, comme une question à laquelle répondra la réexposition : le thème 1 revient à l’identique de l’exposition, puis c’est le thème 2, initié aux cors.
La grande surprise de cette fin de mouvement est la coda, particulièrement longuec’est la plus longue partie de tout le mouvement ! Beethoven utilisera souvent ces longs développements terminaux dans ses symphonies.. Elle fait successivement entendre : la première idée thématique du thème 1, puis la deuxième, le tout dans un déchaînement de sforzandos qui ne donne aucun répit au discours musical. Un point d’orgueSigne indiquant au musicien qu’il peut prolonger la note avec assez de liberté, cela provoque une suspension du temps. laisse la coda en suspens… qui s’offre alors une plage plus calme, nuance piano. Mais c’est dans un feu d’artifice final autour du premier thème que se terminent le mouvement, et la symphonie.
Références
Sources principales
- Elisabeth Brisson, Guide de la musique de Beethoven, Éditions Fayard, Paris, 2005
- Michel Lecompte, Guide illustré de la musique symphonique de Beethoven, Éditions Fayard, Paris, 1995
- Jean et Brigitte Massin, Ludwig van Beethoven, Éditions Fayard, Paris, 1967
Auteure : Floriane Goubault