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La musique de balletaux XIXe et XXe siècles
Le ballet est un spectacle chorégraphié qui naît en Italie pendant la Renaissance. Il s’épanouit en France, principalement au XVIIe siècle, sous la forme du ballet de cour, puis intègre d’autres genres dramatiques tels que la tragédie lyrique et l’opéra-ballet. Au milieu du XVIIIe siècle, les réforme de Noverre ont fait du ballet une entité plus autonome et indépendante de l’opéra, appelé le ballet-pantomime, préfigurant le ballet romantique à venir.
Le ballet romantique
Deux œuvres vont faire basculer le ballet dans l’ère du romantisme et de la suprématie de la ballerine.
Le premier, La Sylphide, est donné en 1832. Sur une musique de Schneitzhöffer, l’intrigue (d’après un conte de Charles Nodier) possède toutes les caractéristiques du romantisme : une Écosse brumeuse, du surnaturel et un amour impossible. La chorégraphie de Filippo Taglioni, qui met en scène dans le rôle principal sa propre fille, Marie Taglioni, est créée de façon à construire un univers onirique et irréel : la montée sur les pointes (une technique nouvelle) élève la danseuse dans les airs, et le nouveau costume, une jupe de gaze légère, accentue son impression d’irréalité et d’immatérialité.
Le deuxième ballet romantique par excellence est Giselle, dont le livret de Théophile Gautier (l’histoire d’une jeune femme qui danse jusqu’à en mourir) est l’archétype même du romantisme. La musique expressive d’Adolphe Adam, qui emploie la technique du leitmotiv, contribue à son succès auprès du public.
Des compositeurs de musique de ballet de cette époque, peu sont restés dans les mémoires : souvent spécialisés dans ce genre, leur musique, entièrement soumise aux exigences des chorégraphes, devant être avant tout agréable, expressive et facile à danser (rythme et carrure particulièrement marqués), est souvent dépréciée. Léo Delibes est l’un des rares qui ne soit pas tombé dans l’oubli avec son ballet Coppélia, grâce à une musique plus consistante et non plus seulement faire-valoir de la danse. Si, avec Édouard Lalo ensuite (Namouna), ils participent à hausser l’intérêt pour la musique de ballet, nombreux sont les détracteurs de l’époque les accusant d’être trop « symphonistes »de composer une musique avant tout pensée pour le concert et éloignée du sujet de la danse.
Le ballet continue également de vivre à l’Opéra de Paris, dans le grand opéra français qui réserve souvent une place à la danse (La Muette de Portici de Auber, Robert le diable de Meyerbeer), mais également dans les opéras étrangersC’est une pratique déjà en vogue à l’époque de Louis XIV, puisque Lully ajoute des ballets dans le Xerse de Cavalli lorsque celui-ci est joué en 1660 à l’occasion du mariage du roi. qui viennent se produire dans la capitale et se soumettent à la tradition française (Tannhäuser de Wagner, Les Vêpres siciliennes et Don Carlos de Verdi).
À partir de 1870, le ballet romantique connaît une période de déclin en France. En Russie en revanche, l’installation de chorégraphes français et l’arrivée de la danse romantiqueLa Sylphide est donnée en 1837 à Saint-Pétersbourg. apportent au genre l’impulsion dont il avait besoin pour la naissance du ballet dit « classique », grâce notamment au chorégraphe Marius Petipa : devenu maître du Ballet impérial en 1869, il s’impose sur la scène russe jusqu’à sa retraite en 1904, et collabore avec Tchaïkovski pour créer les plus grands chefs-d’œuvre (La Belle au bois dormant en 1890 et Casse-Noisette en 1892). Pour chaque numéro, Petipa indique ses souhaits au compositeur qui travaille en fonction des exigences dictées par la chorégraphie tout en produisant une musique de grande qualité. En 1895, deux ans après la mort de Tchaïkovski, Petipa reprend la partition du Lac des cygnes (composée en 1877) et crée un nouveau ballet, offrant à l’œuvre la célébritéEn 1877, au moment de la composition du Lac des cygnes, Tchaïkovski ne bénéficie pas d’une étroite collaboration avec le chorégraphe Julius Reisinger qui, incapable de comprendre la musique du compositeur, réalise un ballet médiocre qui sera un échec. qu’on lui connaît désormais. Quelques années plus tard, c’est avec le compositeur Glazounov que Petipa collabore, sur les ballets Raymonda (1898) et Les Saisons (1900).
Les Ballets russes de Diaghilev
Né en 1872 à Selichtchiprès de Novgorod, Serge Diaghilev développe très tôt ses goûts artistiques, étudiant la musique et s’intéressant aux beaux-arts. Il organise des expositions à Saint-Pétersbourg et fonde la revue Le Monde de l’art. En 1906, il décide d’exporter l’art russe en occident et organise avec succès une exposition au Salon d’automne de Paris. Il poursuit l’expérience l’année suivante avec un concert de musique russe, puis en 1908 avec une représentation de l’opéra Boris Godounov de Moussorgski. En 1909, des problèmes financiers l’empêchant de monter entièrement Le Prince Igor de Borodine, Diaghilev décide de consacrer une soirée exclusivement à la danse : les « Ballets russes » débutent au Théâtre du Châtelet en mai 1909, avec notamment au programme les fameuses Danses polovtsiennes extraites du Prince Igor. Le public parisien est émerveillé par les couleurs et la musique de l’Orient : c’est le début du succès pour les Ballets russes qui, pendant 20 ans, donneront chaque saison un nouveau spectacle.
Le genre du ballet est totalement renouvelé par Diaghilev qui en fait un art total, sollicitant des artistes de renoms : écrivains (Jean Cocteau) pour les arguments, peintres (Matisse, Picasso, Alexandre Benois, Leon Bakst) pour les décors et costumes. Il s’appuiera sur de brillants chorégraphes (Mikhaïl Fokine, Leonide Massine, Bronislava Nijinska, George Balanchine) et formera d’excellents danseurs (Anna Pavlova, Vaslav Nijinski, Ida Rubinstein), qui rompent avec la danse académique. La musique n’est pas en reste, car s’il crée au début des ballets sur des musiques préexistantes (Chopin, Schumann, Shéhérazade de Rimski-Korsakov), Diaghilev s’adresse rapidement à des compositeurs de talent pour la création de partitions originales : Debussy (Prélude à l’après-midi d’un faune, Jeux), Ravel (Daphnis et Chloé), Satie (Parade), Poulenc (Les Biches), De Falla (Le Tricorne) et surtout Stravinski (L’Oiseau de feu, Petrouchka, Le Sacre du printemps). Le public parisien adhère très vite à l’exotisme des Ballets russes, mais la nouveauté de la danse (Prélude à l’après-midi d’un faune) et de la musique (Le Sacre du printemps) fait parfois scandale.
C’est avec les Ballets russes que se développe également l’idée d’une troupe itinérante, voyageant à travers le monde pour répondre à la demande étrangère. En effet, si les Ballets russes de Diaghilev possèdent leur port d’attache à Monte-Carlo, ils donnent des représentations dans les grandes capitales de l’Europe occidentale ainsi qu’à New York, encourageant la création de plusieurs écoles chorégraphiques (comme les Ballets suédois de Rolf de Maré). Certains chorégraphes et danseurs de la troupe prennent également leur indépendance par rapport aux Ballets russes, comme Ida Rubinstein qui, tout en continuant à se produire sur scène, commande plusieurs ballets à des compositeurs (Bolero de Ravel, Perséphone de Stravinski).
À la mort prématurée de Diaghilev en 1929, plusieurs compagnies créées par ses collaborateurs revendiquent son héritage et tentent de poursuivre l’aventure des Ballets russes, mais sans jamais connaître le même succès. Chorégraphes et danseurs se dispersent dans le monde entier, emportant avec eux l’esprit et la technique de la troupe. George Balanchine, le principal chorégraphe des Ballets russes à leur dissolution, s’installe à New York et poursuit sa collaboration avec Stravinski (Orpheus, Agon) commencée chez Diaghilev avec Apollon musagète.
Les multiples courants du XXe siècle
Les courants du ballet au XXe siècle sont nombreux, les personnalités se multiplient à travers le monde entier, expérimentant de nouvelles formes de danse. De plus en plus, les ballets font appel à des musiques préexistantes, non conçues à l’origine pour la danse qui revendique désormais son autonomie.
La « danse libre », qui s’affranchit de la technique académique et développe des mouvements plus naturels et ancrés dans le sol, se développe dès le début du XXe siècle avec Isadora Duncan : s’inspirant de l’Antiquité grecque, pieds nus et en tunique, elle revendique de danser sur toutes les musiques. Avec Rudolf Laban en Allemagne, ils poseront les bases de la danse moderne.
Dans la lignée d’Isadora Duncan, Martha Graham crée des ballets sur des musiques préexistantes (Haendel, Schuman, Scriabine…) avant d’entamer une étroite collaboration avec le compositeur Louis Horst. Elle travaille également avec Aaron Copland sur le ballet Appalachian Spring. Danseur dans la compagnie de Graham, Merce Cunningham collabore avec John Cage sur des ballets où danse et musique coexistent en totale autonomie (The Seasons) et où l’aléatoire intervient dans l’enchaînement de la danse (Sixteen dances for Soloist and Company of Three).
À l’Opéra de Paris, Serge Lifar (ancien danseur des Ballets russes) puis Rudolf Noureev redonnent du prestige à l’institution. À propos de l’autonomisation de la danse, Lifar déclare en 1935 dans son Manifeste du chorégraphe : le ballet ne doit être l’illustration d’aucun autre art, il ne doit pas emprunter son dessin rythmique à la musique ; il peut même exister libre de tout accompagnement musical.
(cité dans Paolacci, Danse et musique, p. 216). En marge de l’institution, des chorégraphes comme Roland Petit et Maurice Béjart contribuent également au renouveau de la danse. Béjart participe à la diffusion de la musique concrète en créant un ballet sur la Symphonie pour un homme seul puis sur Orphée (de Pierre Schaeffer et Pierre Henry), signant le début d’une longue amitié entre le chorégraphe et le compositeur Pierre Henry (Haut-Voltage, Investigations, Messe pour le temps présent).
En URSS, la tradition du ballet classique est encore très vivante (Roméo et Juliette et Cendrillon de Prokofiev), mais s’imprègne de réalisme socialiste (L’Âge d’or de Chostakovitch, Gayaneh de Khatchaturian).
À partir des années 1960, la musique minimaliste est particulièrement appréciée des chorégraphes pour sa rythmique marquée : les compositions de Terry Riley, La Monte Young, ou encore Philipp Glass sont très souvent utilisées. La chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker crée préférentiellement sur la musique de Steve Reich, que ce soit sur sa musique préexistante (la chorégraphie Fase inspirée des pièces Piano Phase, Violin Phase, Clapping Music et Coming out, puis Drumming) ou composée spécialement (Dance Patterns pour la chorégraphie Counter Phrases). D’autres chorégraphes utilient la musique de Steve Reich tels que Lucinda Childs, Jiri Kylián ou encore Karine Saporta qui s’empare de Violin Phase et Different Trains pour créer son spectacle Notes en 2008.
De la scène à la salle de concert
Beaucoup de musiques de ballet ont connu une seconde vie dans les salles de concert où elles sont jouées indépendamment de la danse, soit dans leur intégralité, soit sous forme de suites regroupant une partie des airs.
Extraire une suite (pour instrument seul ou pour orchestre) d’un ballet est une pratique courante. Elle permet au compositeur une plus large diffusion de son œuvre (d’autant plus lorsque le succès du ballet n’est pas au rendez-vous), en plus d’un apport financier supplémentaire. Ainsi, dès le XVIIIe siècle, Rameau transcrit pour clavecin une suite de pièces extraites des Indes galantes.
À partir du XIXe siècle, avec le développement des grands concerts d’orchestre en salle, la transcription symphonique est privilégiée : suites extraites de Coppélia de Delibes, de Casse-Noisette de Tchaïkovski, de Roméo et Juliette de Prokofiev, d’Appalachian Spring de Copland.
Le XXe siècle verra l’émergence de ballets plus courts, qui seront donnés en entier dans une forme de concert, sans mise en scène : les ballets de Stravinski, le Bolero de Ravel, Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, devenant même des œuvres majeures du répertoire symphonique.
Sources principales
- Antoine GOLÉA, Histoire du ballet, Les Éditions Rencontre Lausanne et la Guilde du Disque, 1967
- Eugène de MONTALEMBERT, Claude ABROMONT, Guide des genres de la musique occidentale, Éditions Fayard, 2010
- Claire PAOLACCI, Danse et musique, Éditions Fayard, 2017
- Grove en ligne :
- Rebecca HARRIS-WARRICK, Noël GOODWIN et John PERCIVAL, « Ballet »
- James R. ANTHONY, « Ballet de cour » - Encyclopædia Universalis en ligne :
- Bernadette BONIS, Pierre LARTIGUE, « Ballet »
Auteure : Floriane Goubault