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La trompette dans le jazz Lèvres, embouchure et pistons
Un instrument à vent
La trompette, tout comme le cornet à pistons et le bugle qui lui sont apparentés, fait partie de la famille des instruments à vent. Son fonctionnement relève de la physique des vibrations. Les trois composants principaux des instruments de la famille des cuivres sont la colonne d’air (qui correspond au résonateur), les lèvres de l’instrumentiste et l’embouchure (qui forment l’excitateur) et le pavillon de l’instrument (le radiateur). La production d’une note découle de la mise en vibration de la masse d’air contenue dans l’instrument mais aussi dans la bouche, la gorge, voire les bronches de l’instrumentiste. Le flux d’air produit par le musicien passe entre ses lèvres, qui s’ouvrent et se ferment rapidement comme une sorte de valve en réponse aux variations acoustiques dans l’embouchure, qui a la forme d’une cuvette. Ce flux tourbillonnant entretient les oscillations de la colonne d’air qui, dans le conduit formé par l’instrument, oscille dans le sens de sa longueur. Ce mouvement vibratoire longitudinal est entretenu par les bouffées périodiques d’air fournies par les lèvres. C’est la vitesse du jet d’air qui détermine la hauteur de la note, les lèvres et le souffle influant sur la justesse et la qualité du timbre. La forme du pavillon joue un rôle essentiel dans la production du son car elle influe sur l’énergie nécessaire au maintien de la vibration. Plus une trompette est « ouverte », plus elle produit un son large et immédiat, mais plus elle nécessite d’endurance de la part de l’instrumentiste.
Le principe des pistons
La trompette se compose d’un long tube replié deux fois sur lui-même comportant trois pistons. Ceux-ci sont indispensables pour produire toutes les notes. Lorsque tous les pistons sont en position levée, l’air ne traverse que le tuyau principal de l’instrument en circulant directement de l’embouchure jusqu’au pavillon. Le fait d’abaisser l’un des pistons ouvre une longueur de tube supplémentaire : la distance entre l’embouchure et le pavillon est donc plus longue, ce qui baisse la tonalité (d’un ton pour le premier piston, d’un demi-ton pour le deuxième, d’un ton et demi pour le troisième). Les trois pistons offrent huit configurations possibles de la colonne d’air, et l’ensemble des résonances ainsi obtenues donne toutes les notes de la gamme chromatique.
L'embouchure, un élément déterminant
Tous les modèles de trompette n’ont pas la même perce, c’est-à-dire le même diamètre intérieur. Plus le tube est étroit, plus le son est perçant et pénétrant. Plus il est large, plus les sonorités seront amples et riches. Les musiciens de jazz ont tendance à préférer les perces étroites, qui favorisent les aigus et, bien que produisant un son moins puissant, portent plus loin. Toutefois, l’embouchure et le contrôle de la colonne d’air interne ont plus d’influence sur la sonorité obtenue que la trompette en elle-même. Le volume et la forme de la cuvette de l’embouchure déterminent, en effet, la proportion des harmoniques engendrées par la mise en vibration de l’air. Avec une embouchure à cuvette peu profonde, la vibration initiale est riche en harmoniques aiguës et le son transmis par la trompette sera plus brillant, plus éclatant, que celui produit par une cuvette profonde qui produit peu d’harmoniques de rang élevé mais engendre un son chaud et généreux, notamment dans le grave. Par-delà la profondeur et le diamètre de la cuvette, la largeur et la forme du bord, le « grain » (la section cylindrique entre la cuvette et la queue), la perce de la queue, la masse de l’embouchure, la matière dont elle est faite affectent les caractéristiques de la sonorité obtenue. Soucieux de développer une sonorité qui leur soit propre, les jazzmen sont très attentifs au choix de leur embouchure. Le son caractéristique de Miles Davis doit beaucoup au choix d’une embouchure Heim, très évasée, proche de celles employées par les cornistes. Si un musicien emprunte la trompette d’un confrère (comme c’est arrivé plus d’une fois dans l’histoire du jazz), il en jouera avec sa propre embouchure car avec le temps, la conformation de ses lèvres s’est adaptée à l’ustensile.
La quête d'une sonorité personnelle
Produire une note sur la trompette repose sur la combinaison de six facteurs : la position des lèvres, le placement de l’embouchure contre les lèvres, la compression des lèvres, la tension des muscles labiaux, l’arc de la langue dans la cavité buccale et la colonne d’air (la vitesse d’écoulement de l’air et constance du débit). Si les instrumentistes classiques ont un idéal du « beau son » qu’ils cherchent à atteindre même dans les traits les plus difficiles, les musiciens de jazz, quel que soit leur instrument, entretiennent un autre rapport à leur sonorité qui, tout autant que leurs conceptions en termes de phrasé et d’articulation, définit leur marque de fabrique. Aussi leur technique (digitale, labiale ou respiratoire — voir les joues baudruches de Dizzy Gillespie) est-elle parfois fort éloignée des règles établies par la tradition occidentale. Qu’ils recherchent la brillance ou cultivent une sonorité mate ou voilée, qu’ils aient recours aux nombreux types de sourdines, soient adeptes ou non du vibrato, tous les trompettistes sont attentifs à leur timbre et la « couleur » de leur expression sur l’instrument est l’un des critères qui les rend identifiables entre tous. Cette recherche permanente d’une sonorité « personnelle » a donné lieu, dans l’histoire du jazz, à des aménagements uniques en leur genre : ainsi des mumbles (sorte de marmonnements inarticulés et burlesques) qu’il arrive à Clark Terry d’émettre tout en jouant ; ainsi de la flumpet, hybride de bugle et de trompette, qu’avait fait faire Art Farmer pour atteindre à son idéal sonore ; ainsi encore de la Firebird, un instrument imaginé par le spécialiste du suraigu Maynard Ferguson, croisé de trompette à coulisse et à pistons fabriqué par Holton-Leblanc également joué par Don Ellis.
Articulation et style
L’articulation est l’autre critère qui forge la particularité d’un trompettiste de jazz. Le terme se réfère à la fois au type d’attaque (simple, double, triple…) et aux effets imprimés à la note qui en modifient le contour. Le swing qui se dégage du jeu d’un trompettiste, en effet, ne découlera pas des notes en tant que telles mais de la façon dont celui-ci les accentue plus ou moins en fonction des temps faibles et des temps forts. À en croire le trompettiste John McNeil, il n’y a pas deux artistes qui ont la même approche de l’articulation. Si certains détachent toutes les notes d’un coup de langue, si d’autres, au contraire, jouent la plupart liées, chacun varie le placement des accents. Popularisé par Clark Terry, le doodle (ou du-dul tonguing) est un mode d’articulation qui repose sur l’alternance des consonnes « d » et « l » à l’aide d’un mouvement de la langue qui comprime le débit de l’air et a pour effet de donner un caractère vocal à la série de notes émises.
Les filiations dans l’évolution de la trompette dans le jazz et la façon dont les influences s’exercent entre musiciens s’identifient principalement au plan de la sonorité et de l’articulation. Ce sont ces deux paramètres qui permettent de distinguer les solistes, ainsi que leur phrasé (mais à ce niveau s’exercent d’autres influences que celles des seuls trompettistes).
Auteur : Vincent Bessières