Accueil / Instruments / Histoires d’instruments / La trompette dans le jazz : le cas Marsalis et ses contradicteurs
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Young lions et retour à la tradition
L'émergence de Wynton Marsalis (1961-....) au début des années 1980 marque moins une évolution stylistique qu'un retour de la trompette au premier plan après trois décennies de domination du saxophone, sans pour autant qu'elle redevienne l'instrument roi qu'elle avait été du temps d'Amrstrong. Conservateur d'une tradition en voie de disparition pour les uns, fossoyeur de l'esprit d'invention du jazz pour les autres, Wynton Marsalis exerce essentiellement son influence dans l'émergence d'une génération de trompettistes (noirs majoritairement) attachés au jeu straight-ahead, ancrés dans la tradition du hard bop, recentrés sur certaines valeurs conçues comme fondamentales du jazz. Lui-même, fidèle à ses racines louisianaises, réhabilite un ensemble de traits « archaïques » au sein d'un discours absolument virtuose. Brillant au sein de petites formations inspirées des Jazz Messengers et des quintettes de Miles Davis, Terence Blanchard (1962-....), Terrell Stafford, Roy Hargrove, Nicholas Payton (1973-....), Ryan Kisor (1973-....) ou Alex Sipiagin (1967-....), ou plus récemment Jeremy Pelt (1976-....) sont quelques-uns de ces « jeunes lions », hyper-doués de la trompette qui réconcilient, avec plus ou moins d'originalité, un haut niveau de technicité avec le swing et l'expressivité fougueuse qui ont longtemps caractérisé le jazz.
Les adeptes du décloisonnement
Moins radical en Europe où le retour aux racines ne saurait avoir la même signification qu'aux États-Unis, ce mouvement trouve cependant un écho chez certains musiciens tels que les Italiens Paolo Fresu (1961-....) et Flavio Boltro (1961-....), les Français Eric Le Lann et Stéphane Belmondo (1967-....) ou le Suisse Matthieu Michel (1963-....), dont le jeu opère une synthèse équilibrée, entre virtuosité et sensibilité, érudition et élégance, qui les distingue comme de remarquables stylistes. Même sur la scène des musiques improvisées, la trompette de Herb Robertson (1951-....) aux États-Unis puis en Allemagne, et celles de Jean-Luc Cappozzo ou Médéric Collignon en France révèlent une rare aisance à toujours interroger les possibles sonores en restant attachées à une certaine tradition, ce que ne démentent ni Ralph Alessi, compagnon de Steve Coleman et Ravi Coltrane, ni Ron Horton (1960-....), membre du Jazz Composers Collective, ni l'étonnant Steven Bernstein, figure de l'underground new-yorkais qui, avec un sens de l'humour à l'image de son insolite trompette à coulisse, n'occulte jamais son sens du swing.
Explorations et modelages sonores
Ce retour en grâce de la tradition ne doit pas éclipser la grande diversité des pratiques associées à la trompette dans le champ du jazz contemporain. Les ressources de l'électronique défrichées par Miles Davis et l'inclassable Jon Hassell orientent le travail exploratoire d'un certain nombre de trompettistes curieux de se confronter aux nouvelles formes de musiques populaires, dans un travail de modelage sonore et d'échantillonnage qui n'ignore rien des techniques de home-studio : la sonorité du Norvégien Nils Petter Molvaer (1960-....) se fond dans des textures programmées inspirées des musiques électroniques ; la trompette de son compatriote Arve Henriksen (1968-....) prend des allures de flûte de bambou extrême-orientale ; celle de Cuong Vu participe aux fresques évocatrices du Pat Metheny Group en faisant grand usage des possibilités offertes par l'électronique ; Erik Truffaz fraye sa voie dans un univers sonore proche du dub et des sonorités issues du hip-hop. Longtemps réservée aux virtuoses, la trompette devient paradoxalement un instrument aux sonorités polymorphes, qui recherche moins le trait que les variations et les gammes de timbres.
Diversité contemporaine
Sans doute peut-on prendre pour exemple de la diversité d'expression à laquelle est parvenue la trompette de jazz contemporaine, celle de Dave Douglas, capable de revenir au répertoire de Mary Lou Williams et de Booker Little, d'imaginer une musique furtive et ludique inspirée du folklore klezmer, de s'approprier une chanson de Björk ou de s'intéresser aux manipulations sonores rendues possibles par l'informatique musicale.
Auteur : Vincent Bessières