Accueil / Portraits de jazzmen / Portrait de Stefano Bollani
Révélé par le trompettiste Enrico Rava, avec lequel il a noué une relation musicale des plus fécondes, Stefano Bollani s’est affirmé comme l’un des pianistes les plus talentueux à émerger en Italie. Éclectique et prolifique, embrassant le jazz dans toute son histoire tout en empruntant à d’autres traditions musicales, il revendique tant le lyrisme que la facétie, sinon l’ironie, qui caractérisent son jeu.
Des débuts dans la variété
Né le 5 décembre 1972 à Milan, Stefano Bollani est élève au conservatoire Luigi-Cherubini de Florence, où il est formé sous la férule d’un professeur sévère, disciple de l’école de Naples, grâce auquel il acquiert une imposante technique. Il développe en secret dès l’âge de onze ans un intérêt pour le jazz avec une affinité exclusive pour le hard bop et des pianistes tels que Horace Silver ou Oscar Peterson, dont il s’efforce d’imiter le style. Par la suite, ses horizons s’élargissent à d’autres, plus anciens (Teddy Wilson, Earl Hines) ou plus récents (Keith Jarrett, McCoy Tyner), mais aussi à différents genres musicaux (King Crimson, les Beatles…). Diplômé en 1993, Bollani entame une carrière de musicien professionnel qui le mène sur le terrain de la variété italienne où il accompagne différentes vedettes populaires pendant trois ans.
Avec Enrico Rava
Un changement important s’opère, cependant, sous l’influence de sa rencontre avec le trompettiste Enrico Rava en 1996, qui l’incite fortement à se consacrer au jazz et l’invite à rejoindre son groupe. Pendant plus d’une décennie, Bollani est le partenaire attitré du trompettiste, qui l’intègre dans son univers : en quintet, en duo, en contexte symphonique ou bien à l’occasion de retrouvailles avec quelques figures emblématiques du jazz européen, le pianiste est systématiquement présent, combinant des qualités d’accompagnateur avec celles d’un soliste polymorphe à la fantaisie non dénuée d’humour. Au cours de l’année 1999, il est ainsi à ses côtés lorsque Rava s’attèle à rendre hommage à Chet Baker en compagnie de Paolo Fresu (Shades of Chet), à relire ses propres compositions (Rava Plays Rava) ou encore à interpréter des airs classiques du cinéma italien (La Dolce Vita). Avec le tromboniste Gianluca Petrella, autre figure montante du jazz transalpin, Bollani fait partie du quintet avec lequel le trompettiste tourne régulièrement et qui, grâce aux retrouvailles d’Enrico Rava avec le label ECM, se fait connaître par-delà les frontières de l’Italie (Easy Living, 2003).
Une production phonographique éclectique
Repéré comme l’un des espoirs les plus éclatants du jazz européen, Stefano Bollani développe une importante activité en Italie qui lui permet, outre de côtoyer nombre de ses confrères (Franco D’Andrea, Roberto Gatto…), de partager la scène ou le studio avec des figures historiques du jazz qui entretiennent des liens anciens avec son pays, à l’image des saxophonistes Phil Woods (Woods on Woods, 2000) et Lee Konitz (Suite for Paolo). Après avoir fondé son propre groupe dès 1998, l’ironiquement nommé Orchestra del Titanic (avec Antonio Sallis à l’accordéon), Bollani développe une production phonographique sous l’étiquette du français Label bleu qui illustre l’éclectisme de son talent et de ses sources d’inspiration : Les Fleurs bleues, en référence explicite à l’écrivain Raymond Queneau, en trio avec Scott Colley et Clarence Penn ; Smat Smat, premier opus en solo dans lequel il exploite les procédés de réenregistrement ; Concertone, pièce concertante pour trio de jazz et orchestre symphonique avec l’Orchestra della Toscana ; I Visionari, qui le place à la tête d’un insolent quintet de jeunes musiciens italiens venus d’horizons différents. Parallèlement, il signe avec Ares Tavolazzo et Walter Paoli une série de disques en trio nettement plus conventionnels pour le label japonais Venus Records, dans lequel il interprète des pots-pourris de standards de jazz connus ou de chansons sentimentales italiennes. En outre, à partir de 2003, il forme un second trio avec deux musiciens danois, Jesper Bodilsen et Morten Lund, avec lequel il enregistre notamment un album de traditionnels scandinaves (Gleda, 2004).
Un style personnel, lyrique et facétieux
Fidèle à Enrico Rava, son père spirituel, Bollani se produit régulièrement dans un duo complice avec le trompettiste, certaines de leurs prestations faisant l’objet d’un disque (comme en 2001 à Montréal) ou débouchant sur un enregistrement studio (The Third Man, pour ECM, en 2006). En 2004, le batteur Paul Motian les rejoint pour un album intitulé Tati. Quatre ans après, ils le retrouvent à l’occasion de l'album New York Days, dans un groupe que complètent le saxophoniste Mark Turner et le contrebassiste Larry Grenadier. En parallèle, Bollani continue de donner les gages de son éclectisme. En 2008 paraît Bollani Carioca enregistré à l’issue d’un séjour au Brésil, où le pianiste s’est immergé dans le choro et la samba. Revendiquant la dimension lyrique de son jeu, il publie avec son trio « nordique » l’album Stone in the Water dans lequel ses compositions voisinent avec des chansons d’Antonio Carlos Jobim et Caetono Veloso. Ses qualités de pianiste lui valent de dialoguer en duo avec deux maîtres de l’instrument, Chick Corea et Martial Solal, et d’enregistrer son interprétation du Concerto pour piano et de la Rhapsody in Blue de George Gershwin. En 2010, il est soliste invité du NDR Big Band en Allemagne sur un répertoire de sa composition arrangé par le Norvégien Geir Lysne.
Développant un langage très ouvert, Bollani révèle, quel que soit le contexte, l’étendue de son expression, capable d’emprunter à la tradition du stride comme de s’engager dans de subtiles variations, témoignant d’un désir quasi-inquiet de ne pas se laisser emprisonner dans un registre. Jouant de la tension entre une phraséologie dont il maîtrise les variations et un sens aigu de la facétie – qui peut provoquer l’hilarité de son public – le pianiste revendique une discontinuité dans son jeu, un sens de l’impromptu en matière d’improvisation, qui donnent à ses interventions solistes un caractère délibérément débridé et ludique, qui n’est pas sans rapport avec son intérêt affiché pour l’écriture oulipienne ou surréaliste.
Auteur : Vincent Bessières
(mise à jour : juin 2011)