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Le mythe de Prométhée dans les arts et en musique
Le mythe de Prométhée
Le mythe de Prométhée nous est parvenu à travers plusieurs sources, dont la Théogonie (VIIIe siècle av. J.-C.) d’Hésiode et la pièce Prométhée enchaîné (Ve siècle av. J.-C.) d’Eschyle (quelques fragments de Prométhée délivré du même auteur subsistent également). Dans la mythologie grecque, Prométhée, le « prévoyant », est un titan bienfaiteur de l’humanité : il crée les hommes, il dérobe le feu aux dieux pour le leur apporter, il leur donne la connaissance. Ce faisant, il s’attire les foudres de Zeus : pour avoir volé le feu de l’Olympe, il est condamné à être enchaîné à un rocher du mont Caucase. Un aigle lui ronge le foie chaque jour et le foie repousse chaque nuit. Prométhée sera délivré par Héraclès qui tuera l’aigle d’une flèche.
Prométhée dans les arts plastiques
Dès l’Antiquité, le mythe de Prométhée inspire les artistes qui ornent les céramiques de figures à l’effigie du titan (voir [1] et [2] du carrousel), puis plus tard, les bas-reliefs [3] ou les sarcophages [4]. Au Moyen Âge en revanche, l’art occidental, essentiellement centré sur la religion chrétienne, s’intéresse peu à la mythologie. Si Prométhée est mentionné dans certaines enluminures [5], il faudra attendre la Renaissance pour voir ressurgir le mythe dans les peintures, avec par exemple Piero di Cosimo [6].
Cependant, ce sont surtout les peintres baroques qui vont s’emparer du sujet : l’histoire tragique du titan est un thème idéal pour ces artistes qui aspirent à représenter le drame, peindre l’émotion et les passions. Prométhée enchaîné devient ainsi un sujet privilégié à partir du XVIIe siècle : attaché à un rocher du mont Caucase, le personnage est montré dans toute sa souffrance, le foie dévoré par un aigle. Les peintres exploitent au maximum le mouvement avec des courbes et des lignes de force en diagonale, et jouent avec les contrastes d’ombre et de lumière (clair-obscur). On en distingue déjà les prémisses dès la fin de la Renaissance chez Titien [7], puis la tendance s’accentue avec Rubens [8] jusqu’au paroxysme du clair-obscur, dans la lignée du Caravage, dans les peintures de Rombouts [9], Assereto [10], de Ribera [11] ou encore Giordano [12]. Dans ces œuvres, la lumière se concentre sur Prométhée, mettant en valeur le corps dénudé du titan. Le reste du tableau est plongé dans la pénombre, l’aigle féroce parfois à peine visible, confondu dans l’obscurité du décor. Ne reste que la douleur exacerbée, peinte sur le visage du héros, pour traduire l’intensité du supplice qu’il subit.
Musée du Vatican
Département des monnaies, médailles et antiques de la BnF
Musée du Louvre
Musée du Louvre
Lyon, Bibliothèque municipale, IRHT-CNRS CC BY-NC
Alte Pinakothek CC BY-SA
Museo del Prado
Philadelphia Museum of Art
Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles
Musée de la Chartreuse de Douai
Museo del Prado
National Museum in Warsaw
Le XVIIIe siècle et surtout le courant néoclassique préfèrent comme sujet Prométhée dérobant le feu aux dieux et la création de l’homme, plus en adéquation avec les idées des Lumières et celles, en France, de la Révolution. Ces thèmes sont abordés dans les œuvres de : de Silvestre [13], Collignon [14], Mayer [15], Füger [16] ainsi que sur le plafond du Louvre peint par Berthélemy et Mauzaisse [17]. Prônant un retour au modèle antique, ces peintures s’attachent moins à l’expression des passions que les peintures baroques, les couleurs sont moins vives. On y trouve davantage de simplicité et les poses des personnages sont plus solennelles, plus rigides. En 1792, l’œuvre de Jacques Réattu [18] arbore les valeurs de la Révolution en montrant Prométhée élevé au ciel par le génie de la Liberté.
Au XIXe siècle, les peintures romantiques reviennent à une forme d’expression des sentiments, émoussée dans les œuvres néoclassiques, à travers des compositions plus fantastiques où se mêlent le rêve et les angoisses de l’artiste. Les peintres utilisent le thème de Prométhée comme prétexte à la représentation de grands paysages romantiques. Le héros n’est plus au centre de l’œuvre mais perdu face à la nature sauvage et hostile, à l’image du Prométhée enchaîné de Thomas Cole [19]. Dans la peinture de Henri Lehmann [20], le Caucase n’est plus qu’un grand rocher cinglé par les flots sur lequel les océanides, au cœur de la composition, déplorent le supplice du titan. Quant au symboliste Arnold Böcklin, il occulte entièrement le héros dans son Paysage de Prométhée [21] : seuls restent la mer déchaînée et les arbres battus par un vent violent, sous un ciel d’orage.
À la fin du siècle, d’autres symbolistes tels que Gustave Moreau [22] et Jean Delville [23] s’emparent également du mythe en associant rêve et mysticisme à leurs représentations du titan.
Plusieurs autres éléments du mythe ont aussi été abordés au cours des époques : la libération de Prométhée par Hercule, traitée par Nicolas Bertin [24] et Carl Bloch [25], ou encore Prométhée enchaîné par Vulcain peint par van Baburen [26] et Frontier [27]. La sculpture n’est pas en reste, avec des créations de Adam [28] ou Müller [29].
Musée Fabre, Montpellier
Palazzo Pitti
Österreichische Galerie Belvedere
Palais du Lichenchstein
Musée du Louvre, plafond de la rotonde Mars
Musée Réattu
Fine Arts Museums of San Francisco
Musée départemental des Hautes-Alpes
Hessisches Landesmuseum Darmstadt
Musée Gustave Moreau
Université Libre de Bruxelles
Birmingham Museum of Art
Ribe Kunstmuseum, Danemark
Rijksmuseum, Amsterdam
École nationale des beaux-arts
Musée du Louvre
Alte Nationalgalerie Berlin
Prométhée en musique
Tout comme en peinture, les compositeurs ne vont pas tous traiter de la même façon le mythe de Prométhée.
Salvatore Viganò propose ce sujet à Ludwig van Beethoven pour le ballet Les Créatures de Prométhée, créé en 1801, qui met en scène le titan donnant vie à deux statues de glaise. Le romantisme naissant voit évoluer le rôle de l’artiste dans la société : celui-ci montre le chemin, l’art révèle des vérités. Le mythe de Prométhée donnant le souffle de vie aux hommes, puis leur apportant la connaissance prend donc un sens particulier.
Si le ballet de Beethoven est encore de composition classique, empreint de la légèreté du siècle précédent, les romantiques du XIXe siècle composent des œuvres davantage tourmentées, partageant certaines constantes dans leur langage musical.
Plusieurs compositeurs ont mis en musique les vers de Goethe tirés de son poème Prometheus (publié à la fin du XVIIIe siècle), centrés sur la rébellion de Prométhée contre Zeus. La figure du héros s’opposant aux dieux, subissant des épreuves, puis en sortant glorieux fait écho aux idées révolutionnaires de ce siècle. Les lieder de Johann Friedrich Reichardt (1809-1811), Franz Schubert (1819) ou encore Hugo Wolf (1889) utilisent tous les trois des trémolos au piano pour traduire l’agitation de Prométhée et son désir de révolte. Ceux de Schubert et Wolf partagent également l’emploi de rythmes pointés qui créent du mouvement, ainsi que la tension apportée par les chromatismes.
En 1855, dans son poème symphonique Prometheus, Franz Liszt se concentre quant à lui sur la libération du supplice, l’énergie triomphante du héros après le désespoir. La musique déchaînée du premier thème (trémolos, fusées montantes, chromatismes) trouve un écho dans le paysage chaotique de Thomas Cole [19] quand le thème plus suppliant peut évoquer la désolation des océanides de Henri Lehmann [20].
Au XXe siècle, Alexandre Scriabine s’intéresse au symbole derrière le mythe. Son poème symphonique Prométhée ou le Poème du feu, achevé en 1910, offre un pendant intéressant au tableau de Jean Delville [23]. Il commence avec une introduction mystérieuse (indiquée « brumeux » sur la partition) d’où sortent quelques bribes de thème. Peu à peu, un « accord mystique »L’accord mystique est un accord de six notes (do - fa# - sib - mi - la - ré), très utilisé par Scriabine dans sa musique. Le terme « accord mystique » a été inventé par Arthur Eaglefield Hull en 1916. Scriabine, lui, appelait cet accord « accord de plérôme » (« plérôme » signifiant « plénitude » en grec ancien). émerge et le piano soliste emmène le gigantesque orchestre vers l’extase finale. Pour la représentation de cette pièce, Scriabine conçoit un orgue de couleurs projetant des lumières colorées, selon la synesthésieLa synesthésie est un phénomène neurologique qui associe plusieurs sens. Dans le cas de Scriabine, il s’agit d’une association entre les sons et les couleurs, mais il existe d’autres types de synesthésie : lettres/couleurs, sons/odeurs... du compositeur.
Pour Luigi Nono, Prométhée est une figure emblématique de l’errance et de la quête
. Sa dimension héroïque s’efface et l’auditeur est amené à voyager avec lui dans un archipel musical. Prometeo, sous-titré « tragédie de l’écoute », est construit à partir de fragments de textes d’Eschyle, Hésiode, Höderlin, Nietzsche ou encore Benjamin, réunis par Massimo Cacciari. Le théâtre se joue dans le sonore, Nono explore les limites de l’audible et place le spectateur au centre de l’espace sonore en l’entourant de musiciens et d’un dispositif électronique.
Enfin, notons que le mythe de Prométhée a également inspiré des tragédies lyriques : Prométhée (1900) de Gabriel Fauré et Prométhée enchaîné (1916-1918) de Maurice Emmanuel dans lequel le compositeur emploie des modes anciens.
Pour aller plus loin
Prométhée dans la littérature
Depuis les sources du mythe datant de l’Antiquité, Prométhée a inspiré de nombreux autres auteurs, et ce jusqu’à nos jours :
- Lucien de Samosate, Prométhée ou le Caucase (IIe siècle)
- Johann Wolfgang von Goethe, Prometheus (1772-1774)
- Percy Bisshe Shelley, Promethée délivré (1818)
- Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818)
- André Gide, Prométhée mal enchaîné (1899)
- Aimé Césaire, Et les chiens se taisaient (1946)
- Heiner Müller, Prométhée (1969)
- Enzo Cormann, Le Roman Prométhée (1986)
- Rodrigo Garcia, Prométhée (1998)
- Henry Bauchau, Prométhée enchaîné (2000)
Prométhée au cinéma
Le septième art s’est également emparé de l’histoire de Prométhée dans des adaptations plus ou moins fidèles au mythe originel, offrant parfois des réappropriations originales se voulant le reflet de leur époque :
- Louis Feuillade, Prométhée (1908)
- Louis Neher, Der gefesselte Prometheus (1919)
- Marcel L’Herbier, Prométhée... banquier (1921)
- Dimitrios Gaziadis, Promitheus dhesmotis (1927)
- Ivan Kavaleridze, Prometej (1935)
- Costas Ferris, Promitheus se deftero prosopo (1975)
- Kostas Sfikas, Promitheus enantiodromon (1998)
- Tony Harrison, Prometheus (1998)
- Ridley Scott, Prometheus (2012)
- Alex Garland, Ex Machina (2015)
- Prométhée est également le nom de la station spatiale dans le film Solaris (1972) d’Andreï Tarkovski.
Auteures : Adèle Gornet et Floriane Goubault