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Le mugam d’Azerbaïdjan
Qu’est-ce que le mugam ?
Le terme mugam désigne, au sens large, un ensemble de modèles musicaux, autrement dit de « chemins mélodico-rythmiques », très présents du Maghreb à l’Asie centrale en passant par les Balkans, surtout dans les traditions citadines. Ces modèles ont des appellations différentes selon les régions (mâqâm ou maqam en arabe et en kurde ; makam en turc ; mugam en azéri et arménien ; destgah en persan ; maqom pour les Kurdes d’Iran ; shashmaqom en Asie centrale ; echoi en grec...) ils présentent des significations et des caractéristiques diverses, mais partagent certains points communs.
En Azerbaïdjan, le mugam est un modèle d’organisation mélodique, harmoniqueL’harmonie désigne la « structure verticale » de la musique par opposition à la « structure horizontale » que serait la mélodie. La structure verticale désigne l’ensemble des notes jouées à un moment donné par les instruments et la voix. De plus, la mélodie porte à elle seule une structure harmonique : le choix de chacune des notes qui composent la mélodie est un indicateur d’une structure harmonique spécifique. et parfois rythmique qui définit les intervalles, l’ambitusL’ambitus est l’espace entre la note la plus grave et la note la plus aiguë d’une mélodie. Toutes les notes de la mélodie sont ainsi contenues dans cet espace., un traitement mélodique à l’intérieur de cet ambitus et, quelquefois, des propositions sur l’enchaînement des phrases mélodiques.
Le terme mugam désigne à la fois ce modèle et un répertoire particulier joué, dans la plupart des cas, en trio. Celui-ci comprend un chanteur s’accompagnant au gavalLe gaval est un tambour sur cadre, parfois appelé def., un joueur de tarLe tar est un luth à manche long présent aussi en Iran et en Arménie. et un joueur de kamanchaLe kamancha est une vièle à pique utilisée dans le Caucase, en Iran et au Proche Orient.. Chaque mugam comprend des passages improvisés, selon certaines règles, et d’autres plus fixes. Les paroles chantées sont, la plupart du temps, des vers de poètes anciens.
Les sept mugam de base (au sens de « modèle ») de la musique de mugam sont : rast, shur, segah, shushter, tchargah, baïatishiraz et humaïoun. Les plus répandus sont shur et segah, présents à la fois dans le répertoire de mugam et dans les chants et danses populaires. Chaque mugam est associé à des sentiments et à des caractéristiques psychologiques. Par exemple, le mugam rast appelle des sentiments de courage et de gaillardise, le mugam shur évoque des sentiments lyriques, le mugam segah des sentiments d’amour.
Apprentissage et transmission
À la différence de la musique classique occidentale, le répertoire de mugam ne peut être écrit sous une forme définitive, mais il est transmis par les maîtres qui entraînent leurs élèves à l’art de l’improvisation et de la variation afin d’assurer la variété et la virtuosité caractéristiques de cette musique.
La pratique du mugam est très vivante aujourd’hui, cependant la transmission, la diffusion et les critères esthétiques et éthiques de ce répertoire ont été modifiés au cours du XXe siècle. On devient aujourd’hui le plus souvent musicien de mugam (et aussi barde ashug) en suivant l’enseignement d’un maître dans les grandes écoles de musique ou au Conservatoire Supérieur de Musique Hadjibeyov de Bakou. C’est le cas des Jeunes poètes azéris (Leyla Rahimova, Arzuman Abdullayev, Aydin Rzayev et Vilayet Babayev) et de leur chef de groupe et joueur de kamancha, Elshan Mansurov.
Circonstances de jeu et transformations
Jusqu’au début du XXe siècle, le répertoire de mugam était joué principalement en deux occasions : les noces (toy) et les majles, réunions de connaisseurs et amateurs de mugam dans une maison privée. La musique de mugam pouvait aussi être présente dans le théâtre religieux (taziye) joué lors du mois de moharrem, en commémoration du drame de KerbelaSitué à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Bagdad, Kerbela est le lieu de la mort de Hussein et de ses compagnons tués par les Omeyyades (adversaires de la famille de Hussein) en 680. Kerbela est depuis lors un haut lieu de pèlerinage chiite., élément fondateur de la piété populaire dans le chiisme.
Les conditions de jeu du répertoire de mugam ont changé au cours du XXe siècle, notamment en raison de la soviétisation et de la modernisation. Aujourd’hui, la profusion d’enregistrements de mugam en Azerbaïdjan témoigne de son importance dans la société actuelle. Les concerts de mugam sont aussi très courants. Cependant, les pressions idéologiques et commerciales sont en passe de transformer cet art oral en un répertoire fixe, exécuté à la lecture de partitions ou imité à partir d’enregistrements standardisés. Ces changements pourraient mettre en péril la nature improvisée du mugam et sa transmission orale.
Par ailleurs, la musique de mugam a fait l’objet de compositions grandioses « à la soviétique » dans lesquelles le trio traditionnel s’est transformé en de gigantesques orchestres (50 kamancha, 50 tar et 50 chanteurs s’accompagnant au gaval). Même si ces pratiques sont loin de s’être généralisées, elles ont influencé, parce qu’elles sont passées sur les ondes, les goûts des musiciens et des auditeurs. C’est ainsi que les Jeunes poètes azéris chantent certains passages de mugam à l'unisson, pratique peu répandue jusqu’à la période soviétique.
Auteure : Estelle Amy de la Bretèque