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Britten et la littérature anglaise
Bercé par la voix d’une mère chanteuse, héritier d’une tradition nationale de musique vocale, compagnon du ténor Peter Pears (1910-1986) qui deviendra son interprète privilégié, Benjamin Britten (1913-1976) évolue dans un univers musical où la voix humaine occupe une place importante. La voix le fascine et l’inspire : de sa première œuvre vocale d’envergure (Quatre Chansons françaises pour soprano et orchestre), composée à l’âge de 14 ans, jusqu’à la fin de sa vie, le chant sera le centre et l’essence de son œuvre.
Le modèle de Purcell
La découverte des œuvres de Henry Purcell (1659-1695) est, en ce sens, fondatrice. Britten éprouve une profonde admiration pour le génie de son illustre prédécesseur dans le traitement musical de la voix : Je ne m’étais jamais rendu compte, avant de connaître la musique de Purcell, que les mots pouvaient être utilisés avec une telle ingéniosité, une telle couleur.
[1] Purcell devient pour le compositeur une sorte de modèle absolu, le patrimoine qu’il cherche à servir et promouvoir, le terreau de son propre langage musical. Sa carrière est ainsi jalonnée de nombreuses adaptations de mélodies de Purcell pour piano et voix.
En plein XXe siècle, Britten sera l’un des principaux artisans d’un renouveau du théâtre lyrique, genre délaissé dans son pays depuis la mort de Purcell. Au travers de ses 15 œuvres pour la scène, il ne cherche pas à innover. Ses partitions redécouvrent et prolongent la tradition lyrique anglaise en respectant toutes les possibilités de la voix : au contraire de certains de ses contemporains qui écrivent des lignes vocales complexes et pleines de distorsions, Britten compose des parties vocales adaptées aux capacités de la voix humaine, pour laquelle il sélectionne des textes d’une grande qualité. Un de mes buts principaux est de […] rendre à l’adaptation musicale de la langue anglaise l’éclat, la liberté et la vitalité qui sont étrangement rares depuis la mort de Purcell
, déclare-t-il[2].
Des choix littéraires variés
Britten possède une connaissance et une appréciation très fines de la poésie et de la littérature de son pays, bien qu’il soit autodidacte en ce domaine. À l’origine des livrets de ses opéras, on trouve les œuvres de romanciers et poètes de renom tels George Crabbe, poète anglais du XVIIIe siècle (Peter Grimes), Herman Melville (Billy Budd), William Shakespeare (A Midsummer Night’s Dream) ou Henry James, écrivain britannique d’origine américaine dont il adapta deux œuvres pour la scène (The Turn of the Screw et Owen Wingrave).
Dans ses nombreux cycles de mélodies – plus d’une trentaine – Britten met en musique des poèmes anglais de Wystan Hugh Auden, Charles Cotton, Wilfred Owen, John Donne, John Keats, William Blake, Shakespeare à nouveau et bien d’autres, ainsi que des textes anonymes de l’époque médiévale ou des poèmes traditionnels. Il travaillera d’ailleurs à différents moments de sa vie à l’adaptation de folk songs.
L’union de la musique et du texte
Inspiré non seulement par Purcell mais aussi par Schubert, Schumann ou Mahler, dont il admirait l’art de fondre la musique dans la langue pour magnifier cette dernière, Britten cherche avant tout, dans ses adaptations musicales, à se mettre au service des idées poétiques, des mots et de leur couleur. Auden, intellectuel et poète qui influença durablement le compositeur et autour duquel gravitait une communauté d’artistes à laquelle appartint Britten, fut très tôt impressionné par la qualité de ses œuvres vocales : Enfin un compositeur adaptait la langue [anglaise] sans distorsion exagérée
, alors qu’on disait toujours qu’elle était inchantable
[3].
Nocturne op. 60 est l’un des cycles de mélodies majeurs du compositeur. Écrit pour ténor, cordes et 7 instruments, il est basé sur huit poèmes choisis par Britten, pour la plupart de la période romantique, et formant un ensemble d’une grande cohérence. Chaque instrument accompagne un poème particulier et en prend la couleur : Britten adapte le timbre et l’écriture instrumentale au sens et au caractère du poème, à la signification des mots, paroles et musique se fondant l’une dans l’autre.
La cohérence et l’adaptation musicale des six poèmes anglais du XVe au XXe siècle, retenus par Britten pour sa Serenade op. 31 pour ténor, cor et cordes, sont également remarquables. Dans la mélodie intitulée Elegy, par exemple, le caractère pathétique du texte de William Blake est décuplé par la pulsation funèbre émanant des instruments à cordes et par les sanglots du cor. Michael Kennedy écrit à propos de cette œuvre : Il semblait que jamais la poésie anglaise n’avait été mise ainsi en musique, avec une telle intensité, une telle acuité musicale et un tel souci du texte, avec la même unité d’atmosphère que Mahler obtenait dans ses cycles […] : la description la plus picturale d’un coucher de soleil qui ait été réalisée en musique.
[4]
Pour son War Requiem, Britten insère, à l’intérieur du texte latin de la messe des morts, les poèmes de Wilfred Owen (1893-1918), pacifiste anglais mort au combat à 25 ans. Le public est impressionné par la qualité musicale et poétique de l’ensemble et réserve à cette œuvre un triomphe. Interprète du texte anglais au côté du ténor Peter Pears lors de la création, le baryton Dietrich Fischer-Dieskau déclare : Son succès confirme aussi que, pour un compositeur, il est paradoxalement essentiel de partir des accents et de la sensibilité de son pays s’il veut conquérir le monde
[5]. Le War Requiem est aujourd’hui l’une des œuvres de Britten les plus connues et les plus jouées.
Britten est toujours resté proche de ses racines musicales : bien qu’elle possède une portée universelle, sa musique est profondément anglaise, par son goût nostalgique pour une nature encore préservée (le thème de l’enfance bafouée parcourt son œuvre) et par son parfum de passé perdu que le compositeur, à travers l’union de la musique et du texte, cherche à faire revivre.
Sources principales
- Xavier DE GAULLE, Benjamin Britten ou l’impossible quiétude, Actes Sud, 2013
- Le Tour d’écrou, programme de L’Opéra National de Lyon, 1996
Références des citations
- [1]Eric Crozier, Benjamin Britten : Peter Grimes, Sadler’s Wells Opera Book n° 3, The Bodley Head, 1945, p. 8, cité par Xavier de Gaulle, p. 187 ↑
- [2] ibid., p. 187 ↑
- [3] Humphrey Carpenter, W.H. Auden, A Biography, Allen and Unvin, 1981, p. 178, cité par Xavier de Gaulle, p. 84 ↑
- [4] Michael Kennedy, Britten, Dent, 1981, p. 166, cité par Xavier de Gaulle, p. 141 ↑
- [5] Xavier de Gaulle, p. 379 ↑
Auteure : Hélène Schmit