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La musique de balletde la Renaissance au XVIIIe siècle
Origines du ballet
Le mot « ballet » vient de l’italien « balletto », un diminutif de « ballo » pour désigner la danse. À la différence du bal (une assemblée de personnes réunies pour danser ensemble), le ballet est un spectacle chorégraphié destiné à divertir un public, qui nécessite de bons danseurs (amateurs ou professionnels). C’est un genre qui naît donc de la complexification et de la codification savante de la danse.
Les premiers ballets apparaissent à la Renaissance dans les cours italiennes, où des spectacles de plus en plus élaborés sont organisés. En parallèle, des théoriciens et chorégraphes écrivent les premiers traités de danse : dans De Arte saltandi et choreas ducendi (vers 1455), Domenico da Piacenza décrit différents pas ainsi que plusieurs ballets dont il est l’auteur et le compositeur.
En Italie se développent aussi l’intermediodivertissement dansé entre les actes d’une pièce de théâtre et la mascheratadivertissement pratiqué pendant le Carnaval.
En France, au XVIe siècle, on cultive l’art de l’entremetdivertissement musical et chorégraphié donné lors d’un banquet et de la mascaradedanse liée au Carnaval, influencée par la mascherata italienne.
Le ballet de cour à la française
Avec les guerres d’Italie (1494-1559) et l’arrivée en France de la famille MédicisEn 1533, Catherine de Médicis épouse le fils de François Ier, futur Henri II., les Français découvrent la culture italienne. Inspiré des fêtes de cour italiennes, des intermedii, mascherate et entremets français, un genre de spectacle complet voit bientôt le jour : le ballet de cour, où se mêlent danse chorégraphiée, musique, chant, costumes et décors. Les premiers exemples en sont La Défense du Paradissur des textes de Ronsard, donné à l’occasion du mariage d’Henri de Navarre avec Marguerite de Valois en 1572 et le Ballet polonaiscommandé par Catherine de Médicis en l’honneur des ambassadeurs polonais en 1573. Mais celui qui est considéré comme le premier vrai ballet de cour en France est le Ballet comique de la Reine : joué au palais du Petit Bourbon le 15 octobre 1581, à l’occasion du mariage du duc de Joyeuse et de la sœur de la reine, c’est le premier ballet à posséder une véritable unité dramatiqueL’argument raconte le combat des dieux contre la magicienne Circée pour faire rétablir l’ordre dans le royaume de France.. Chorégraphié et mis en scène par Balthasar de BeaujoyeulxDe son vrai nom Baldassarino Belgiojoso, italien et premier valet de chambre de Catherine de Médicis, il était déjà à l’origine du Ballet polonais., il fait la synthèse entre la danse italienne et le raffinement de la culture françaisemusique de Girard de Beaulieu et Jacques Salmon ; livret de Nicolas Filleul de La Chesnaye ; décors et costumes de Jacques Patin.
Ce nouveau genre devient très prisé à la cour d’Henri III (roi de 1574 à 1589) puis d’Henri IV (roi de 1589 à 1610). Pièce dramatique costumée et masquée, le ballet de cour se définit alors comme une succession d’entrées dansées et chantées, reliées à une thématique générale. La dernière entrée, le « grand ballet », rassemble l’ensemble des participants. Des récits (d’abord déclamés puis chantés à partir du début du XVIIe) commentent l’action du ballet, qui devient progressivement un outil politique mettant en scène le pouvoir royal.
À l’époque de Louis XIII (roi de 1610 à 1643), sous l’influence de RichelieuCardinal de Richelieu, principal ministre de Louis XIII, le ballet affirme davantage sa vocation de propagande : splendeur et magnificence rehaussées de machines sont mises au service de l’illustration du pouvoir, dans une intrigue où s’immisce l’actualité politique. Seigneurs et dames de la cour participent à la chorégraphie tandis que Louis XIII, lui-même bon danseur, incarne souvent des personnages de tous types et de toutes conditions : dans le Ballet de la délivrance de Renaud (1617), il est un démon du feu, personnage hautement symboliqueIl se vêtit de la sorte à dessein de témoigner sa bonté à ses sujets, sa puissance à ses ennemis, et sa Majesté aux étrangers.
Paul Lacroix dans Ballets et mascarades de cour…, cité dans Georgie Durosoir, Danser, la grande affaire du règne : le ballet de cour, p. 74, CMBV. En marge des grands ballets royaux, des ballets plus modestes à caractère burlesque sont donnés dans les châteaux particuliers des jeunes seigneurs : Ballet des chercheurs de midi à quatorze heures, Ballet du monde renversé, Ballet des Ecervelez, Le Sérieux et le Grotesque…
À cette époque, la musique des ballets est encore le fruit d’une collaboration entre différents musiciens (Pierre Guédron, Antoine Boësset…), certains prenant en charge les airs, d’autres la musique de danse instrumentale.
La tradition du ballet de cour se poursuit sous Louis XIV, qui l’amène à son plus haut niveau. Excellent danseur, le jeune roi débute à l’âge de 12 ans dans le Ballet de Cassandre (1651) et foulera les planches de la scène durant vingt ans. La mise en scène de la monarchie est alors portée à des sommets : mythologie et merveilleux, emprunts d’allégories, sont combinés dans un somptueux spectacle à la gloire du roi. C’est le cas notamment du fameux Ballet royal de la Nuit (1653), dans lequel Louis XIV apparaît en Roi Soleil (donné juste après la répression de la Fronde, ce ballet possède une forte résonance politique).
Sous le règne du monarque, la danse commence à se professionnaliser. Si la création de l’Académie royale de Danse en 1661 est un échec (elle disparaît malheureusement dès 1680), son directeur et maître de ballet Pierre BeauchampDanseur et maître de ballet, Pierre Beauchamp réalise la chorégraphie des comédies-ballets de Molière (Le Mariage forcé, Le Bourgeois-gentilhomme, Le Malade imaginaire) ainsi que les ballets de certaines tragédies lyriques de Lully (Alceste, Atys). aura un rôle important dans l’évolution de la technique de danse (il définit notamment les cinq positions de base).
Le ballet gagne également en unité : peu à peu, un seul poète écrit le livret (Isaac de Benserade sera l’un des principaux auteurs) et un seul compositeur écrit la musique. Lully aura vite le monopole de cette charge en devenant le premier compositeur de la cour : s’il collabore au début avec d’autres compositeurs (sa première contribution date de 1652 dans la Mascarade de la Foire Saint-Germain), il s’impose rapidement comme l’unique créateur des ballets de cour. Le genre lui sert de laboratoire pour développer son style personnel (synthèse des styles italien et français), qui s’épanouira ensuite dans les tragédies lyriques : traits de musique rapides pour le vent ou les démons, danse noble et majestueuse (chaconne, sarabande), introduction du menuet (dans le Ballet de la raillerie), développement de l’ouverture à la française et recherche d’une instrumentation originale.
Le ballet de cour décline à partir de 1670, lorsque le roi cesse de danserAu vu de la complexification des chorégraphies (et de la lourde charge qui lui incombe en tant que roi), Louis XIV cesse de danser, apparaissant pour la dernière fois en 1670 dans Les Amants magnifiques, une comédie-ballet créée par Molière et Lully. et que le public, dès lors, s’en désintéresse (il connaîtra un regain ponctuellement sous Louis XV avec des ballets de Delalande). Mais le ballet en lui-même continue de vivre, intégré dans d’autres genres dramatiques sous forme de « divertissements » :
- dans la tragédie lyrique, qui comporte un épisode dansé à chaque acte : dans les tragédies de Lully (Atys, Armide, Proserpine...), les livrets de Quinault prévoient toujours des scènes de fête et de réjouissance permettant d’insérer un ballet construit sur une succession de danses (menuet, gavotte, sarabande…), souvent accompagnées d’un chœur.
- dans les comédies-ballets de Molière : Le Mariage forcé, Le Bourgeois gentilhomme...
Plus tard, le ballet prend même le pas sur le chant dans les opéras-ballets, où l’action et le chant ne sont plus que prétexte à la danse : le genre apparaît avec Campra (L’Europe galante, Les Fêtes vénitiennes) puis est largement développé par Rameau. Dans ses opéras-ballets, l’action n’est pas continue comme dans la tragédie lyrique : les différentes entrées possèdent chacune une intrigue autonome, toutes reliées à une thématique générale exposée dans le Prologue. Les arguments sont souvent prétexte à l’exotisme (Pérou, Perse ou encore Amérique dans Les Indes galantes, Égypte dans Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour) ou aux mythes faisant intervenir toutes sortes de dieux. Rameau compose également beaucoup d’actes de ballet (ballets plus courts, en un acte, joués indépendamment : Pygmalion, La Naissance d’Osiris) et poursuit la tradition initiée par Lully en intégrant des divertissements dans ses tragédies lyriques (Hippolyte et Aricie, Dardanus).
En Angleterre, le XVIe siècle a vu la naissance du mask, sous le règne d’Elisabeth Ier. Issu des traditions anglaises auxquelles se mêlent intermedio italien et ballet de cour français, le mask est dansé uniquement par les membres de la cour et possède une forte dimension politique. En vogue jusqu’au XVIIe siècle, il s’éclipse ensuite devant l’opera seria italien. En revanche, en Italie, le ballet trouve sa place dans l’opéra à l’image du ballet dans la tragédie lyrique en France.
Le ballet-pantomime
Au milieu XVIIIe siècle, le compositeur Gluck souhaite réformer l’opéra pour y apporter plus de naturel et de vraisemblance, préconisant une meilleure intégration du ballet à l’action de l’opéra. Dans le même temps, le chorégraphe Jean-Georges Noverre amorce lui aussi une réforme du ballet : la danse doit pouvoir exprimer par elle seule des émotions ou des actions, sans avoir recours au chant ou au récit. C’est la naissance du ballet-pantomime (ou ballet d’action). Des prémisses de cette nouvelle réflexion étaient déjà perceptibles au début du siècleen Angleterre avec The Tavern Bilker (1702) de John Weaver, mais aussi avec l’intégration de ballet-pantomime, alors appelé « ballet figuré », dans certaines œuvres lyriques de Rameau, mais le rôle de Noverre sera essentiel à l’évolution du ballet-pantomime : il définit son schéma en trois parties (exposition, nœud, dénouement), abandonne le masque qui cache les expressions du visage, ainsi que le paniersous-vêtement large sur les côtés, plat devant et derrière, servant à soutenir les jupes des dames encombrant pour des costumes plus légers. Dans ses Lettres sur la danse, il explique que le ballet bien composé est une peinture vivante des passions, des mœurs, des usages, des cérémonies, et du costume de tous les peuples de la terre
et que les danseurs doivent peindre par la vérité de leurs gestes et de leur imitation l’action que le compositeur a pris soin de leur tracer.
(cité dans Antoine Goléa, Histoire du ballet, p. 52)
À travers le ballet-pantomime, le ballet devient progressivement une entité autonome, tout en restant intégré à l’opéra (Noverre règle la plupart des ballets-pantomimes des opéras de Gluck comme Don Juan, Orfeo). Le premier ballet-pantomime autonome à l’Opéra de Paris, Jason et Médée sur une chorégraphie de Noverre, est donné en 1770.
En l’absence de paroles, la musique instrumentale se doit dès lors d’avoir un fort pouvoir expressif. Aussi, le compositeur se met-il de plus en plus au service du chorégraphe pour répondre à ses exigences, lorsque le chorégraphe ne compose pas lui-même la musique de ses ballets (ou bien crée un pot-pourri de musiques préexistantes). La musique n’est donc composée qu’une fois le livret terminé : Mon poème une fois conçu, j’étudiai tous les gestes, tous les mouvements et toutes les expressions qui pouvaient rendre les passions et les sentiments que mon sujet faisait naître. Ce n’était qu’après ce travail que j’appelais la musique à mon secours. En mettant sous les yeux du musicien les différents détails du tableau que je venais d’esquisser, je lui demandais alors une musique adaptée à chaque situation et à chaque sentiment. Au lieu d’écrire des pas sur des airs notés [...] je composais, si je puis m’exprimer ainsi, le dialogue de mon ballet et je faisais faire la musique pour chaque phrase et chaque idée. Ce fut ainsi que je dictai à Gluck l’air caractéristique du ballet des sauvages dans Iphigénie en Tauride.
(Noverre, Lettres sur la danse, Avant Propos, Gallica-BnF).
Le ballet-pantomime se développe dans toute l’Europe : Angleterre, Autriche (Beethoven, Les Créatures de Prométhée), Italie, et même en Russie, préfigurant le ballet romantique.
Sources principales
- Antoine GOLÉA, Histoire du ballet, Les Éditions Rencontre Lausanne et la Guilde du Disque, 1967
- Eugène de MONTALEMBERT, Claude ABROMONT, Guide des genres de la musique occidentale, Éditions Fayard, 2010
- Claire PAOLACCI, Danse et musique, Éditions Fayard, 2017
- Grove en ligne :
- Rebecca HARRIS-WARRICK, Noël GOODWIN et John PERCIVAL, « Ballet »
- James R. ANTHONY, « Ballet de cour » - Encyclopædia Universalis en ligne :
- Bernadette BONIS, Pierre LARTIGUE, « Ballet »
Auteure : Floriane Goubault