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Le piano et sa musique
La facture du piano
La variété des instruments à claviers provient de deux façons de jouer différentes, illustrées par deux instruments en particulier : le psaltérion, instrument à cordes grattées à l’aide d’un plectrepièce d'écaille, d'os, de plume, de métal ou de plastique permettant de pincer ou gratter les cordes d'un instrument, et le tympanon, instrument à cordes frappées à l’aide de petits marteaux. C’est sur le principe du psaltérion que sont conçus des instruments à clavier tels que le clavecin, le virginal et l'épinette. Le mode de fonctionnement du tympanon, quant à lui, donne naissance à des instruments comme le dulcimerInstrument à cordes frappées de forme rectangulaire ou trapézoïdale datant du Moyen Âge, il est équivalent à la doulcemelle française., l’échiquier... ou « eschiquier », instrument à clavier et cordes frappées du XIVe siècle dont la forme de la caisse ressemble à celle d'un jeu d'échecs., le clavicorde et, bien sûr, le piano !
Diminutif de l’italien pianoforte, le piano désigne un instrument polyphonique à clavier et à cordes frappées par des marteaux permettant de jouer, comme son nom l’indique, piano et forte. Il est conçu quasiment simultanément dans trois pays différents, l’Italie, la France et l’Allemagne, alors même que les facteurs ne se connaissent pas. En 1703, Carlo Grimaldi transforme un clavecin en cembalo con martelletti dans lequel de fines lames de métal enroulées à leur extrémité forment un petit renflement qui frappe les cordes.
Bartolomeo Cristofori (1653-1731), fabricant de clavecins et de clavicordes, présente vers 1709-1711 un gravicembalo col piano e forte. En remplaçant les sautereauxPièce principale du mécanisme d'un clavecin ou d'une épinette, qui sert à pincer la corde. du clavecin par des marteaux en bois qui frappent les cordes, il crée un instrument que l’on peut considérer comme le premier piano. La grande nouveauté qu’offre l’instrument est la possibilité de varier l’intensité du son en fonction de la force avec laquelle on appuie sur les touches. En 1726, Cristofori perfectionne encore l’instrument, et le dote d’une nouvelle mécaniqueLes marteaux sont recouverts de parchemin et de cuir, les étouffoirs sont positionnés en bout de touche, et la pédale « forte » permet d’accroître la palette de nuances existante. qui augmente ses capacités de jeu.
Par la suite, les manufactures françaises des XVIIIe et XIXe siècles telles que PleyelLa manufacture Ignace Joseph Pleyel existe depuis 1807. Dès 1828, la firme fabrique un cadre en fonte, fondu d’une seule pièce, qui offre une plus grande résistance et permet d’accroître la tension des cordes et, par conséquent, la puissance de l’instrument. Vers 1830, une salle de concerts est également créée à Paris pour permettre la promotion de ces pianos par le biais de récitals de grands virtuoses. ou ÉrardLa manufacture Jean-Baptiste et Sébastien Érard est créée à Paris en 1780. En 1810, la firme invente le système de pédales, toujours présent dans les pianos modernes. En 1821, elle est également à l’origine de la mécanique à « double échappement » qui permet une répétition plus rapide d’une même note. Un an plus tard, la firme ajoute des barres de renforcement au-dessus de la table d’harmonie, permettant ainsi de multiplier par trois le diamètre des cordes ! jouent un rôle considérable dans les avancées apportées à l’instrument : l’étendue du clavier progresse dans l’aigu et le grave de l’instrument, la mécanique de précision permet une vélocité accrue, le son peut être prolongé par l’action des pédales, la puissance sonore s’accroît grâce à l’utilisation de nouveaux matériaux et à l’augmentation de la tension des cordes. Entre 1790 à 1830 environ, le piano passe de cinq à huit octaves, et d’un poids de 8 grammes à 60 grammes par touche ! La firme Steinway invente le premier grand piano de concert moderne avec cordes croisées (1859) et construit ses premiers pianos droits à cordes croisées (1863).
L’écriture pour piano, des origines à aujourd’hui
L’évolution de l’écriture pour piano est intimement liée aux progrès de la facture instrumentale, et à l’étroite collaboration entre les facteurs et les compositeurs. Sébastien Érard, en répondant aux exigences de Beethoven, offre au compositeur l’un des instruments les plus perfectionnés de son temps. Chopin entretient de véritables liens d’amitié avec Camille Pleyel à qui il dédie les 24 Préludes de son opus 28. Mais qu’en est-il de l’apparition du piano-forte ? Comment cet instrument a-t-il progressivement supplanté le clavecin à la fin du XVIIIe siècle ?
Le clavecin était l’instrument de la haute société et des cours aristocratiques. Symbole de l’Ancien Régime, il connaît son déclin avec la Révolution française, pour des raisons autant sociales que musicales. Sa disparition est ainsi liée à l’émergence d’une nouvelle classe sociale, la bourgeoisie, qui promeut petit à petit les nouveaux instruments dont le piano-forte fait partie. Les compositeurs de cette époque, également interprètes, jouent aussi bien du clavecin que de l’orgue selon les circonstances. Alors qu’il a déjà composé pas moins de neuf concertos pour clavierLes concertos pour claviers étaient donc des concertos pour clavecin., Mozart doit attendre 1784 pour posséder son premier piano-forte. À cette époque, l’archétype du pianiste est celui du claveciniste qui reporte sa technique et son jeu sur un instrument dont il apprend à dompter la nouvelle mécanique et le toucher. Beethoven, quant à lui, joue régulièrement de l’orgue et du clavecin dans l’orchestre de l’archevêque à Bonn. La possibilité de pratiquer le piano-forte lui est offerte lorsque la famille impériale de Vienne se met à acheter des instruments vers la fin des années 1780. En France, à Versailles, la famille royale conserve au contraire la tradition aristocratique du clavecin.
Le registre
L’évolution du piano est marquée par une extension significative du registre qui commence dès l’époque de Beethoven. L’instrument se dotant de nouvelles notes dans l’aigu, Beethoven révise certaines œuvres afin de tirer parti de ses nouvelles possibilités (voir la révision de la première version du Concerto pour piano n° 3, op. 37). Dans les dernières sonates, parmi les 32 dédiées à l’instrument, on remarque particulièrement l’exploration des graves et des aigus nouvellement conquis (voir la Sonate pour piano n° 29 op. 106 dite « Hammerklavier ») et certains passages sont fondés sur l’opposition des registres (voir la Sonate pour piano n° 23 op. 57 dite « Appassionata »). Il semble que le clavier ait atteint son étendue actuelleOn compte aujourd’hui 88 notes sur un piano moderne. La firme Bösendorfer a étendu les limites de l’instrument en dotant son modèle « grand impérial » d’une sixte supplémentaire dans le grave descendant, portant ainsi le nombre de touches à 97 ! au temps de Franz Liszt. Selon Claude Helffer, le compositeur Béla Bartók possédait un Bösendorfer avec une extension dans le grave et en a tenu compte dans l’écriture des seconds mouvements de sa Sonate pour piano (1926) et de son Concerto pour piano n° 2 (1931).
La pédale
Déjà utilisée sur le clavecin, la pédale reste longtemps un mécanisme fragile, peu fiable et ne devient réellement pratique qu’à partir du moment où sa stabilitéCette stabilité est possible grâce au support en forme de lyre encore utilisé aujourd’hui sur le piano à queue. est assurée. Sauf exception, les pédales sont restées limitées à deux : la pédale « forte » qui a pour effet d’écarter l’ensemble des étouffoirs des cordes et de prolonger le son, et la pédale « douce » qui, au contraire, atténue le son. À l’époque de Beethoven, pour indiquer qu’il fallait mettre ou enlever la pédale, on écrivait en toutes lettres senza sordino« sans les étouffoirs » et con sordino« avec les étouffoirs ». Dans les œuvres de BeethovenVoir le final de la Sonate n° 14 op. 27 n° 2 dite « Clair de lune » (1801) dans laquelle les indications très précises de la pédale permettent de créer trois types de sonorités. Voir également les grandes pédales de la Sonate n° 21 op. 53 dite « Waldstein » et de la Sonate n° 23 op. 57, dite « Appassionata »., les indications de pédales sont très précises. En effet, le compositeur tient la pédale pour un effet spécial et l’utilise essentiellement à des fins de contraste, afin de marquer l’opposition entre des sonorités sèches et des sonorités avec réverbération. Notre piano moderne comporte généralement trois pédales, et l’usage que les compositeurs du XXe siècle en font dépasse cette simple opposition. Pierre Boulez, par exemple, explore de manière rationnelle les différentes possibilités de résonance du piano et constate qu’en enfonçant la pédale légèrement avant ou après l’attaque, il est possible de modifier le timbre de l’instrument.
Les nouvelles techniques pianistiques au XXe siècle
Beethoven marque un tournant décisif dans l’évolution de l’écriture pour piano. Malgré les contributions apportées par bon nombre de pianistes virtuoses du XIXe siècle, il faudra ensuite attendre le XXe siècle pour voir le rôle de l’instrument évoluer et sa palette sonore s’enrichir de nouvelles techniques telles que le jeu percussifDans Musiques nocturnes, extrait de la suite Szabadban (En plein air) de Béla Bartók, la mélodie est entrecoupée d’accords percussifs dans l’aigu., les clustersLa main gauche de The Tides of Manaunaun de Henry Cowell n’est composée que de clusters, et Karlheinz Stockhausen demande au pianiste de porter des sortes de mitaines pour exécuter les glissandos de clusters du Klavierstück X., le jeu dans les cordes du piano... par exemple dans The Banshee de Henry Cowell ou dans Aeolian Harp, où une main enfonce silencieusement des accords sur le clavier pendant que l’autre manipule directement les cordes à l’intérieur de l’instrument. ou le piano préparéLe piano préparé est par exemple utilisé par John Cage dans la Bacchanale (1938) ou le Concerto pour piano préparé et orchestre (1951)..
Sources bibliographiques
- Charles Rosen, Les Sonates pour piano de Beethoven, Gallimard, 14 Juin 2007
- Claude Helffer, « La Musique pour piano depuis 1945 », in Musique et claviers, n° 10-11 (1989) des Cahiers du Cirem, [Auteurs divers], p. 103-110
Auteur : David Hudry