Accueil / Instruments / Histoires d’instruments / Le piano dans le jazz : approche de l’instrument
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Histoire
Appartenant à la famille des cordes (frappées), le piano-forte de Cristofori des origines (1716-1717) avait pour ambition, comme son nom l’indique, de proposer aux musiciens un instrument à clavier capable de produire des nuances contrastées. Et cela grâce à l’échappement, mécanique sensible à l’impulsion de la frappe qui ramène les 88 touches à leur position de départ. Lorsque le doigt quitte la touche, les étouffoirs viennent arrêter la vibration du son en se reposant sur la corde. Deux ou trois pédales sont actionnées par le pied. Celle de droite, appelée la pédale forte, sert à amplifier le son et à le prolonger même si la touche est relâchée. Pour amoindrir le son, on appuie sur celle de gauche. Inventée en 1862 par Montal, la pédale « harmonique » ou de « prolongation » (celle du milieu quand il y en a trois) tient levé tel(s) étouffoir(s) spécifique(s) décidé par l’exécutant, ce qui permet de mettre en résonance seulement telle(s) note(s) spécifique(s) et non le reste du clavier. Par la suite, des modifications successives améliorent les capacités de l’instrument comme le double échappement du Français Sébastien Erard, au début du XIXe siècle, pour une répétition plus rapide des notes. Ces bonifications, et d’autres plus particulières, portent le piano à une perfection telle qu’il semble peu probable qu’une prochaine innovation révolutionne l’instrument. Ce sont surtout les techniques de jeu qui évoluent.
Spécificités des jazzmen
Par rapport aux pianistes issus de l’école « classique », les instrumentistes du jazz se caractérisent par une approche majoritairement percussive. S’il est exact qu’avec Prokofiev ou Bartók cette dimension existe aussi dans la musique de tradition savante, et s’il est vrai que le « beau son » fait aussi partie de la palette du pianiste de jazz depuis les années 1950, il faut tout de même reconnaître qu’à l’origine les jazzmen se sont appropriés le piano d’une façon plus brute, n’ayant pas peur de cogner, de racler (touches et cordes), voire de « malmener » l’instrument par rapport aux conceptions traditionnelles occidentales. De cette façon, ils impriment à l’instrument ce côté dirty caractéristique du jazz, à l’opposé du son idéal et parfait recherché par les pianistes issus des conservatoires. On rencontre donc des techniques elles-mêmes peu orthodoxes, parfois conséquences d’un apprentissage autodidacte : doigts tendus et non relâchés et attaques de haut (T. Monk), corps en position debout ou sous le clavier (K. Jarrett), pianistes infirmes s’inventant un jeu propre (H. Parlan), percussion des coudes et des avant-bras (C. Taylor), etc. Comme dans la musique contemporaine, outre les mains sur le clavier, les artistes utilisent directement l’intérieur du piano, en plaçant des objets sur les cordes (piano « préparé »), en touchant les cordes avec le doigt, avec ou sans le recours des marteaux, pour émettre des harmoniques. On peut aussi en faire un instrument de percussion à hauteur non déterminée, ou encore en transformer le son acoustique par des adjonctions informatiques (bien que celles-ci restent rares).
L’instrument privilégié du solo
Le piano formant un orchestre à lui seul, il est par excellence propice aux parcours en solo depuis le ragtime. Les premiers pianistes produisaient une musique de divertissement, s’accompagnant eux-mêmes, la main gauche assurant la base rythmico-harmonique et la droite contribuant à des variations mélodiques. Par la suite, la prestation en solo a évolué vers un exercice d’invention et d’introspection dans lequel l’instrumentiste doit trouver seul les ressources de son expression. On ne peut pas tricher ou se cacher derrière les autres membres d’une section rythmique. Avec le solo, le pianiste aborde le temps de la vérité, celui où il doit faire ses preuves à la fois techniques et avant tout musicales, mais aussi celui où sa personnalité se révèle pleinement : c’est une forme de « challenge » artistique auquel la plupart des pianistes se confrontent un jour. C’est aussi un moment de méditation intime, d’épanchement en toute quiétude, avec comme uniques contraintes celles que l’on s’impose à soi-même, qui fait du solo un laboratoire d’expérimentation. Somme toute, on retrouve dans le jazz les raisons qui ont assuré le succès du piano dans le domaine de la tradition savante occidentale. Les interprétations en piano solo traversent donc l’histoire de cet art, même si la formule en trio est probablement celle qui occupe le plus le devant de la scène.
Auteur : Ludovic Florin